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Il lui avait dit, son père, de ne jamais passer la rivière. À dix-sept ans, François se souvient encore de la mise en garde paternelle, alors qu'il était haut comme trois pommes. Il a grandi dans une ferme, où il a trouvé pour confidents Oscar et Hyménée, deux cochons, ses amis. Dernier d'une fratrie de cinq enfants, il voit bien qu'il ne ressemble pas aux autres. Il se demande pourquoi son père lui a fait jurer de ne jamais franchir la rivière, pourquoi il n'a pas connu sa mère, pourquoi sa soeur est partie de l'autre côté. À la recherche de réponses, il se lie d'amitié avec plusieurs villageois. Grâce à eux il découvrira le mystère de ses origines et la personne par qui tout a commencé. L'accession d'un être à la conscience de soi, le rôle providentiel des figures maternelles ou encore la place essentielle de la culture et de la littérature... autant de thèmes que l'auteur aborde, dans ce premier roman, avec profondeur et sensibilité.
Aujourd’hui 28 décembre, fête des Saints-Innocents, me semble le jour idéal pour vous raconter l’histoire de François, 17 ans, « du vent dans la tête et des cochons comme amis ». François vit à la ferme avec son père et ses deux frères aînés, on ne sait pas où, on ne sait pas quand. Mais on sait comment : la vie est rude, l’ouvrage ne manque pas, le paternel est autoritaire, les frangins bourrus, tous sont taciturnes. Faut dire que le mauvais sort ne les a pas épargnés : la mère a disparu peu après la naissance de François, Maryse, la grande soeur adorée, s’est enfuie de l’autre côté de la rivière pour ne jamais revenir, le frère Jean-Paul est mort en tombant du toit. Mais chez ces gens-là, on ne parle pas de ces choses, pas plus qu’on ne montre ce qu’on ressent au-dedans. Les larmes, c’est tout juste bon pour couler à l’intérieur. Alors François se confie, dans son langage enfantin, à ses seuls amis, Oscar le cochon, puis Hyménée la truie. Considéré comme le simplet du village, il s’interroge pourtant sur ces disparitions dont le sens lui échappe. Il se demande aussi pourquoi son père lui interdit de passer la rivière. François voudrait comprendre. Il pressent que les clés pourraient se trouver au cimetière, mais voilà, il ne sait pas lire les inscriptions sur les tombes. Comment retrouver celle de sa mère, dans ces conditions ? Alors François a l’idée de sa vie, il demande à Roger, le curé, de lui apprendre à lire. Et la vie de François change… Sous les auspices de la Comtesse de Ségur, la cure devient un peu son « auberge de l’ange gardien », son refuge où il trouve réconfort et amitié. François s’humanise, comprend qu’il est autre chose qu’un cochon, grâce à la lecture, mais aussi aux rencontres, puisque désormais c’est lui qui vend les produits de la ferme au marché du village. Peu à peu le voile se lève sur les secrets de famille. Et la rivière n’est peut-être pas aussi infranchissable qu’on le dit…
Quête d’identité, lourds secrets, amour, violence, amitié sont au coeur de ce court roman, qui démontre que la lecture, la connaissance sont autant de portes vers la liberté, et ouvrent des horizons jusque-là bouchés par des rivières, symboliques ou non. Ces 155 pages sont bourrées d’humanité, d’émotions, de tendresse, de drôlerie, de naïveté mais aussi de profondeur. Faussement simple, ce récit est terriblement sensible, touchant, et finalement optimiste. On dit que la foi soulève les montagnes. Voici une nouvelle expression pour 2015 : la lecture fait franchir les rivières.
A dix-sept ans, François n’a jamais quitté la ferme où il a grandi, trimant misérablement aux côtés d’un père sans tendresse et de ses quatre aînés. Malgré sa tête folle, il a pris conscience de l’anormal isolement de sa famille, et mille questions le taraudent. Pour quelles raisons son père lui interdit-il si farouchement de traverser la rivière ? Pourquoi ne parle-t-on jamais de la mère qu’il n’a pas connue ? Et qu’est-ce qui a poussé sa sœur à partir sans retour ? Pour tenter de trouver des réponses, l’adolescent se rapproche de quelques villageois avec lesquels il se lie. Il découvrira bientôt le secret de ses origines…
Rédigé à la première personne, dans le langage fruste et naïf d’un jeune homme maintenu dans un tel état de sauvagerie et de rustauderie qu’il en paraît d’abord un peu simple, le récit sans lieu ni date est celui d’un éveil progressif, d’un passage d’une quasi animalité à une conscience de soi pleine et entière. Alors que depuis le départ de sa sœur, seul être humain à l’avoir aimé, François s’en est trouvé réduit aux seuls liens affectifs qu’il entretient avec ses cochons, ses initiatives, d’abord maladroites puis de plus en plus assurées, vont peu à peu l’extirper de ses conditions misérables et lui permettre les apprentissages essentiels à son émancipation. Il apprend à lire, connaît sa première expérience sexuelle, découvre autour de lui les joies et les souffrances de l’amour, et, en explorant le passé et le secret de ses origines, comprend enfin son identité.
L’histoire, habilement contée, possède beaucoup de charme. Touché par la candeur et la sincérité de François, mais aussi par la fragile et lumineuse humanité de quelques autres personnages, le lecteur évolue à fleur d’émotion et de poésie, alors que le narrateur, jusqu’alors asservi par la misère et l’obscurantisme, s’apprête enfin, et très symboliquement, à sauter la rivière qui le séparait de l’espoir et de la liberté.
Profondément lumineux et optimiste, ce conte symbolique apparaît en frappant contraste d’un autre roman plus récent, pour sa part noir et désespéré, sur une thématique très semblable : Le démon de la colline aux loups de Dimitri Rouchon-Borie. Si le premier croit allégoriquement et positivement à tous les possibles, le second les referme sans recours sur l’identique innocence de son narrateur, ne lui laissant pour seul rivière à franchir que celle qui sépare la vie et la mort.
Premier roman de Geneviève Damas (Luc Wilquin en 2011), Si tu passes la rivière est tramé d’une écriture qui passe ou casse. Certains la trouveront touchante, bouleversante, révélatrice de l’âme profonde d’un niais de 17 ans, illettré mais amoureux de ses cochons. D’autre n’y verront qu’un processus de production connu et répété qui place un fada au milieu d’un monde de brutes pour mieux révéler la transformation sublimée d’un affreux vilain petit canard en un majestueux cygne blanc dont la pureté d’âme est enfin révélée au grand jour.
François, Fifi est ce gamin illettré qui vit sous la coupe d’un père autoritaire, taiseux et violent. Ses deux frères aînés ne valent guère mieux et se réjouissent que la rancœur du père, après le départ de sa femme, trouve en Fifi le punching-ball mental et physique qui les libèrent de la colère du père. Il y a bien eu l’aînée, Maryse, celle qui l’a élevé, aimé, poussé à vivre. Mais, elle a fichu le camp. Elle aussi, un jour a passé la rivière. D’où la colère du père et sa menace « Si tu passes la rivière » que François ne comprend pas. En fait, il ne comprend pas grand-chose à cette famille. Il en est mais se sent différent. Il n’a rien de commun, plus rien de commun avec eux depuis le départ de Maryse.
Le cadre où se déroule le récit est limité. Un village, non situé, à une époque qui ne l’est pas plus si ce n’est qu’elle est d’avant et même, à la pénibilité des tâches fermières, d’avant l’avant. Si le lecteur zoome davantage, il ne verra plus qu’une ferme faite de bric et de broc où résonne les rots colériques du père et le silence des autres. La, derrière, le fond de la cour donne sur les quatre rues d’un village, rues qui ne vont nulle part et surtout pas de l’autre côté. Pour cela il faut, sous la menace, passer la rivière. Mais pourquoi le ferait-on, il n’y a rien qu’un vieux bâtiment rongé par le feu et depuis longtemps noirci par le temps de l’abandon.
Et tout le roman de se dérouler en huis clos, oppressant parfois, tendre et subtil aussi comme quand Roger, le curé du village, apprends à François toutes les lettres. Car quand tu as les lettres, alors tu peux trouver les mots et avec les mots, tu comprends l’histoire. Tu sais même y revenir et la relire pour trouver ce que tu cherches, qui tu es.
On le sent, la construction du roman emprunte une bonne part de son architecture au théâtre avec ses unités de temps, d’espaces et un nombre réduit de personnages. Le théâtre suggère, prend des chemins de traverse, coupe au court et ne se préoccupe pas trop des invraisemblances. Le théâtre est action, le roman aussi ! Geneviève Damas, avec son puissant passé de comédienne, d’autrice de théâtre et de metteuse en scène se sent dans son récit comme un poisson dans l’eau. C’est touchant, captivant, vivant. Le lecteur assiste à la naissance d’un homme, dans toute sa fragilité, avec toute la force des sentiments nobles qui l’ont accompagné sur ses chemins de souffrances, de croissance et de quête de la vérité.
Un beau roman. Si le lecteur accepte les conventions tacites de l’écriture et qu’il entre dans le jeu dès la première page tournée, il ne pourra que comprendre et approuver le jury qui a décerné le Prix Victor Rossel 2011 à cette autrice belge qui mérite d’être connue dans le monde théâtral et en dehors.
Lecture faite dans le cadre du défi littéraire 2020 de Madame-lit.
Magnifique histoire, écrite avec des mots simples et touchants.Le personnage de François est d'une sensibilité à fleur de peau;sa façon d'aborder l'histoire de sa vie est remplie de sagesse, de bon sens et d'émotion.Ce monde rural avec ces secrets de famille, ces non-dits, sa rudesse, ces traditions sont correctement retranscrits.L'observation est riche tout en étant sobre ce qui correspond bien à la personnalité de François. Ce livre est une petite perle pour qui aime le genre, j'aurai bien lu la suite......
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