En six chapitres nerveux, Thérèse Obrecht nous livre une enquête édifiante sur l'état de la société civile en Russie, muselée et persécutée par le pouvoir et les services spéciaux. Que cela soit la " Shpionomania ", à savoir l'espionnite aiguë qui s'est emparée du pouvoir, la perversion d'une machine militaire grippée qui envoie ses soldats pauvres à la mort et exempte les enfants de riches à grands renforts de bakchichs, le racket organisé, le développement sans précédent du racisme à l'égard des juifs et des non-russes, la peur des forces de l'ordre ou le déni de mémoire, la Russie s'enfonce de plus en plus dans une nuit démocratique dont la rhétorique s'habille pourtant, dans un pastiche sordide, de toute la terminologique juridique et régalienne.
Après dix ans passés en Russie où elle fut correspondante de presse, l'auteur nous ramène le fruit de longs entretiens, de rencontres saisissantes mais aussi de la lecture quotidienne des quelques journaux " libres " qui parviennent à faire encore leur travail. C'est une vision kafkaïenne qui en ressort, faite de peur, d'absurde et de zèle criminel de magistrats à la solde du pouvoir, de procureurs nommés en droite ligne par le Kremlin et dont l'avancement est calé sur le résultat statistique de leur mission : le taux d'incarcération de ressortissants supposés dangereux et qui, pour la plupart, ont commis la faute de fréquenter l'étranger.
L'un des aspects les plus surprenants de cette enquête est qu'une somme non négligeable de ces sources d'informations provient de la presse russe, souvent réprimée et condamnée. Qu'en demeure-t-il à nos oreilles ouest-européennes ? Fort peu ! Quelques flashes sur la Tchétchénie, quelques doutes sur le caractère sincèrement démocratique de Poutine mais, surtout, une grande indifférence, une sorte de fatalisme slave par procuration.
Heureusement, Thérèse Obrecht nous dit comment des associations, des groupes de presse, des magistrats indépendants luttent, avec l'Europe et sa cour de Justice, pour réhabiliter des coupables trop commodes et pour diffuser une réalité à laquelle nous restons bien souvent aveugles.
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