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«Quand je partais dans les nuages, Mika me secouait gentiment. T'es où, petite soeur ? En Argentine ? En Équateur ?J'adorais la façon dont il prononçait ces mots. T'es où, petite soeur ? J'aimerais écrire une chanson avec ça, un refrain que chacun aurait sur les lèvres, voilà ce que je me dis en arrivant quai Malo. Un arbre lance ses branches vers le fleuve, des branches nues, tortueuses. L'escalier B est indiqué par une flèche en angle. Ça sent l'immeuble bien tenu, habité par des gens qui payent régulièrement leurs charges. Je pense en montant les étages : neuf semaines, je vais habiter chez Gabriel Tournon pendant neuf semaines, le temps de voir l'arbre se couvrir de feuilles. Ici, personne ne sait ce qui m'est arrivé.»Alice, la trentaine, s'installe dans une ville inconnue pour consigner les souvenirs liés à son frère Mika, récemment disparu. Ensemble, ils ont grandi dans une famille de comédiens, et fait les quatre cents coups. Pourquoi n'a-t-elle pas revu depuis sept ans ce garçon auquel elle était si attachée ?Insolite et bouleversant, ce roman explore l'ambiguïté des relations fraternelles et le pouvoir des mots.
Elle était de onze mois l’aînée, et pourtant, parce qu’en comparaison on la voyait nettement moins brillante, voire un peu lente si ce n’est légèrement attardée, elle était pour tous la petite sœur de Mika. Elle doit maintenant en parler au passé, parce que ce frère extraverti jusqu’à la flamboyance, aussi protecteur que cruel, qu’elle aimait et admirait aveuglément, tout au moins dans l’enfance et jusqu’à leur brouille il y a sept ans maintenant, vient de mourir à vingt-huit ans, en lui léguant ses cendres : un geste accablant pour Alice, dont la mémoire encadre précisément sa relation avec son frère de deux souvenirs au goût de cendres, emblématiques du début et de la fin de son emprise sur elle.
Car, si elle est la seule à s’en apercevoir maintenant, c’est bien une relation toxique qui s’est développée dès la petite enfance entre le frère et la sœur. Elle qui n’en a jamais parlé sait qu’il est temps de faire face à cette réalité et que, pour enfin tenter de s’en affranchir, il va lui falloir la mettre en mots. Une petite annonce lui permet de partir habiter quelques semaines chez un inconnu obligé de s’absenter sans son chat, et la voilà bientôt, avec pour seule compagnie Vanessa, une florissante plante carnivore, et Ulysse, un invisible félin, libre de confier à ses carnets une histoire qui, au fil de réminiscences d’abord désordonnées, et grâce aux bienveillants conseils littéraires de sa tante, prend peu à peu la forme d’un roman autobiographique.
Allégée par un discret humour sous-jacent et par la touchante tendresse de personnages secondaires, la narration se met en place sans pathos ni auto-apitoiement, alignant faits et souvenirs pour laisser apparaître en filigrane ce dont Alice prend douloureusement conscience en même temps que le lecteur : tout, depuis le début, était tordu dans cette famille, le garçon développant dès le plus jeune âge les comportements cruellement et sournoisement manipulateurs du pervers narcissique, les parents aveugles entretenant inconsciemment la domination du fils si brillant sur sa sœur si fragile et si terne, la fille intégrant son infériorité et sa dépendance à son frère jusqu’à presque passer pour inadaptée et tomber toujours plus bas sous une emprise totale et destructrice. Le processus est implacable et pernicieux, d’autant plus terrifiant que, sous les apparences d’une fratrie unie et d’une famille aimante, se cache une violence des plus absolues parce qu’elle s’attaque au développement-même d’une personnalité, empêchée dès la plus tendre enfance, poussée vers une auto-destruction téléguidée par une cruauté déguisée en amour.
Avec ses mots d’une sincérité et d’une innocence désarmantes, décrivant de la manière la plus ordinaire et naturelle qui soit des situations horrifiantes, vécues sans la moindre conscience d’en être la victime, Alice nous plonge dans un récit douloureux et bouleversant, souvent troublant et dérangeant, qui, paradoxalement, ne se dépare jamais d’une fraîcheur et d’une légèreté entretenue par une plume fluide, pleine d’entrain et de spontanéité. Intrigué, attaché à cette fille si vaillamment perdue, c’est totalement captivé que l’on dévore ce roman très habilement construit. Coup de coeur.
Je connaissais l'auteur Marie Nimier mais je n'avais jamais eu l'occasion de lire un de ses romans. J'ai beaucoup aimé cette histoire émouvante entre sœur et frère. Je me suis laissée emportée par toute l’ambiguïté de leur relation.
"... Il n'aurait tenu qu'à moi de me défendre pour que le rapport de force s'inverse. Mais je ne me défendais pas, je trouvais ça déplacé la défense. Je ne supportais pas l'agressivité, j'y reviens, la mienne encore moins que celle des autres. ...en vivant dans un monde moins violent, mon frère aurait trouvé l'apaisement. Il n'aurait plus eu besoin d'imposer son pouvoir et de m'appeler petite sœur, même si c'était touchant, je n'étais pas sa petite sœur. On dit que la fratrie est un lieu de compétition qui nous aide à grandir. Si c'est vrai, nous étions la preuve vivante du contraire, la représentation de l'amour à l’œuvre, voilà ce que j'ai cru toute mon enfance. Nous réinventions le fait d'être frère et sœur comme nos parents avaient rêvé d'une société différente ...".
Un livre sur le deuil (la perte du frère), la famille, l'enfance, l'emprise d'un petit frère beau et talentueux protégeant sa grande sœur plus effacée et maladroite.
Et puis, pour finir, la reconstruction de la "grande sœur" a rendu cette lecture bouleversante et magnifique.
L'ambiguïté de la relation entre cette soeur et son frère m'a mise réellement mal à l'aise. Un peu couple maudit qui joue sur tous les tableaux et ne donne aucune prise à l'observateur, resté en marge d'une histoire dans laquelle il ne parvient pas à entrer. Quelques jolis moments en bord de fleuve, mais cela reste trop fugace. Je n'ai vraiment pas réussi à m'intéresser à ce texte qui démarrait bien pour finir dans un ennui absolu.
"Petite sœur", dernier roman de Marie Nimier, fait partie de ces ouvrages que j’ai eu le bonheur de lire en avant-première dans le cadre de ma participation au jury pour le Prix de Roman Fnac. Et le mot bonheur n’est pas ici galvaudé tant j’ai aimé ce roman à la fois pour le fond et pour la forme.
"Petite sœur", c’est ainsi que Mika appelait Alice "…en plissant les yeux, alors qu’[elle] était sa grande sœur…". Mais aujourd’hui, Mika n’est plus, il est mort, il avait vingt-huit ans. Et Alice est dévastée, bien qu’elle ne l’eût pas revu depuis de longues années. Sur les conseils de sa grand-mère Georgia, elle part dans une ville inconnue, "…dans un appartement calme et lumineux avec… une vue imprenable sur le fleuve", celui "d’un certain Monsieur Tournon qui cherchait de façon urgente quelqu’un pour nourrir son chat et s’occuper de ses plantes…"
L’auteure analyse avec force, élégance et subtilité le mystère des relations fraternelles, des relations particulières abordées avec une infinie délicatesse. L’écriture est ciselée et magnifique qui apporte au texte douceur et sensibilité. Le personnage d’Alice passe du présent au passé et réveille chaque seconde de cette vie à deux, deux enfants, deux adolescents jusqu’à cette rupture dont elle n’a jamais fait le deuil.
Dans ce roman, j’ai apprécié de ressentir, comme s’il s’agissait de ma vie, toutes les émotions évoquées "…l’humide, le mouillé, le salé, le serré." J’ai apprécié les personnages annexes : le chat "Virgile [qui] a refait surface." après avoir déserté l’appartement avant même l’arrivée d’Alice, mais aussi la plante carnivore. Et j'ai adoré Tiago le "joggeur-crabouilleur" qui "[la] caresse avec un pinceau." Et lui apporte tant d’amour.
La fin est belle, emplie d’espoir et d’amour. Le chemin fut difficile mais au bout demeure le petit Mika, celui qu’elle aimait tant. Quant au grand, "Que son fantôme aille au diable, [elle] n’en a plus besoin."
"Petite sœur" un roman d’une extrême beauté, touchant, émouvant, bouleversant. Un moment de lecture particulièrement intense.
https://memo-emoi.fr
Le roman s’ouvre sur une histoire de deuil. Alice vient de perdre son frère. Son quasi-jumeau, son cadet plus jeune de treize mois et qui pourtant l’appelait petite soeur. Mais pourquoi Alice refuse t-elle de se rendre à la cérémonie de crémation ? Pourquoi ne l’a t-elle pas revu depuis tant d’années, ce frère avec qui la relation fut fusionnelle, étrange, faite de protection et de provocation, de rires et de larmes ?
Alice doit s’éloigner, s’isoler et la proposition de garder un appartement tout en prenant soin du chat et des plantes carnivores lui offre cette occasion rêvée. Sur les conseils de sa grand-mère, personnage fantasque mais futé, la jeune femme écrit. Elle écrit l’histoire que nous sommes en train de lire, dans une mise en abîme réjouissante.
Au cours de cette retraite, les souvenirs remontent, et Tonio l’artiste l’aide à exorciser ses démons.
On est donc loin d’une histoire d’absence, de manque. Au contraire, le frère disparu est omniprésent dans le discours qui révèle les moments de bonheur de cette relation mais aussi peu à peu le drame caché et la raison de la rupture. C’est le récit d’une reconstruction et d’une libération créatrice, rythmé par une quête d’un chat évanescent.
Le roman est loin d’être sombre, malgré la gravité des faits. Marie Nimier entraîne le lecteur vers la lumière au cours de ce roman superbe et lumineux.
240 pages Gallimard 25 Août 2022
COUP DE COEUR
https://leslivresdejoelle.blogspot.com/2022/08/petite-sur-de-marie-nimier.html
" Etre sœur et frère, c'est écrire avec la même encre sur des papiers différents."
Alice, la trentaine, cherche un lieu pour écrire, pour consigner les souvenirs liés à son enfance avec son frère Mika récemment disparu, elle est encouragée dans ce projet par sa grand-mère Georgia " Pour évoquer, dit souvent Georgia, il faut être ailleurs, séparé de l'objet dont on parle."
Elle répond à une annonce et s'installe pour neuf semaines loin de chez elle dans un appartement qu'elle doit garder pendant le séjour du propriétaire en Inde, elle doit s'occuper de Vanessa, une plante carnivore, et de Virgile, le chat. Après quelques heures de travail alimentaire le matin, elle s'attèle à l'écriture l'après-midi. Elle se plonge dans ses souvenirs en ne voulant retenir que les beaux moments de leur enfance.
Alice a treize mois de plus que Mika mais elle est devenue sa petite sœur. En effet car alors que pour Mika tout semblait facile, Alice s'est vite heurtée à des difficultés d'apprentissage, son frère l'a aidée à écrire, à faire du vélo. Petite, elle avait besoin de son soutien, de sa protection.
Inséparables et complices ils ont eu une relation magique et ont vécu une enfance joyeuse, s'épaulant l'un l'autre car, pourtant très sûr de lui, Mika était perdu sans sa "grande petite sœur rêveuse", il avait besoin de sa reconnaissance, besoin qu'elle le rassure sur la place qu'il occupait dans sa vie " Il voulait être le seul à m'infliger ces petites tortures censées me faire grandir. Le seul à manier l'aiguillon."
La grande sœur était devenue la petite sans que personne dans la famille n'y trouve jamais à redire. " avant sa naissance, j'étais transparente, sa venue m'a donné des couleurs... On dit que les aînés ouvrent le chemin pour les suivants. En ce qui me concerne, j'ai ouvert le chemin sans doute, mais ensuite je suis restée sur le pas de la porte. Je me demande même si je n'y suis pas toujours un peu."
" Nous étions uniques l'un pour l'autre, c'est cette idée qui me revient souvent quand je pense à cette époque de ma vie. Uniques, au pluriel. Singuliers.... Nous sommes liés, parfois ligotés "
Qu'est-il arrivé pour qu'elle n'ait pas revu Mika depuis sept ans après avoir quitté leur table sans se retourner lors d'un dîner au restaurant ? Qu'est-il arrivé pour qu'elle ait refusé d'assister a son enterrement ?
Ce roman raconte l'introspection d'Alice sur la relation qu'elle a eue avec son frère pendant leur enfance.
Alice est une jeune femme qu'on a envie de prendre dans ses bras tellement elle est émouvante, elle qui a pensé toute son enfance qu'elle ne serait rien sans son frère, qu'elle lui était redevable, un frère dont on découvre au fil des pages le véritable caractère. Une relation fusionnelle et toxique sous les yeux de parents au comportement assez insaisissable, des artistes centrés sur eux-mêmes.
Ce roman raconte non le deuil d'un frère mais le deuil d'une relation d'enfance. " Mon petit frère me manque, oui, pas le Mika adulte". Ce deuil va pouvoir se faire progressivement par les souvenirs et l'écriture avec le soutien des deux figures lumineuses. Georgia, grand-mère très clairvoyante qui accompagne de loin l'écriture d'Alice, et Tiago, un jeune homme délicat à qui Marie Nimier attribue une pratique bien surprenante : le "courir-peindre" associé aux "running-crabouillages".
Une histoire très forte, un roman subtil, délicat, source de multiples émotions et merveilleusement bien écrit.
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