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C'était le dégoût des hamburgers qui avait poussé Barbara Bishop à répondre à l'annonce de John Campbell. Les quelques mois écoulés à emballer par paquet de cinquante ou cent les produits de Mc Donald's l'avaient définitivement guérie des affectations du Job Centre local. Barbara aspirait à autre chose. Elle avait été étonnée puisqu'il s'agissait de « jouer » le rôle d'une assistante sociale mais un contact avec le public particulier du « docteur » Campbell l'avait au prime abord enthousiasmée. Comme tout le monde, elle avait entendu parler de la polémique créée par les « Kauliss », ce phénomène qui se propageait en Angleterre. Comme certains, elle y avait décelé une magnifique source d'exploitation des fantasmes affectifs. L'assurance d'une sinécure mal connue l'avait décidée.
Connaissez-vous les Patoufs ou, de leur nom original, les Cabbage Patch Kids, ces poupées de chiffon créées aux États-Unis, fin des années 70 ? Le concept était novateur et original, puisque l’idée était de donner l’impression aux gens qu’ils n’achetaient pas un simple jouet, mais qu’ils adoptaient bel et bien un enfant ! Pour ce faire, rien n’était laissé au hasard : poupée unique avec son propre nom et prénom, certificat de naissance, frais d’adoption et non prix de vente, cliniques pour soigner ces poupées ou, plutôt, ces « bébés ». Je trouve déjà le concept assez fou, mais il prend une tournure carrément inquiétante quand Marie Gallicher décide de s’en inspirer pour son roman Pediophobia, un terme aux consonances barbares qui signifie la peur des poupées et/ou des enfants. Je dois dire que vous m’auriez donné ce genre de poupées enfant, je pense que j’aurais pu ajouter cette phobie à la liste de celles que je possède déjà…
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Dans cette œuvre de science-fiction, les Patoufs sont renommées Kauliss et vont susciter des réactions très différentes au sein des foyers anglais et, plus particulièrement, londoniens : forte attirance pour ces poupées-enfants pour certains, méfiance voire défiance pour d’autres, jalousie des personnes ne pouvant s’offrir cet onéreux jouet…
La petite Doris âgée de 8 ans aurait préféré quant à elle que sa mère, June, ne fasse pas partie de ces femmes qui tiennent absolument à posséder ce substitut dérangeant de bébé. La fillette vit d’autant mal l’obsession de sa mère pour ces Kauliss qu’elle a appris, de sa bouche et de manière fort brutale, sa propre adoption ! Le manque de tact et de considération de June pour les sentiments de Doris se retrouveront dans sa manière d’occulter sciemment le malaise de sa fille adoptive à l’arrivée de Florie, la Kauliss du foyer. On pourrait trouver des circonstances atténuantes à cette femme que la stérilité, la dissolution de son couple et le sentiment de solitude rendent triste et quelque peu pathétique… Mais difficile de ne pas d’abord se focaliser sur le mal-être de Doris et le sentiment de rejet que l’arrivée de cette poupée suscite en elle. Alors qu’elle aurait eu besoin d’être rassurée sur le fait que son adoption ne change en rien l’amour que ses parents lui portent, elle se trouve confrontée à une mère perdue dans des chimères et un père plus intéressé par son travail et ses maîtresses que sa famille…
Cette cellule familiale dysfonctionnelle va alors être le point de départ de la révolte, celle d’enfants qui ne sont pas prêts à être remplacés par de simples poupées, aussi uniques soient-elles, et celle de femmes prêtes à tout pour revendiquer leur droit à être mère, même si cela signifie donner tout son amour et son affection à un objet dénué de vie. Et à la tête de ces deux mouvements contraires qui s’affronteront brutalement, la mère June, et la fille adoptive, Doris ! Toutes les deux se montreront entêtées et fortement engagées dans leur cause, mais toutes les deux finiront par être dépassées par la situation. June sera engloutie par ce rôle de porte-parole des pro-Kauliss qu’elle s’est assignée au point d’ailleurs de finir par disparaître sans que l’on ne sache vraiment ce qui lui arrive… Quant à Doris, elle perdra le contrôle de son organisation constituée uniquement d’enfants et dont l’objectif était la destruction pure et simple de ces poupées par lesquelles est arrivé le malheur.
Et on touche là le gros point fort de ce roman : la manière dont l’auteure a su donner le pouvoir aux enfants et renverser le rôle enfant/adulte. Quand certains adultes semblent perdre la tête avec des poupées, ce sont les enfants qui gardent les pieds sur terre et qui se rendent compte de l’absurdité de la situation. Mais l’enfer étant pavé de bonnes intentions, ce qui était à l’origine un mouvement de révolte légitime se transforme, petit à petit, en une vendetta destinée à assouvir la soif de pouvoir de certains enfants et notamment du petit caïd qui destituera Doris de son trône. Ces enfants n’auront alors plus rien à envier à leurs aînés : violence implacable, traque des personnes ne partageant pas leurs idées, exactions, trahisons…
Ce renversement des relations adultes/enfants est aussi intéressant que dérangeant, car la vision de ces enfants mettant à feu et à sang les rues de Londres a quelque chose de tabou. On a, en effet, parfois tendance à idéaliser les enfants et leur insouciance ou naïveté alors qu’ici, les enfants se transforment en bourreaux et les adultes en victimes. Cette vision des choses donne d’ailleurs lieu à un savoureux détournement de l’histoire du joueur de flûte de Hamelin où le dompteur de rats n’est pas un adulte, mais un enfant qui est prêt à tout, grâce à l’aide de ses « amis », pour atteindre son objectif…
Quant à la narration, elle m’a un peu déstabilisée au début, car presque froide, mais au fil du livre, elle gagne en chaleur et en intensité. D’une plume assez fluide et immersive pour sentir les tensions croître jusqu’au point de non-retour, l’auteure nous plonge entièrement dans ce récit qui ne peut laisser insensible. L’auteure a, en effet, pris le risque de déranger ses lecteurs avec une histoire atypique qui, en partant d’un phénomène de société réel, met à jour les failles humaines. Alors oui, ici, nous sommes bien dans une œuvre de fiction où tout est poussé à son paroxysme, mais il n’empêche, le livre pose de vraies questions sur le sentiment de solitude ou de vide intérieur, sur l’envie d’être mère, sur la perte de soi notamment dans une relation de couple biaisée dès le départ, sur ce qu’est la famille et les relations qui unissent les parents à leurs enfants…
A noter également la présence de quelques illustrations vous permettant de vous plonger de manière encore plus immersive dans le récit. Comme toujours, j’apprécie ce genre de bonus qui, s’il n’est pas indispensable, apporte toujours un plus indéniable à la lecture.
Enfin, mon seul petit bémol concernera non pas le fond, mais la forme puisque j’ai regretté la présence de coquilles, même si elles ne sont pas assez nombreuses pour perturber la lecture.
En conclusion, cette histoire de poupée-enfant fait froid dans le dos, mais montre également jusqu’où certaines personnes peuvent aller pour accéder à une maternité rêvée et idéalisée. Alors si vous avez envie de vous plonger dans un récit mêlant étroitement réalité et science-fiction et dans lequel les enfants se sont appropriés le pouvoir pour le meilleur et pour le pire, Pediophobia est fait pour vous. L’histoire étant aussi atypique que dérangeante, je ne peux vous garantir que vous serez séduits comme je le fus, mais ce qui est certain, c’est que vous ne ressortirez pas indifférents de votre lecture.
https://lightandsmell.wordpress.com/2018/03/12/pediophobia-poupees-enfants-peur-marie-gallicher/
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