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Otok, « journal de résidence » de Lou Raoul à Split, en Croatie, fin 2013, est un drôle de journal cependant. écrit à la troisième personne du singulier (Kim), et si peu chronologique, avec allers et retours incessants sur une série de dates, les mêmes. Mais ce qui frappe surtout est l'emploi du conditionnel, qui gagne chaque notation, y compris la stricte réalité des lieux (« et au nord-ouest du mont Dinara la Cetina prendrait sa source »...), et des dates (« ce serait le 10 décembre... »). Ainsi le récit, brouillé, semble constamment mettre en doute ce qui est décrit - le mettre à distance.
Lou Raoul, soustraite à son quotidien, confrontée à une culture autre, décrit ce sentiment d'isolement (ou d'insularité - otok signifie « île » en croate) qui la submerge. Étrangère, et toute portée vers cet étrange. La langue, en premier lieu, qu'elle ne parle ni ne comprend. Aussi, autant décider que « toutes les femmes se nommeraient Tea / tous les hommes se nommeraient Mladen ». Et l'écriture est parsemée de noms croates, dont les sonorités participent de la musique du texte, à côté des distorsions de la phrase habituelles à l'auteure.
Mais si, au premier abord, il n'y a rien de spécial à dire des journées vécues ici (des clichés, somme toute), la réalité de la Croatie, c'est plus profondément la question de la guerre, encore si présente. Que peut en dire une étrangère, sinon au conditionnel ? La sentir, l'évoquer, comme entre les lignes (« le chiffre de six mille suicides / puis tout ce que Kim tout ce que »). Les ruines, la souffrance et le silence s'imposent malgré tout au fil des jours, et l'étrangère est alors un peu moins étrangère - mais sans doute davantage à elle-même : « déplacée » - de soi, en soi.
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