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«Tu te trompes souvent. Tu remplaces très par grave dans une phrase au registre soutenu et tu dis bien à toi à tes voisins de palier. À la place de récépissé tu comprends laissez-pisser, et tu confonds radié et irradié ainsi que sentier et sentinelle. Tu es littérale et hésitante, alors que dans ton pays tes blagues avaient de l'allure. Parfois tu fais exprès, c'est la seule manière que tu as trouvée d'être drôle. Quand tes erreurs sont volontaires, ça te donne un sentiment d'égalité, vous pouvez, ensemble et au même titre, vous foutre de ta gueule bien à toi.» Les destins parallèles d'une étudiante et d'une prostituée bulgares, débarquées à Lyon en 2001. Entre tribulations burlesques et peinture sociale mordante, un roman d'exilées à la conquête de leur liberté.
Le roman d’Elitza Gueorguieva est une plongée dans le quotidien de deux femmes apprivoisant la France. C’est avec un ton mordant que l’autrice nous place aux côtés de ces deux personnages féminins. Mais elle use d’une approche particulière. En effet, elle les aborde avec la troisième personne. Elle semble alors loin d’elles tout en les interpelant et ne les lâchant pas. On semble les regarder errer dans ce monde parfois hostile tout en étant au plus près d’elle. L’autrice mêle un point de vue surplombant et une familiarité directe avec un humour très présent. Cette sensation reste tout au long de la lecture. On les sent alors bloqués dans l’étroitesse des chemins qu’elles empruntent. Elles doivent s’adapter, appréhender le monde et les codes autour d’elles. Le livre n’est pas un guide ou une étude journalistique.
Au cœur de cette immigration et de ses violences, ces deux femmes se raccrochent au vocabulaire. Régulièrement, les mots sont des repères, des faux amis, des bouées de sauvetage. Elles les comprennent, bien ou mal. Les interprètent.
Mais cette mention d’odyssée dans le titre montre qu’elles se retrouvent dans une aventure dont elles ignorent l’issue. La réalité semble se confronter à ces deux femmes qui tentent de construire leur vie, malgré tout. Elles sont contraintes par des clichés. Car, au de-là des personnages individuelles, c’est la figure des « filles de l’Est » que l’autrice décrypte. Elle égrène les fantasmes, les codes qui s’imposent à elles. Elles sont embourbées dans des situations, relèvent la tête et de déchiffrer les codes de cette société qui les ramènent à des raccourcis, qui les réduits. L’humour de l’autrice révèle l’esprit de résistance de ces deux femmes, toutes ces astuces qu’elles trouvent afin de poursuivre leur aventure. La légèreté ressentie tout au long de la lecture vient de l’énergie de ces deux femmes et du ton de l’autrice. Mais elle n’étouffe pas les obstacles, les violences qui leurs sont jetées à la figure, notamment d’être ramenées à des « filles de l’Est ».
Ah, les Filles de l’Est. Elles sont blondes. Elles sont jeunes et jolies, puis vieilles et moches. Elles sont proches de leurs mères. Elles font de bonnes prostituées. C’est ce que nos deux héroïnes bulgares et ignorantes apprennent en arrivant en France, l’endroit idéal pour en savoir plus sur ces fameuses Filles de l’Est qu’elles connaissent si mal.
L’une fait des études de cinéma. L’autre fait le trottoir malgré elle. Les deux ont en commun d’habiter à Lyon depuis peu, de ne pas maîtriser complètement la langue française et d’être parfois prises pour des putes. Elles partagent également la menace d’un retour au pays “tel un Ulysse ultra rapide.”
Comment trouver une place en tant que Fille de l’Est dans “le pays de la liberté, du fromage et des tramways qui parlent” ? Surtout que “la France n’est pas comme la Bulgarie, c’est un pays où tout est fabuleux comme Amélie Poulain, et en plus ta mère n’est pas là, et on ne travaille que 35 heures par semaine et personne ne jette sa poubelle par la fenêtre.”
Tout se mélange dans ce petit livre. Les mythes, la réalité, les préjugés, les origines, les mots “récépissé” et “laissez-pisser”, les histoires parallèles d’une étudiante et d’une prostituée, les consignes du Petit Larousse du savoir-vivre, les listes d’objectifs et de merveilles, les extraits de journaux très sérieux et les articles plus que douteux, l’absence d’une mère tellement jamais là qu’on ne sait plus si on en jubile ou si on s’en lamente.
Elitza Gueorguieva effeuille une identité qui se décline, qui se déclare, qui se décode, mais qui jamais ne se décourage.
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