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Sous le patronyme commun de « Monsu Desiderio », deux peintres lorrains du xviie siècle - Didier Barra et François de Nomé - ont composé, dans leur atelier napolitain, des tableaux fascinants et apocalyptiques qui n'ont cessé d'intriguer. Or, tandis qu'André Breton se contentait d'intégrer ces oeuvres à « L'Art magique », Michel Onfray va beaucoup plus loin : pour lui, si la peinture de Monsu Desiderio regorge de cathédrales qui s'écroulent, de villes en ruines, de citadelles abandonnées, de géographies infernales, de personnages en déshérence au pied de cités vides, ça n'est pas pour signifier quelque chose qui échapperait à la raison, mais pour illustrer la contre-réforme catholique. Cette oeuvre, dit-il, met en scène la fin d'un monde, l'effondrement d'une civilisation. En l'occurrence, celle du catholicisme romain.
Evidemment, il y a le thème : l’énigmatique Monsù Desiderio, un des maîtres les plus singuliers de l’histoire de la peinture européenne, redécouvert au XX° siècle. C’est, en réalité, un artiste siamois. Monsù Desiderio (Monsieur Didier) est un patronyme confectionné, au XVII° siècle, par deux amis, originaires de Metz : François de Nomé et Didier Bara. L’un peint les architecture, l’autre, les figures (les « Gilbert & George », les « Pierre et Gilles » de l’époque, artistiquement parlant). Leurs biographies respectives sont plus que lacunaires. Ils se sont installés à Naples. Ils ont fait atelier commun. Ils meurent, l’un de la peste, l’autre, nous ne savons pas.
Evidemment, il y a les œuvres elles-mêmes (ici, dans cette édition de poche, reproduites sous forme de vignettes. Plutôt frustrant). Ce sont des vedute particulières, des perspectives architecturales, imaginaires. Ces vues ne sont pas le portrait d’une ville. Elles ne citent aucun monument existant. Elles frappent par leur théâtralité, tant elles recomposent le monde, à partir d’éléments architecturaux vus à Rome ou à Naples. L’originalité de ces toiles réside dans leurs caractéristiques hétéroclites : gothiques, classiques ou antiques ; monumentales ou ruines. Elles annoncent, bien malgré elles, les caprices architecturaux de Hubert Robert ou de Francesco Guardi.
Evidemment, il y a ces scènes, ces figures humaines, presque prisonnières de ce monde minéral. Scènes d’apocalypse, de destructions, de combats, d’attaques. Les figures y ont le même statut que dans les paysages d’Annibale Carrache, de Nicolas Poussin ou de Claude Gellée (un autre Lorrain) : elles justifient l’œuvre car elles lui donnent une dimension religieuse, historique ou moralisatrice. Et de tableau en tableau, se rassemblent autant de visions hallucinées, pour ne pas dire, hallucinantes. Elles placent l’être humaine à sa juste place, à son échelle réelle dans la nature, face à elle.
Evidemment, il y a l’écriture de Michel Onfray. Brillante, riche, parfois roborative, voire tonique. Et d’étayer ses propos en convoquant Frédéric Nietzsche (son chouchou ! il le met partout), Gilles Deleuze ou Félix Guattari. Et de claquer, de temps à autre, le mot définitif : qui peut trouver mieux que « l’architecture peccamineuse » ? Personne, je crois ! Mais le philosophe n’étant jamais loin, très vite, il glisse du champ sémantique de l’art pour celui de la religion : la peinture de Monsù Desiderio illustre parfaitement la Contre-réforme catholique. Elle est la métaphore de l’effondrement de la civilisation chrétienne.
Pourtant, alors que la peinture baroque me passionne, j’ai régulièrement abandonné le texte de Michel Onfray. Probablement, ne correspondait-il pas à mes attentes d’esthète. Aussi, vous voilà prévenus, ce texte est le fruit d’un savoir, pour aboutir à la définition d’une « Métaphysique des ruines », tout en prenant l’art comme alibi.
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