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« La première fois que je l'ai rencontré, il avait une trentaine d'années. On n'imagine pas séduction plus rare, charme plus enveloppant ; mais ce qui dans mon souvenir domine toutes les impressions, c'est la profonde originalité de cet être. Sur rien, il ne pensait comme personne ; ce qu'il disait ne procédait jamais du paradoxe, mais d'une vision nouvelle à laquelle cette courtoisie dont il ne se départait jamais vous invitait à collaborer ; et l'ivresse inconsciente qu'il éprouvait à se sentir si particulier en augmentait le prix. » (Maria Van Rysselberghe) «Lors de l'agonie de Gide, l'avant-veille de sa mort, la Petite Dame, prise de remords, se penche vers son ami : « Vous m'entendez bien ? [Vague signe.] Il y a une chose que je voulais vous dire depuis quelque temps : vous avez toujours déploré de vivre au milieu de muets, eh bien ! sachez que depuis trente-trois ans, je tiens un journal de votre vie où j'ai relaté tout ce que j'ai pu, n'ayant qu'un souci : vous montrer dans votre intégrité. » Elle fut la première à remarquer le talent d'André Gide. Elle devint sa confidente, son amie mais aussi sa meilleure lectrice, ses yeux et ses oreilles, celle qu'il consultait en premier pour introduire un nouveau talent au sein de la NRF, créée en 1908, celle qui étudia commenta tous les auteurs du catalogue de la revue et accueillit si souvent le comité de lecture dans ses propres salons. Enfin celle qui comprit mieux que personne la blessure intime de l'homosexuel avant de prendre de plus en plus ses distances avec l'éducation bourgeoise et de s'engager elle-même, après l'idylle platonique avec le poète Émile Verhaeren, dans une histoire d'amour douloureuse avec Aline Mayrisch, critique avertie, épouse du grand aciériste luxembourgeois, unique autre figure féminine acceptée dans le cercle de la NRF.
Elle atteignait la taille de Louis XIV, 1 m 52, ce qui lui valut le surnom de «Petite dame»... Née à Bruxelles, en 1866, au coeur de cette Belgique de l'avant-garde artistique dominée par l'Art Nouveau et le Symbolisme, terre de puissants mécènes issus des industries, Maria Monnom est la benjamine d'une famille d'imprimeurs-éditeurs qui reçoivent l'élite littéraire et artistique. Elle deviendra la femme de Théo Van Rysselberghe, peintre néo-impressionniste, ami de Toulouse Lautrec, qui a marqué la postérité. Parmi ses proches, on compte des hommes comme le peintre Edmond Cross, Roger Martin du Gard, Jean Schlumberger, l'homme de théâtre Jacques Copeau ont apprécié ses qualités et ses mérites. Elle avait le sens du portrait, la plume alerte, le goût très sûr, visionnaire ainsi qu'une mémoire imparable, quasi clinique.
Les Cahiers de la Petite Dame commenceront à paraître quatorze ans après sa mort et vingt-deux ans après la mort de Gide ! Pourquoi les éditions Gallimard ont-elles tant attendu ? On peut s'étonner de ces dates tardives. Seul Claude Martin pourrait nous expliquer tout cela par le détail. Les Cahiers paraissent en quatre tomes échelonnés sur quatre ans, de 1973 à 1977, dans la collection des Cahiers André Gide. Gide écrase tout et le nom de l'auteur (Mme Théo Van Rysselberghe) (elle n'a pas droit à son prénom) n'est mentionné que dans un court texte en quatrième de couverture, sous les caractères flamboyants du titre de la collection. Procédé assez blessant pour Maria Van Rysselberghe ; « l'esprit de La NRF », tant vanté, demeurait en effet teinté de misogynie. André Malraux dans sa préface rachète ces maladresses.
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