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Tout commence par un défi.
Une nuit complète au musée Picasso. Enfermée.
Lydie Salvayre accepte.
Plante son campement de fortune devant L'homme qui marche, de Giacometti.
Avant de tirer le portrait de cet artiste fasciné par les visages, cette nuit déroutante va être l'occasion d'un essai sur l'art.
Et quel essai !
Absolument réussi.
Avec une verve sans égale, tantôt amusante, tantôt engagée, Lydie Salvayre nous embarque dans son enfance brinquebalante, entre un père qu'elle redoute et une condition sociale qui la martyrise. Quel accès à l'art quand on est enfant d'immigrés, quand le ticket pour le musée n'est même pas un luxe envisageable ?
Comment se construit notre sensibilité à l'art, sous toutes ses formes.
Puis vient le moment de son rapport à L'homme qui marche. Et comme je comprends son analyse, et comme elle me touche dans son interprétation, si sensiblement proche de la mienne.
Je n'en dirai pas plus, je vous laisse le lire, le découvrir, porté par cette écriture intransigeante et brillante.
Ma nuit au musée avec Lydie Salvayre, j'en redemande ! :D
Elle est surprenante Lydie Salvayre.
Et toujours dans le bon sens.
On ne sait jamais à quoi s'attendre en ouvrant un de ses livres.
Ici, la narratrice se voit proposer de passer une nuit seule dans un musée.
Musée où se trouve « L'homme qui marche », œuvre de Giacometti qu'elle affectionne particulièrement.
Après hésitation, elle accepte.
Mais cette nuit ne sera pas du tout ce qu'elle escomptait.
Rien, aucune émotion devant toutes ces œuvres.
Mais des tas de remises en questions, sur l'art, sur sa vie, sur la vie, sur la mort.....
Cette nuit au musée ne lui inspire que du vide, vide dans lequel elle laisse exploser ses colères.
Contre son père, contre la modestie de son enfance, contre les bobos, contre les intellos, contre les marchands d'art....
Elle n'est envahie que de pensées sombres.
Elle se sent « cœur et cerveau sec ».
Les musées séparent l'art de la vie..
Les œuvres exposées sont sorties de leur contexte.
« Les œuvres d'art s’accommodent mal des cages ».
J'ai aimé ce ressenti qui est le mien dans les musées où je n'arrive que rarement à ressentir une émotion, tout m'y semble figé.
Ce livre est aussi un hommage à Giacometti dont elle fait une mini biographie.
Lydie Salvayre s'éclate avec le style qu'elle alambique, qu'elle enrichit de termes choisis, qu'elle pare de subjonctifs.
Revanche d'une « modeste » qui s'éclate dans l'écriture.
Belle revanche qui ravit le lecteur.
Lydie Salvayre aime les oeuvres d'art, « meilleur moyen de comprendre, embraser, embrasser la vie » mais déteste les musées et les grandes expositions : trop de foule, de bousculade « trop de beautés concentrées au même endroit, trop de génies...trop de splendeurs , trop de richesses ….trop d'oeuvres entassées ... une overdose de sublime à te flanquer la nausée »
Lorsqu'elle se voit proposer, à l'occasion de l'expo Picasso-Giacometti au musée Picasso de passer une nuit, seule face aux oeuvres de Giacometti, sculpteur qu'elle admire particulièrement , elle hésite d'abord, puis accepte.
Face à face fécond ou rendez-vous manqué ? Je vous laisse le soin de le découvrir dans cet ouvrage plein de fièvre . Elle nous y livre une fine et profonde description de L'HOMME QUI MARCHE, et nous fait mieux connaître la vie de Giacometti, mû par une insatisfaction permanente.
Occasion pour nous aussi de connaître d'autres artistes qui alimentent « la maison intérieure » de Lydie Salvayre : des écrivains , notamment Rabelais ,Pascal, Virginia Woolf, Faulkner, et Baudelaire auquel elle emprunte la déclaration sulfureuse qui lui sert de phrase d'exergue « L'Art : une prostitution » ainsi que le titre de l'ouvrage : MARCHER JUSQU'AU SOIR extrait du poème LA MORT DES PAUVRES .
L'ouvrage présente également un portrait de l'auteure en femme en colère qui se dresse contre le marché de l'art contemporain avec « ses dignitaires, ses promoteurs, ses médiateurs créatifs, ses éxégètes , ses artistes appointés ». Cet art ne serait -il qu'imposture ? Elle n'est pas tendre avec ses représentants et certaines de leurs les installations .
C'est aussi un portrait de l'auteur en femme blessée dès son enfance près d'un père cruel et dictateur, de femme humiliée par des phrases qui ont été pour elle une « écharde implantée dans la chair de son orgueil » qui ont déclenché en elle l'envie d'écrire, et lui ont ainsi offert une sorte de salut.
C'est enfin le portrait d'une femme touchée par la maladie, particulièrement sensible à « cette figure éprouvée, abîmée, tragique, amenée à se pencher sur la terreur du gouffre » que présente L'HOMME QUI MARCHE
Elle termine son récit d'une nuit passée au musée par l'évocation de portraits peints par Picasso . Elle y perçoit « une vitalité rayonnante » en totale opposition avec les productions de Giacommetti et conclut par une phrase plus consensuelle mais qui m' a semblé un peu fade après toutes ses déclarations antérieures empreintes de passion , déclarant que « l'art ne valait rien sans doute , mais rien ne valait l'art »
MARCHER JUSQU'AU SOIR : un texte qui interroge sur la condition humaine, un texte-cri, explosif, corrosif aussi, à l'écriture torrentielle. Ses longues phrases rythmées par des anaphores, ponctuées d'hyperboles et d'effets d'accumulation m'ont irrésistiblement emportée par leur force et leur énergie .
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