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De la blessure que lui firent les fils de fer barbelés, alors qu'elle s'élançait, confiante, dans un champ où broutaient des vaches, la petite fille n'a gardé qu'une trace sur le bras. Elle qui ne voulait pas grandir a réussi un parcours sans faute. Son enfance terne, sa première histoire d'amour avec un jeune homme aussi rangé qu'elle, elle les a remisées bien loin. Marjorie, après de brillantes études, est devenue la « plume » d'un ministre. Caparaçonnée dans ses certitudes, belle et conquérante, elle se joue des hommes et de son passé.
Mais le numéro qui s'affiche sur l'écran de son téléphone portable, alors qu'elle s'apprête à rejoindre son ministère, elle le reconnaîtrait entre mille, bien qu'elle ne l'ait plus composé depuis bien longtemps. Sa mère l'appelle au chevet de son père mourant. Quand, au volant de sa puissante voiture, elle quitte l'autoroute qui la conduisait chez ses parents, pensant prendre un raccourci, un choc violent la fait s'arrêter net. Elle vient de heurter un animal. Bouleversée, tremblante dans la nuit de la forêt, elle recueille le dernier souffle du grand cerf qu'elle a tué. Et c'est à ce moment que sa vie bascule.
La femme pressée et sûre d'elle vacille, et même si, un temps, elle parvient à donner le change, quand elle rentre à Paris après avoir enterré son père, sa cuirasse est fendue. Le trouble s'empare d'elle. et du lecteur. Car Marion Richez, avec une grande subtilité, ne tranche pas : si son héroïne semble basculer dans la folie (elle passe quelques semaines dans un hôpital psychiatrique), elle ne la décrit pas moins engagée dans une quête du sens et de ses origines.
L'Odeur du Minotaure, comme les contes initiatiques auxquels il s'apparente par l'extrême concision de sa langue et la simplicité de sa structure, est un beau roman de la métamorphose.
Un court roman en deux parties distinctes. D'abord celle consacrée à l'ascension de Marjorie. Elle réussit brillamment les examens, entre à l'ENA, se permet de quitter un jeune homme de très bonne famille -elle la jeune fille issue d'un milieu modeste- auquel elle était fiancée mais qui la fatigue et qu'elle finit par détester voire mépriser. On la retrouve alors dans le cabinet d'un ministre, froide, déterminée, ambitieuse, travailleuse. Le texte est alors rapide, précis, sec, comme Marjorie. Efficacité avant tout ! Pas de place pour les sentiments, pas de place pour les faiblesses. "J'ai obtenu sans peine l'autorisation de m'absenter quelques jours. On a beau avoir des gros dossiers en cours, on reste humain, n'est-ce pas, du moins, c'est ce qu'on m'a dit d'un air crispé. Je n'ai pas réellement le sentiment que je manquerai. Un autre s'empressera de proposer ses services, jouant des coudes vers mes rangs imprudemment désertés. Cet autre a déjà un nom, un nom de femme, un bon soldat comme moi, qui affichait un sourire triomphal en me voyant quitter le ministère tout à l'heure. Je lui offre une occasion en or de faire ses preuves." (p.33/34)
Ensuite, celle qui vient après l'accident. Marjorie panique, la pression et le stress prennent le dessus. Burn-out ! Epuisement professionnel ! Cette partie est plus poétique, plus onirique, moins prosaïque, surtout sur la fin. Marjorie est perdue, nous aussi parfois dans le texte, mais pas pour longtemps, on se retrouve toujours très vite : de même que l'héroïne on ne passe pas d'une partie à l'autre brutalement, il y a une transition, une sorte de sas. Marjorie est le stéréotype de la femme moderne qui veut réussir, qui veut damer le pion aux hommes. Aucun jugement de ma part dans ce constat, la pression au travail est déjà terrible pour les hommes, elle doit être pire pour les femmes, surtout dans les mondes machistes et cyniques de la politique et du pouvoir. Un rien peut faire péter les plombs, l'épuisement professionnel est au bout. Marjorie n'est pas antipathique dans la première partie, on sent que son ambition, son envie -ou son besoin- de prouver ses qualités par des sacrifices qu'elle-même ne ressent pas lui jouera un tour à un moment ou un autre et qu'elle devra se poser des questions sur elle et sur sa vie, la seconde partie la rend plus humaine, mais elle paie le prix fort.
L'écriture colle parfaitement à l'état d'esprit et à la santé de Marjorie. C'est un roman ou un conte initiatique écrit avec des moyens minimum. Un roman qui va à l'essentiel, qui ne déborde pas sur des considérations oiseuses. Rien n'est à enlever, rien n'est à ajouter. J'aime ces courts romans dans lesquels en peu de mots, en peu de pages l'auteur(e) réussit à m'embarquer, quand j'en trouve un et que ça colle, je suis ravi. Marion Richez signe son premier roman franchement très prometteur, elle sait user d'une écriture variée pour coller aux différents états de son personnage. Un beau roman d’initiation dans lequel l’auteure ajoute adroitement des réflexions sur un thème d’actualité ces dernières années et sans doute encore les prochaines, l’épuisement professionnel.
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