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Comment et pourquoi Nancy Huston écrit-elle aujourd'hui le récit de ses années de formation en miroir de celles d'un Cambodgien de la génération de son père, venu comme elle à Paris, y étant entré en politique mais aussi en écriture avant de devenir Pol Pot, l'un des pires dictateurs du XXe siècle ? Ce livre de lucidité et d'intuitions mêlées, qui fait suite à «Bad Girl», laisse au lecteur le troublant sentiment de se tenir au plus près du pouvoir des hasards qui façonnent les chemins de la création et de la destruction, les pages sanglantes de la fiction comme celles de l'Histoire.
Dans ce livre, l'auteure fait un étrange parallèle entre son propre parcours, ou tout au moins celui de son double littéraire Dorrit, et celui d'un Cambodgien du nom de Saloth Sâr, qui deviendra Pol Pot.
L'un et l'autre arborent un éternel sourire de façade, masque bien plus que tentative d'entrée en communication, ces fameuses « lèvres de pierre », derrière lesquels ils se cachent et se protègent.
Du Cambodge agricole au monastère bouddhiste, puis d'établissements français en échecs scolaires cuisants, Saloth Sar obtient finalement une bourse pour venir étudier en France. Il y découvre et adhère au Parti Communiste, se saisit de la pensée marxiste...
Pour lui comme pour Dorrit, qui fuit, en venant à Paris, une adolescence compliquée au Canada, puis aux Etats-Unis, « les certitudes politiques viennent colmater les béances de leur être ».
Côté Pol Pot, on assiste peu à peu à la germination dans un esprit radical d'une idéologie nihiliste où trahisons et erreurs ne peuvent se résoudre que par l'extermination.
Le parcours de Dorrit, dont le mal-être est presque le moteur, rencontre lui aussi les grandes problématiques politiques mais aussi les combats féministes
Par sa construction étonnante et captivante, sa documentation riche et fournie, cet ouvrage nous fait voyager dans l'espace mais aussi dans la pensée et ses cheminenments, ses paradoxes, ses extrémités.
On assiste à la création sidérante de certitudes absolues, parfois jusqu'à la destruction.
http://leslivresdejoelle.blogspot.com/2018/08/levres-de-pierre-de-nancy-huston.html
Nancy Huston explore ici les similitudes qui lient son parcours à celui d'un jeune homme cambodgien dénommé Saloth Sâr avant qu'il ne devienne Pol Pot, le monstre responsable du génocide cambodgien. Un homme aux lèvres de pierre, à l'éternel sourire de Bouddha. Elle-même a longtemps eu ce sourire énigmatique sur les lèvres. "Soudain j’ai frémi. Je venais de tomber sur le seul Cambodgien en qui j’arriverais peut-être à me projeter : Pol Pot. Idée folle et pourtant la seule possible. Non pas Pol Pot chef d’État, mais l’enfant, l’adolescent et le jeune homme, qui s’appelait encore Saloth Sâr. Il n’était pas impossible que, malgré leurs dissemblances flagrantes, nos trajectoires s’éclairent l’une l’autre. »
Dans une première partie Nancy Huston s'adresse à Sâr qu'elle dénomme l'Homme nuit, elle se met dans sa peau pour retracer son parcours, son enfance paysanne, son année dans un monastère à l'âge de neuf ans où il apprend le détachement et la maîtrise totale de ses émotions, puis ses huit années dans une école militaire française jusqu'à son arrivée à Paris à l'âge adulte où il épouse le communisme. Un être rêveur marqué par son arrachement au monastère bouddhiste.
Dans une deuxième partie, elle parle d'elle à la troisième personne, se donne le pseudonyme de Dorrit qu'elle utilise dans ses textes autobiographiques et se dénomme Mad Girl, jeune canadienne qui a longtemps eu aussi des lèvres de pierre pour masquer sa douleur dans un sourire. Elle raconte sa soumission aux hommes, le contrôle de ses émotions et de son corps au travers de l'anorexie avant qu'elle ne parvienne à se révéler elle aussi à Paris par la découverte du marxisme et par l'éveil de sa conscience féministe militante.
Étrangement de multiples liens apparaissent entre l'Homme nuit et Mad girl, le même effacement de soi, la même maîtrise de leur corps et de leurs émotions, la même dureté et le même enfermement sur soi, des chocs à l'origine de prises de conscience pour l'un comme pour l'autre (la découverte du temple d'Anghor et de la grandeur passée de son pays pour lui, l'engagement des US dans la guerre du Vietnam pour elle), des lectures fondatrices à Paris pour l'un comme pour l'autre (sur la révolution française pour lui, sur la révolution russe pour elle), le même passage par l'écriture, le même engagement en politique. Deux jeunesses en parallèle, deux destins en miroir l'un aboutissant au chemin de la création, l'autre sur une absolue monstruosité qui a engendré le massacre, au nom de la vérité marxiste, de 20% de la population de son pays.
Rentrée doucement dans ce texte sans comprendre où Nancy Huston voulait en venir, même si elle décrit sa démarche au début du récit, mon intérêt est allé crescendo au gré d'une montée en puissance vraiment extraordinaire. Nancy Huston réussit à décrypter le jeune homme Sâr en se mettant dans sa peau, le récit de sa vie est documenté, instructif et vivant, son endoctrinement, la montée de son fanatisme sont parfaitement décrits. Le récit de la jeunesse de l'auteure est très émouvant et les liens qui apparaissent peu à peu subtilement entre l'Homme nuit et Mad girl éclairent le récit petit à petit.
L'écriture est somptueuse et la construction époustouflante. C'est profond, extrêmement brillant et très convaincant, une fois la dernière page tournée j'ai eu envie de relire la première partie sur Sâr. Un texte autobiographique d'une grande lucidité, traité d'une façon très très originale. Un titre magnifique, judicieusement trouvé "lèvres de pierre, sourire radieux mais absent, bienveillant mais vide". Vertigineux et passionnant !
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