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C'est dans une extravagante ripopée, un inénarrable melting-pot de cultures que vont se dérouler les années d'apprentissage d'Emma, l'héroïne de ce roman. Sa mère, Mme de Duran, grandiose personnage de théâtre, à la fois grotesque et sublime, est d'origine allemande. Son père, officier espagnol, a disparu dans la débâcle de la République après avoir combattu dans les rangs des gouvernementaux contre les insurgés franquistes. Mme de Duran et ses trois enfants, Emma, Alejo et Segismundo, ont fini par échouer à Bruxelles juste avant la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. Mais qu'on ne s'y méprenne pas. Le roman d'initiation d'Emma n'est pas un recueil de souvenirs d'enfance. L'enfant, nous y est-il montré de page en page, est une invention des sociétés d'abondance. Dans le monde de la misère, de l'exil ou, si l'on préfère, dans les situations extrêmes, les catégories usuelles n'ont pas cours. Or tout ici est extrême, parce que tout est amplifié par l'acuité d'une vision où l'on chercherait en vain la fausse innocence que, dans le monde dit civilisé, on prête si volontiers au petit de l'homme. Qu'Emma observe les démêlés burlesques de sa famille avec la pauvreté, qu'elle raille l'espagnolisme exacerbé de ses frères, qu'elle daube, de façon fort incivile, la grandiloquence du discours des bien-pensants, qu'elle fasse mine de s'effarer devant l'énergie, toute germanique, avec laquelle sa mère somme le chancelier Adolf Hitler de la tirer des griffes de la Gestapo ou, trahie par son amant, Léon van Roodebeek, s'acharne à ranimer, chez cet écrivain raté, une ardeur depuis longtemps éteinte, la diabolique lucidité de la narratrice ne manquera pas de méduser le lecteur. Mais, du même coup, celui-ci sera entraîné, malgré qu'il en ait, à partager la passion inconditionnelle des Duran pour la folie, l'humour noir, la démesure. Car ce roman picaresque, terriblement espagnol, est aussi une oeuvre où l'auteur, à travers ses divers truchements, semble avoir pris à tâche d'épuiser toutes les ressources de la langue française et toutes les combinaisons de la technique romanesque. Les personnages, le lecteur et l'auteur lui-même se trouvent interpellés, agressés, remis en cause à chaque instant dans un jeu d'esquive et d'illusion qui comblera l'aficionado littéraire.
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