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"J'ai rencontré John Synge pour la première fois pendant l'automne de 1896. [...] Il me dit qu'il avait appris l'irlandais à Trinity College, sur quoi je le pressai d'aller aux îles Aran pour y trouver une vie qui n'eût pas été exprimée en littérature, au lieu d'une vie où tout avait été exprimé. Je ne devinai pas son génie, mais je sentis qu'il avait besoin de quelque chose pour le tirer de sa morbidité et de sa mélancolie. [...] Plus d'une année devait s'écouler avant qu'il ne suivît mon conseil, n'allât s'établir pour un temps dans une chaumière d'Aran et ne trouvât le bonheur, ayant enfin échappé, comme il l'écrivit, à la sordidité des pauvres et à la nullité des riches." William Butler Yeats
Ce n'est pas un gentil récit de voyage qui s'émerveille de la beauté des îles solitaires battues par le vent.
Un siècle sépare l'ouvrage de notre escapade sur l'une des îles d'Aran mais on a aucun mal à se représenter la rudesse de la vie d'antan.
Pas un arbre dans le paysage, juste des champs verts délimités par des murets en pierres.
En ce temps-là le vapeur mettait 3 à 4 heures pour relier Galway à Aranmor puis ensuite il fallait prendre un coracle, véritable panier flottant, pour se rendre sur les autres îles. Le voyage était incertain voire mortel.
La vie est âpre à l'époque, les principales occupations sont la pêche, la collecte de varech pour faire de la soude et en temps de pluie on alterne avec le travail sur les champs de pommes de terre. Les fées sont légions, il faut prendre garde aux mauvaises rencontres. Pour autant l'auteur arpente les îles même de nuit.
Danes ces lieux tout est prodige, les tempêtes, les apparitions lointaines de navires que l'on course en vain sur des coracles, les pierres qui se déplacent la nuit, les chiens qui gémissent annonçant des drames.
Pas de division du travail, tout le monde sait brûler du varech, confectionner des pampooties (leurs chausses) tailler un cercueil...
C'est une vie de souffrances et de joies fugaces qui exacerbent les sentiments. On se lamente à grands cris lors des enterrements et on plaisante des menues drames des voisins et enfants.
La mort est familière.
Pour autant tout le monde fait bloc lors de la venue des gendarmes pour les expulsions.
L'auteur passa de nombreuses semaines, à différentes périodes, malgré la desolation des terres et l'incertitude de chaque voyage lui faisant côtoyer la mort. On frissonne en le lisant, détrempés par les embruns, on écoute avec suspicion les récits de fées et l'on frémit à chaque traversée. Cette lecture est un plaisir coupable au chaud dans le ferry du retour...
"Le coracle noir qui peinait lentement à travers ce monde gris et le doux sifflement de la pluie me valurent l'un de ces instants où nous saisissons, avec une immense détresse, quel court moment nous est laissé pour ressentir toute la merveille et toute la beauté du monde".
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