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22 fantômes. 22 parmi des dizaines d'autres, des centaines, qui sait ? Ces fantômes habitent le Louvre. Ils rôdent, flottent, près de certaines oeuvres, peintes, sculptées, dans la perspective des salles parfois... Leur destin les a conduit là, piégés en quelque sorte pour l'éternité. Enki Bilal les réincarne en les peignant, en racontant leurs vies, en biographe apocryphe. Du plus ancien, Ahmôsé Chepseset né en 1891 av. J.-C., au plus récent, Markus Dudke, mort en 1947... Soit un gouffre à travers les siècles de 3 838 ans.
"C'est comme si au Louvre on respirait du fantôme. A chaque coin de galerie, dans chaque parcelle d'oeuvre, dans tout ce que les yeux touchent, partout dans et sur le parquet, dans les replis des murs, dans tout l'air qui colle aux plafonds... En sortant du musée, on en recracherait des bribes immiscées dans les poumons le temps de la visite, du côté Rivoli ou sur les quais de Seine, bribes qui s'en retourneraient aussitôt à leur place, comme aspirées par leur destin, inamovibles témoins scellés à leur temps. Dans ce livre, ils sont vingt-deux fantômes. Pourquoi vingt-deux et pas un de plus ou un de moins, et pourquoi surtout, ceux-là et pas d'autres, beaucoup d'autres possibles? Pas de réponse... Ou alors, c'est peut-être ces vingt-deux là qui ont fait signe, qui ont voulu plus que les autres, qui ont joué des coudes, se sont imposés, faisant davantage corps avec leur oeuvre, leur espace. L'ambition chez les fantômes existerait donc. J'ai dû faire près de quatre cent photos, dans des périodes de musée désert, rare moment de privilège. Quatre cent photos, c'est peu. Il y avait donc déjà du tri, inconscient, peut-être déjà influencé par "eux". De grandes oeuvres emblématiques passées à la trappe. Peut-être leurs fantômes étaient-ils médiocres? Ou peut-être l'ai-je été moi... Car des regrets, j'en ai. Et chaque fois que je remettrai les pieds dans ce vivier magnifique, d'une manière ou d'une autre, je traquerai les manquants. Les photos choisies, légèrement désaturées ont été tirées sur toile. Les fantômes ont été révélés à l'acrylique et rehaussés au pastel. Leur biographie croise la vérité historique, mais peut parfois s'en éloigner, l'état de fantôme étant par essence apocryphe." ENKI BILAL
Enki Bilal s'est installé au Louvre entre décembre 2012 et mars 2013, cet ouvrage en est le témoignage... Il a photographié près de 400 oeuvres emblématiques, sous un angle souvent décalé, inattendu. Il en a choisi 23, qu'il a fait tirer sur des toiles de 50 x 60 cm. Sur ces tirages, il a peint à l'acrylique et au pastel... 22 fantômes.De ses déambulations au Louvre, il a tiré un fascinant album où il réinterprète à sa guise 22 oeuvres du célèbre musée.
Il n'y a pas véritablement d'histoire dans cet album, il s'agit plutôt un projet. Un concept artistique, empiriquement construit au fil des pérégrinations du dessinateur, dans le labyrinthe des salles du musée du Louvre. Bilal s'est senti totalement libre de faire exactement ce qu'il voulait, le directeur du Louvre Henri Loyrette lui ayant donné "carte blanche" pour imaginer une création au sein de son musée. Dans la préface des Fantômes du Louvre, Enki Bilal précise: "C'est comme si au Louvre on respirait du fantôme." C'est pour cela que Bilal a choisi de peindre 22 fantômes surgis d'œuvres qu'il a sélectionnées au fil de ses promenades artistiques au cœur du Musée. Et ce son vingt-deux personnages apocryphes au destin tragique qui surgissent des rencontres de l'artiste avec les oeuvres. Leurs visages blêmes, au regard tourmenté, semblent s'échapper des chefs-d'oeuvre du musée ou de ses salles. "J'ai dû faire 400 photos, indique -t-il dans la préface de l'ouvrage,dans des périodes de musée désert, rare moment de privilège. De grande œuvres sont passées à la trappe..." Mais les 22 fantômes qui émergent de la sélection de Bilal, sont majestueusement présents dans cet album. Il raconte leur(s) histoire(s). Vingt-deux histoires de fantômes...
L'artiste a imaginé dans le détail des destins pour ces personnages. "J'ai fait des recherches sur l'époque, la nourriture, les maladies", explique-t-il. A la Joconde, il a adjoint le fantôme d'Antonio di Aquila, "né en 1475, un amant de Léonard de Vinci, jaloux du jeune assistant Salai préféré par le maître", raconte Bilal. "Il finit par faire une tentative de suicide au pied de la Joconde inachevée, à laquelle il a rajouté des sourcils", imagine Bilal. Chaque oeuvre est ainsi accompagnée d'un long récit de la vie imaginée de ces personnages dont le point commun est qu'ils périssent tous de mort violente. La célèbre "Victoire de Samothrace", proche de la salle où sont exposées les oeuvres de Bilal, a droit elle aussi à son fantôme. Celle d'un sculpteur qui a taillé le corps de la statue en pensant à son épouse décédée mais qui meurt dans un accident de char avant d'avoir terminé son oeuvre. Bilal, qui émaille ses "biographies" de traits d'humour noir précise bien qu'il faut "se méfier de ce (qu'il) raconte". Il admet que "Les historiens pourraient (lui) en vouloir. (Il a) pris un certain nombre de libertés", mais c'est au bénéfice de la richesse et de la magie de sa création.
Ouvrage absolument fascinant, Les Fantômes du Louvre nous emporte page après page, toile après toile, dans un univers fantastique. Artiste visionnaire attaché à un univers plutôt futuriste, Enki Bilal s'est immergé, cette fois-ci, dans un lieu dédié à l'exposition du passé. Guidé seulement par son instinct, Bilal a arpenté le dédale des allées du Louvre, se laissant captiver autant par des œuvres célèbres que par des œuvres inconnues. Il est autant intéressé par "La Joconde" de Vinci que par "La Victoire de Samothrace" ou "Le Code de Hammurabi", voire même le buste du "Voltaire nu" par Jean-Baptiste Pigalle. Et de chaque œuvre émerge un fantôme dont il raconte la vie, "le destin brisé ou heureux". Ces portraits évanescents viennent "hanter" les œuvres originales. Comme si Bilal se faisait le nouveau Belphegor du Louvre. Déroutant, surprenant, insaisissable, l'artiste n'est jamais là où on l'attend. "La beauté côtoie l'effrayant. La douleur s'allie à la jouissance".
Cet album insinue en nous la certitude que Bilal a "vampirisé" le Louvre, qu'il y a greffé ses propres obsessions. La fusion de ces deux univers provoque des étincelles fascinantes et magnifiques. Et Enki Bilal accomplit l'acte magique, la performance artistique, visuelle et psychologique de modifier notre perception de certaines œuvres. Il faut revisiter le Louvre avec cet album en main pour découvrir un autre musée, d'autres œuvres dans les œuvres. Car le "happening" de Bilal est libre, ludique, original mais aussi profondément créateur et puissant...
Fantômes superposés à des œuvres du Louvre. Je n'accroche pas du tout.
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