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A partir de la tuerie qui a eu lieu à Newton dans le Connecticut en décembre 2012 et du pistolet comme symbole phallique, ce récit, fait dans la peau du tueur juste avant le drame, tente de comprendre comment un être humain a pu en arriver là et est devenu le symptôme d'un pays fantasmé mais souffrant.
Que les choses soient claires, d'emblée, pour éviter tout malentendu. Le livre d'Amanda Sthers n'est ni une enquête journalistique, ni un essai, ni un documentaire. Elle ne se réclame d'ailleurs d'aucun de ces trois genres, elle ne revendique qu'un seul titre, celui de romancière. On ne peut donc raisonnablement pas lui faire procès de ne pas avoir traité son sujet autrement que comme une romancière, et chercher dans son livre ce qu'elle n'a jamais prétendu y avoir mis.
De quoi s'agit-il, alors ? D'un roman, ou plutôt d'un récit, bref, incisif, très personnel, un double récit qui fait alterner des moments de la vie d'Adam Lanza avec les impressions de l'auteure et le processus d'écriture.
14 décembre 2012, dans le Connecticut. "Adam Lanza, un jeune homme de vingt ans tire quatre balles dans la tête de sa mère. Puis il prend la voiture garée devant leur grande maison de Newtown avant d'aller tuer vingt enfants et six adultes dans l'école élémentaire de Sandy Hook. Il est armé d'un fusil semi-automatique Bushmaster qui appartient à sa maman. Il est ainsi certain de faire le maximum de victimes en un minimum de temps. Le chargeur de trente balles, rapide à enclencher, peut en tirer deux à la seconde. La dernière est pour lui."
Ça, ce sont les faits, bruts, violents, redoutables de précision minimaliste. Et puis il y a les images, celles que l'auteur voit à la télévision. Et ce qu'elle voit, ce qu'elle entend, "ce n'est pas une info comme une autre, c'est une faille". On appelle cela banalement et abusivement un "fait divers". Cela n'a rien de divers. C'est infiniment plus que cela. C'est un symptôme, celui d'une société qui va mal, d'un pays qui est "schizophrène, (…), prêt à s'effondrer comme à se transcender".
C'est surtout "la violence sans revendication qui fait irruption dans l'écrin pur de l'enfance. C'est surtout l'idée du silence. Arriver dans un endroit sans bruit. Se garer, prendre son arme à feu. Entrer. Toujours dans le silence. Entendre des comptines peut-être ? Des rires d'enfants. Entrer quand même."
Et tirer. Et tuer.
Face à cela, un double mouvement : effondrement d'Amanda la maman ; fascination de Sthers l'écrivain.
Et au-delà de l'émotion, de l'horreur, avoir envie de comprendre, d'expliquer, de réfléchir. Dans les médias, "on dit des choses, on suppose beaucoup". L'explication de la violence véhiculée par les jeux vidéos est avancée.
L'auteure, elle, a une autre explication, qu'elle énonce dès les premières pages et développe, poursuit par la suite. Selon elle, "le schéma tordu qui s'installe dans la tête d'un tueur de la sorte ne peut être que la manifestation d'une frustration sexuelle." Elle se renseigne alors sur d'autres tueurs du même genre que Lanza, différents cas dans lesquels elle voit la confirmation de son explication basée sur "les fondamentaux de la psychanalyse".
À partir de là, commence le double récit, alternant chapitres en italiques retraçant le parcours de vie du tueur, et chapitres consacrés au cheminement de l'auteure qui décide d'aller aux Etats-Unis, de discuter avec une journaliste française sur place, d'aller voir les lieux, de s'intéresser à la question du port d'armes.
Deux démarches opposées immédiatement apparaissent : la journaliste "veut trouver des choses", l'écrivain veut "les ressentir". Cette dernière ne va donc pas véritablement enquêter, ni même vraiment chercher des réponses. Elle va chercher des impressions, des échos, elle ne veut pas voir, ce sont plutôt des choses en elle qu'elle est venue chercher sans savoir exactement quoi.
"Je ne sais pas quel genre d'être je suis pour être dans la nécessité d'écrire, de raconter, de comprendre ça, de faire des milliers de kilomètres pour m'esquinter le cœur."
Les érections américaines est un récit de ressentis, et uniquement cela. L'auteur propose, défend, son explication des faits, et laisse le lecteur libre d'y adhérer ou pas. Elle nous livre ses sentiments, ses impressions, ses réactions, invite le lecteur à cheminer avec elle. Se révèle essentiellement dans ce court ouvrage la nécessité d'écrire quand on ne peut pas comprendre. Parce que toutes les hypothèses, toutes les suppositions, toutes les thèses, si légitimes, si réfléchies soient-elles ne parviendront jamais finalement à expliquer réellement ce qui se passe dans la tête d'un tueur qui abat vingt enfants. Jeux vidéos, frustration sexuelle, schizophrénie, société malade, individualisme... on peut tout envisager, tout dire, sauf qu'on ne peut pas connaître la raison intime de ces gestes meurtriers. On peut capter des lieux, des visages, mais "cela n'a rien à voir avec ce qu'il y a à comprendre d'une histoire". On peut imaginer une partie de ce qu'il pourrait y avoir dans la tête d'un tueur, par rapport à sa biographie, aux faits, mais on n'y est pas.
Il y a les faits. On peut inventer le reste, "sauf le pire". Et on ne peut pas expliquer. Ni comprendre.
Le récit est donc bref, minimaliste, sans illusion et sans espoir. L'écrivain fait l'expérience de ses limites : elle sait "mettre (l'avenir) en mots, mais elle ne peut pas le guérir"...
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