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De l'économiste ou de l'écrivain, qui représente le mieux la réalité économique ? Si l'on en juge par le choix des intervenants qui s'expriment dans les journaux ou sur les plateaux de télévision, il semble que le discours économique ait imposé son hégémonie sur les représentations du monde. Mais il n'est pas inutile de rappeler que, bien avant la naissance de la science économique, on trouve des références à l'argent, au travail, à l'échange et à la production dans les textes littéraires, aussi loin qu'on remonte dans le temps. Dans la Bible et chez les auteurs de l'Antiquité, dans les fabliaux du Moyen Age et chez Montaigne, chez les moralistes de l'âge classique... les réflexions sur l'économie et sur la richesse abondent. L'argent est le ressort de L'avare et des scènes les plus fameuses des Fourberies de Scapin. Chez La Fontaine, le laboureur fournit à ses enfants la preuve posthume que "le travail est un trésor", et la cigale dispendieuse s'oppose à la fourmi travailleuse et épargnante. On pourrait multiplier les exemples, mais dans la littérature française, jusqu'au XVIIe siècle, les réalités économiques sont présentées le plus souvent comme des données, sans véritable interrogation sur leur genèse et leur logique.
Les choses commencent à changer au XVIIIe siècle. Turcaret, la comédie de Lesage créée en 1709, met en scène un fermier général - un collecteur d'impôts -, que sa prodigalité à l'égard d'une jeune baronne et ses manigances financières conduisent à la ruine : une charge contre la caste montante des financiers, qui ont d'ailleurs lancé une cabale pour faire interdire la pièce. Mais surtout, les débuts du capitalisme voient l'émergence concomitante de l'économie comme discipline et du roman moderne. Ces deux discours ont en réalité beaucoup en commun. "L'hypothèse commune au roman et à l'économie politique est que le monde social doit être expliqué, ou raconté, à partir des individus qui le composent". Comme l'économie, le roman met en scène des individus ordinaires, de simples bourgeois, voire des prolétaires, qui tentent d'améliorer leur condition. La contrainte économique, à laquelle échappaient largement les héros jusque-là, fait son apparition. Robinson Crusoé, le roman de Daniel Defoe publié en 1719, est particulièrement emblématique de ce nouveau paradigme. Les économistes ne s'y tromperont pas, qui feront du personnage de Robinson un véritable archétype de leur discipline, comme le rappelle Claire Pignol dans ce numéro.
Pour les romanciers du XIXe siècle, soucieux de produire une image fidèle de la société de leur temps, la prise en compte des réalités économiques, mais aussi des mécanismes qui les sous-tendent, deviendra une nécessité évidente. Les romans de Balzac foisonnent de détails économiques et financiers. Dans César Birotteau, par exemple, l'auteur décrit en détail l'enrichissement du parfumeur, puis sa faillite à la suite de spéculations malheureuses. Zola se pose en héritier de Balzac, comme le souligne Julia Defendini, qui confronte le message critique de ses romans avec le message théorique des économistes classiques.
Le roman réaliste n'a pas le monopole de la représentation de l'économie. D'autres genres s'en emparent, comme le roman noir. Dans un texte très personnel, Dominique Manotti explique comment un travail d'enquête et de documentation approfondi sur des épisodes particuliers de l'actualité économique sert de base à ses récits. Il arrive même, dans certaines situations, que l'auteur soit tellement bien familiarisé avec le contexte - ou qu'il soit capable de repérer les "signaux faibles" qui échappent aux spécialistes, engoncés dans les conventions de leur discipline - que son oeuvre précède l'événement, comme le rappelle Marc Mousli dans son article sur la littérature prémonitoire.
Si le roman aborde désormais toutes les réalités économiques, de la vie dans l'entreprise à la spéculation financière, c'est aussi parce que les auteurs sont, plus qu'hier, eux-mêmes soumis aux "lois du marché", comme l'écrit Laurent Quintreau. L'importance croissante que les maisons d'édition attachent à la rentabilité immédiate, l'impact des prix littéraires et de la promotion médiatique des ouvrages, la diversification des canaux de lecture rendent la condition de l'écrivain de plus en plus précaire.
Trois axes de recherche A côté d'un premier axe de recherche, qui s'attache à la représentation de l'économie dans les oeuvres littéraires - à l'économie dans la littérature -, un deuxième axe se dessine donc, celui d'une économie de la littérature, qui ausculte le fonctionnement de la chaîne éditoriale, de l'auteur au lecteur. Ces deux figures du dialogue entre littérature et économie, qui alimente un champ de recherche fécond auquel le texte de Martial Poirson nous introduit, ne l'épuisent cependant pas.
Considérer l'économie comme littérature, autrement dit comme discours cherchant à toucher les affects, ouvre un troisième champ de réflexion. Marianne Rubinstein déplore le faible souci de lisibilité affiché par les économistes académiques et le retrait de l'auteur derrière des normes d'écriture qui privilégient l'article court, cosigné, en anglais et en partie formalisé. Pourtant, le souci littéraire semble faire son retour chez certains économistes, comme le relève Martial Poirson. Celui-ci souligne aussi combien la science économique se nourrit d'allégories, comme celle de la ruche, et combien la vulgate économique charrie des métaphores et des images. Cette "rhétorique économique" qui conquiert insensiblement les esprits masque les rapports de domination. A charge pour l'écrivain de débusquer cette "colonisation progressive du langage" et cette "reconfiguration de l'imaginaire"2. C'est le cas notamment de la littérature noire américaine des années 1960 et 1970, dont Jean Dellemotte décrit la charge contre la représentation occidentale du monde et son anthropologie économique désespérément réductrice.
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