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En plein Kentucky rural, la Gasping River déploie son cours au milieu des falaises de calcaire et des collines couvertes de champs de maïs et de soja. Un soir où il remplace son père, qui conduit le ferry parcourant la rivière dans les deux sens, le jeune Beam Sheetmire tue un passager qui tente de le dévaliser. Mais sa victime est le fils de Loat Duncan, puissant homme d'affaires local et assassin sans pitié. Toujours accompagné de ses chiens menaçants, Loat est lui-même porteur d'un lourd secret concernant le passé de Beam. Aidé par son père, le jeune homme prend la fuite, tandis que Loat et Elvis, le shérif, se lancent à ses trousses.
Challenge GallmeisterMoiteur est le sentiment que j’ai eu quand j’ai lu ce verger de marbre. Le marbre implique de la froideur et en lisant ce texte, j’ai ressenti de la chaleur, de la moiteur. Cette histoire de famille, de fuite nous entraîne sur les rive de la gasping river. Beam est un jeune garçon qui, un soir, a pris le relais de son père Clem. Celui-ci s’occupe du ferry qui fait la traversée de ce fleuve. Il va prendre à bord un étrange passager et va involontairement le tuer. Il va devoir alors prendre la fuite mais on ne va pas le suivre dans cette quête, cette fuite. On va surtout découvrir le milieu dans lequel il vivait avec ses parents. Et on va en savoir un peu plus sur cette ville et les rapports entre chacun. Et bien sûr, savoir qui est cet étrange individu, qui est tué dès les premières pages. J’ai aimé découvrir ce monde de l’Amérique profonde, où le passé reste présent, où la violence est latente et où la misère sociale se ressent dans des saloons, dignes de certains westerns. Un polar rural car on se retrouve dans les zones de forêts, de maquis. Et surtout de beaux, d’étranges, de troublants personnages. On ne lâche pas ce livre pour savoir qui est qui, des pères (de sang, de choix, d’adoption), des fils (de sang, d’adoption). Un sacré roman à plusieurs niveaux de lecture mais dans lequel paradoxalement on ne se perd pas. « Les hommes ont besoin de croire qu’il y a une forme de miracle à l’œuvre dans le monde. » (p189)
J’ai lu Le verger de marbre comme on lirait une tragédie : c’est le récit d’une fuite, celle d’un homme qui en tue un autre.
Beam Sheetmire est décrit dès les premières pages comme différent des membres de sa famille : il ne ressemble pas vraiment à son père Clem dont le métier consiste à faire traverser à quelques clients, à bord d’un ferry, la Gasping River dans le Kentucky.
Clem en Charon, faisant franchir le Styx aux morts s’ils veulent trouver la paix de l’âme ? Le rapprochement est bien tentant…
Cinq dollars le passage, à peine de quoi se payer une bière et un paquet de cigarettes : « Beaucoup de peine pour pas grand-chose »…
Parfois, c’est Beam, son fils, qui s’en occupe. Encore ado, « un sang fiévreux dans les veines » et souffrant de narcolepsie, il ne sait pas trop quoi faire de lui.
Or, une nuit, il est abordé par un inconnu qui refuse de payer, finit par accepter et tente finalement de lui voler sa caisse. Beam le tue. Son père lui dit de fuir. Il obéit.
Cette fuite sera, pour le jeune garçon un peu paumé, un espace de rencontres, d’apprentissages et de révélations. La lumière se fera progressivement. Il me fait penser à Œdipe fuyant les prédictions des prêtres de Delphes afin d’échapper à son destin et qui découvre, mais trop tard, qu’il a assassiné son père et épousé sa mère. « Plus on s’éloigne de la vérité, plus c’est dur d’y revenir » dira un des personnages… Il y a de l’Œdipe dans Beam et de la mythologie dans Le destin de marbre.
Beam rencontrera des hommes et des femmes qui lui voudront du bien parfois, du mal souvent. Il ne comprendra pas pourquoi on veut l’aider et finira progressivement par saisir, mais trop tard, pourquoi on veut le tuer.
Et puis, il y a ce personnage étrange et fascinant qui porte un costume trois-pièces, un chauffeur de camion, dont personne ne comprend les propos métaphoriques, énigmatiques et lourds de sous-entendus, un homme toujours présent là où on ne l’attend pas, dans un lieu où il n’a rien à faire, où il ne connaît personne. Est-il le Mal, est-il la Mort, celui qui dira au shérif : « Vous pouvez trouver ça difficile à croire, mais il y a un ordre qui vous dépasse. Vous en faites pas partie. », celui qui apparaît et disparaît « comme s’il n’avait jamais été » ?
Beam rencontre aussi Pete Daugherty, le ramasseur de ginseng, celui qui raconte des histoires et semble vouloir le prévenir : les terres sont devenues maudites, il faut partir, s’éloigner… Le vieil homme soigne, apaise, rassure : il est l’incarnation du Bien.
Autre figure du bien : celle du shérif Elvis Dunne, un pauvre Créon fatigué, chargé de faire régner un ordre auquel il ne croit plus vraiment, lui qui, comme l’oncle d’Antigone, se plaît à collectionner les antiquités et à les admirer, unique moment de paix …
Qui va gagner dans ce combat de forces antagonistes ?
Les tragédies antiques données lors des fêtes de Dionysos commençaient par le sacrifice du bouc, le mot « tragédie » signifiant d’ailleurs en grec « chant du bouc ». Or ici, l’animal est bien présent, attaché au poteau du bar de Daryl où règnent les caïds du coin, les prostituées et les paumés. Il ne sera pas mis à mort mais, dans une scène quasi surréaliste, on lui enlèvera un rein qu’on lui donnera à manger.
Ultime perversion.
Est-ce à dire que le monde moderne ne cherche même plus à apaiser la colère des dieux par des offrandes, que le destin -le fatum- nommé ici misère, alcoolisme, banditisme, prostitution, meurtre est devenu inéluctable ?
Le verger de marbre est un roman fort, puissant qui met en scène des déshérités, des gens usés par la vie, piégés par une existence glauque dans laquelle ils s’enfoncent irrémédiablement chaque jour.
C’est une tragédie : la règle des trois unités n’est pas loin d’être respectée.
Unité de temps : en quelques jours, l’affaire est bouclée.
Unité de lieu : les personnages semblent incapables de quitter les terres maudites où ils vivent. Ils tournent en boucle et reviennent sans cesse au point de départ comme piégés dans un monde hors du monde, un monde dont on ne sort pas.
Unité d’action : fuir, fuir, fuir.
C’est fort parce que c’est serré, étouffant, mystérieux, tendu, comme habité par un mal dans lequel les personnages restent empêtrés.
Beam l’innocent ne fait finalement que payer les fautes de ses géniteurs. En cela, il est un homme tragique. Il subit. « - J’ai bien essayé de vivre comme il fallait, dira sa mère, mais il y a ce monde. Il te piège, il t’attrape des fois, tellement qu’on dirait que les choses qu’on fait sont pas vraiment nous. Elles sont ce que quelqu’un d’autre aurait fait. »
Façon naïve de sentir qu’on est pris dans les filets, qu’un oiseau de mauvais augure plane au-dessus de notre tête comme pour signifier qu’on est le prochain sur la liste.
Les personnages de l’oeuvre sont présentés comme des êtres complexes, difficiles à cerner : on les découvre progressivement, au détour du chemin, d’une phrase, d’une histoire qu’ils racontent. On ne comprend pas toujours leurs motivations, on cherche des raisons, on émet des hypothèses… Ils ont une épaisseur et une force incroyables.
Les dialogues acquièrent parfois une dimension philosophique. Les acteurs de cette tragédie peinent souvent à se comprendre, à comprendre les autres, à saisir le sens de leur propre existence.
Leur malheur est à l’image de la Gasping River, sans fond. « Les choses peuvent pas couler sans s’arrêter » fait remarquer Beam. La vie lui apprendra que si, que l’on peut tomber longtemps, très longtemps, sans jamais s’arrêter…
Et puis enfin, seul refuge finalement dans ce monde terrible, la nature. Elle est là, omniprésente, dans sa beauté irréelle, sa sensualité infinie, sa force et sa violence sauvages et la langue d’Alex Taylor ainsi que la superbe traduction d’Anatole Pons l’enchantent, la poétisent, la transforment en personnage quasi central de l’histoire dans une langue lyrique envoûtante…
Je finirai en citant les paroles du Chœur dans Antigone d’Anouilh qui dit ceci : « Dans la tragédie on est tranquille. D’abord on est entre soi. On est tous innocents en somme ! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ; qu’on est pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier,-pas à gémir, non, pas à se plaindre,- à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore. »
Pas de doute, on y est… et c’est sublime !
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Voilà encore un très bon roman des éditions GALLMEISTER... Je sais, à force, vous allez penser que je perds mon sens critique quand je lis un ouvrage de cet éditeur !
Mais pas du tout; je vous mets au défi de lire LE VERGER DE MARBRE et de m'en dire du mal... si ce n'est pour évoquer celui qui jalonne cette fuite sanglante et tragique qui met en scène Beam, ou celui qui habite les protagonistes de ce roman noir.
Au fin fond du KENTUCKY, Beam, jeune homme désoeuvré, manoeuvre le ferry familial pour faire traverser la GASPING RIVER afin d'aider son père. Un soir, il fait passer un jeune inconnu qui tente de lui voler la caisse du ferry et l'agresse. Beam rispote et le tue. Cet inconnu malintentionné s'avère être le fils du parrain local, Loat DUNCAN. Aidé par son père Clem, Beam prend la fuite, espérant échapper à la vengeance du père et tente de se soustraire à ses poursuivants. Le jeune homme se retrouve seul face à son destin et paiera au prix fort son méfait et sa filiation.
Alors autant le dire tout de suite : en ouvrant ce roman, j'ai quitté ma zone de confort... Je ne suis pas spécialement attirée par la collection NEONOIR de GALLMEISTER et surtout par les intrigues policières qui se déroulent dans l'Amérique profonde, et j'avoue avoir hésité longtemps avant d'accepter la lecture en avant-première de cet ouvrage.
Et bien parfois, être un peu bousculée, changer ses habitudes de lecture a du bon... et pour cette fois-ci du très bon !
En effet, malgré la noirceur qui habite les personnages de cette épopée meurtrière, la violence omniprésente tout au long du récit et le manque d'humanité flagrant des hommes qui apparaissent dans cette histoire, j'ai beaucoup aimé la progression de l'intrigue, la description psychologique de ces êtres sans foi ni loi et l'évocation de la nature qui vient parfaire le décor.
Sincérement, Alex TAYLOR a su créer une ambiance tendue sans jamais être sordide malgré des héros plus que détestables, il a su décrire à la perfection la moiteur de l'été au KENTUCKY, les éléments naturels des abords de la GASPING RIVER, si bien qu'à chaque nouveau rebondissement, le lecteur est capable de visualiser parfaitement la scène, de sentir la tension et la peur qui envahissent les victimes...
La plume d'Alex TAYLOR est incisive, les dialogues crus et directs, ses descriptions des scènes de violence sans concession. Le rythme du récit est donc haletant telle l'urgence de fuir que doit ressentir Beam. L'alternance des points de vue et d'action qui s'enchaînent au fil des chapitres permet au lecteur de reprendre son souffle .
Vous l'aurez donc compris, j'ai aimé être dérangée dans ma routine de lecture par cet ouvrage vers lequel je n'aurais pas dirigé mon choix prioritairement... mais celui-ci a tellement de qualités qu'il ravira les adeptes du genre et pour ma part m'a finalement beaucoup plu....
Mymy
http://cousineslectures.canalblog.com/archives/2016/09/07/34278159.html
Gallmeister : toujours un coup de cœur ! En effet, une autre pépite vient de voir le jour dans cette maison d'édition, dans cette magnifique collection NeoNoir : Le Verger de marbre est un roman noir magnifique, comme je les aime : déchirant d'émotion, de noirceur dans un coin paumé des States.
Alex Taylor réussit le tour de force d'être dans la lignée des plus grands mais d'apporter sa propre pierre à l'édifice. Si Donald Ray Pollock en fait l'éloge, vous pouvez me croire : il faut le lire (et encore plus si je le confirme :p). Il y a un respect scrupuleux du genre mais aussi une ambiance extrêmement pesante et bien ficelée, la patte de Taylor est présente à tout instant.
Tout d'abord parlons des protagonistes : j'aime énormément le fait de ne pas suivre uniquement le héros, de pouvoir voir les différents personnages de l'historie à l'image de Deep Winter de Samuel W. Gailey (que je vous recommande) : le lecteur est ainsi omniscient et peut suivre l'ensemble des actions essentielles de l'intrigue tout en apprenant plus sur la personnalité des êtres qui composent l'histoire.
Il y a Beam, le personnage principal, celui qui va déclencher l'ensemble des meurtres à venir en étant lui-même le premier meurtrier (certes involontaire). Sa jeunesse excuse parfois sa lâcheté, sa peur et sa colère intrinsèques le guident sans cesse et malgré ses faux pas on ne peut que l'aimer. J'ai aussi beaucoup apprécié le shérif Elvis ainsi que Clem et Pete. Après comme dans tout bon roman noir il y a des personnages très sombres comme le routier, Loat, Daryl; des personnages plus ambivalents comme Derna la mère. Tous très intéressants, fascinants dans leur genre !
Dans le style, Alex Taylor est roi : entre des dialogues qui sentent la terre et la bière, il y a des descriptions et des réflexions sublimes. Une prose magnifique d'autant plus parce qu'elle est traduite par Anatole Pons ! J'ai été vraiment émue par certains extraits qui permettaient de rentrer dans les pensées de ces êtres perdus dans un monde si beau et si vaste et si cruel. Il y a de la philosophie dans cette histoire de sang et de meurtres. Une intrigue qui fait monter l'angoisse au fil des pages, qui révèle le véritable fond de chacun, qui intègre le lecteur. Une histoire qui prend aux tripes.
En définitive, faites confiance à cette maison d'édition, laissez-vous guider le long d'une rivière du Kentucky, dans les eaux sombres et terrifiantes dont on ne revient pas toujours vivant... Coup de cœur !
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