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Convoqué par sa vieille amie Diane, Maxime Ordadek, menacé par la cinquantaine, interrompt son exil pour retraverser l'Atlantique. Et avec Diane, c'est tout Valmondois, domaine de l'Oise et de sa décadente jeunesse, qui s'engouffre dans ces quelques jours parisiens à la recherche du temps (et de l'amour) perdu. Comme si Proust s'égarait du côté de chez Strindberg. Mélancolique, férocement drôle et grinçant.
C'est Diane (qui " parle avec les dents du fond ") qui convoque Maxime Ordadek à Valmondois, lieu de toutes les décadences de leur commune jeunesse, alors qu'il coule un tranquille exil dans une Université de la côte Est des Etats-Unis. Il vient parce que c'est Malauzet, leur vieux professeur de philosophie dont l'enseignement a laissé sur lui son empreinte, qui doit être honoré et que la fête sera l'occasion de retrouvailles inespérées. Perspective néanmoins douce-amère :
" Malauzet : je m'étais réjoui de le revoir et soudain, je me sentais humilié pour lui, épinglé de ses pââhlmes académiques, avec du violet tout autour, de la cravate aux chaussettes, du veston à la figure, cerné d'hômmâhges... La mort qui n'est peut-être que la patience du temps est sans risque, alors pourquoi faire tant d'histoires ? Les vieux, ces pauvres en vrai, sentent bien qu'on ne cherche qu'à se débarrasser d'eux. Remarquez comme leur regard en redevient subitement expressif. Peur de la vie, peur de la mort. Peur de la peur, plus sûrement. Et puis bande-annonce de leur disparition, en boucle. " Alors pour Maxime, déjà perturbé par la menace de la cinquantaine, la perspective de cette grande réunion des " anciens " a comme un arrière goût, échos de chant du cygne (ou de la mare aux canards ?) plutôt que revival triomphant :
" L'idée de retrouver une petite clique de lycéens défraîchis, leurs physionomies de vinaigre, chauves à faire peur, visages flétris, fronts ruinés, ventripotents à bretelles et cons à se vanter du beau temps qu'il faisait, ça, oui, ça me décourageait. " Et pourtant, à la recherche du temps perdu, c'est avec un amour mort qu'il va se retrouver nez à nez. Car Marthe, au premier coup d'oeil, pour lui, est un voyage dans le temps et dans les sens tandis qu'elle lui oppose une souveraine indifférence qui pourrait être une sorte d'amnésie.
Il faudra la tentative de suicide rocambolesque, spectaculaire et néanmoins quasi-traditionnelle de l'inénarrable Magdeleine pour mettre Maxime sur la voie du rafistolage - qui prend chez lui des allures d'entreprise proustienne.
Et sa dérive, entre bilan et souvenirs, culminera dans une authentique et jubilatoire scène de bal, qui troque les valses de Vienne pour une irrésistible et pédagogique rumba, hobby canaille auquel s'adonne à heures fixes la petite bande en pleine débandade. L'occasion pour l'auteur de déployer son art de l'esquive dans un style aussi somptueux que moqueur, où la satire ne prend jamais tout à fait le pas sur l'autodérision. Et de laisser exploser son amour des seconds rôles, à travers une savoureuse galerie de portraits où la moindre silhouette s'imprime durablement dans les mémoires.
Sentimental mélancolique, Maxime va-t-il savoir arracher la possibilité d'un avenir à Marthe, étudiante séduite autrefois, trop tôt, trop brièvement, et trop lâchement abandonnée ? La vie offre-t-elle des secondes chances, des nouveaux départs, quand vient la pente descendante ? Qu'est-ce qui, malgré toutes les distances prises et soigneusement entretenues entre soi et soi, fait si impitoyablement coller l'identité aux talons ? Tels sont, à l'heure de la maturité non-ignorable, quelques uns des enjeux de ce séjour parisien pour Maxime qui, comme d'autres lestent leurs poches pour ne pas s'envoler, se trimballe les cendres d'un vieux copain récemment mort avec la mission de les disperser dans la Seine (les Américains sont sentimentaux...).
Finalement, Le Sérieux des nuages est peut-être le désopilant roman du tragique exil intérieur auquel personne n'échappe. Denis Baldwin-Beneich a l'insolence d'en faire un divertimento d'une férocité et d'une élégance rares.
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