La bibliothèque élégante d'un auteur de polars et thrillers
LES GRANDS TEXTES DU XXe SIÈCLE Heureux d'échapper à la monotonie de son académie militaire, le lieutenant Drogo apprend avec joie son affectation au fort Bastiani, une citadelle sombre et silencieuse, gardienne inutile d'une frontière morte. Au-delà de ses murailles, s'étend un désert de pierres et de terres desséchées, le désert des Tartares.
À quoi sert donc cette garnison immobile aux aguets d'un ennemi qui ne se montre jamais ? Les Tartares attaqueront-ils un jour ? Drogo s'installe alors dans une attente indéfinie, triste et oppressante. Mais rien ne se passe, l'espérance faiblit, l'horizon reste vide. Au fils des jours, qui tous se ressemblent, Drogo entrevoit peu à peu la terrible vérité du fort Bastiani.
La bibliothèque élégante d'un auteur de polars et thrillers
J'ai lu Le Désert des Tartares dans une traduction de 1949 qui m'a parue un peu datée. Certaines tournures de phrases m'étaient peu naturelles. Cependant, bien perceptible fut la dimension oppressante de ce récit au cours duquel il ne se passe rien ou presque. Le fort Bastiani matérialise une vie manquée, une existence passée à attendre que quelque chose survienne, qui n'arrive pas, ou trop tard. Giovanni Drogo ne prend pas de risques, ne s'empare pas de son existence, et subit l'écoulement du temps et l'effet des années sans réellement vivre quoi que ce soit, au motif que quelque chose pourrait se passer. Vertigineux.
Il y a du Kafka de ce récit d'un voyage immobile. Une frontière où rien ne se passe, histoire d'un ennui incommensurable. Vision désenchantée et absurde.
Parmi les grands textes du XXe siècle, « Le désert des Tartares » est un roman magistral dont se sont inspiré et continue à s’inspirer maints écrivains.
Roman d’atmosphère tendue, relatant la vie d’un soldat au sein d’une garnison isolée dans un vieux fort construit au sommet d’une crête montagneuse sise sur la frontière d’un désert avec pour fond la notion d’espace-temps brossé avec un rare talent d’écriture.
Une mise en haleine de l’Homme dans son espace-temps sous-tendu par une quête initiatique.
« Ce fut un matin de septembre que Giovanni Drogo, qui venait d’être promu officier, quitta la ville pour se rendre au fort Bastiani, sa première affectation. (…) C’était là le jour qu’il attendait depuis des années, le commencement de sa vraie vie. »
Jeune officier, Drogo rêve de gloire, d’argent, de jolies femmes, de faste. Le fort Bastiani doit être grandiose mais se révèle être une très vieille bâtisse de seconde catégorie bordant un désert au bout d’une frontière morte qui ne donne pas de souci, le désert des Tartares nourrissant une légende du temps jadis. Un fort qui ne sert à rien.
A son arrivée Drogo écrit à sa mère.
« (…) ‘Je suis arrivé épuisé après deux jours de route. (…) Le fort est lugubre, il n’y a aucune localité à proximité, il n’y a aucune distraction et aucune gaieté.’ Voilà ce qu’il allait lui écrire. Mais Drogo se souvint de sa mère : à cette heure-ci elle pensait justement à lui et se consolait en songeant que son fils passait agréablement son temps au milieu d’amis sympathiques et, peut-être, sait-on jamais ! en aimable compagnie. Elle se l’imaginait certainement satisfait et serein. ‘Chère maman (…) Je suis arrivé avant-hier après un excellent voyage. Le fort est grandiose…’ Oh ! lui faire comprendre la désolation de ces remparts, cette vague atmosphère de punition et d’exil, ces hommes étrangers et absurdes. Au lieu de ça : ‘Les officiers d’ici m’ont accueilli affectueusement’, écrivait-il. ‘L’adjudant-major lui-même a été très gentil (…). Et sa chambre, le bruit de la citerne, la rencontre avec le capitaine Ortiz, et la terre du Nord si désolée ? Ne fallait-il pas expliquer à sa mère les règlements de fer de la garde, la redoute dénudée dans laquelle il se trouvait ? Non (…) même à elle il ne pouvait avouer les craintes obscures qui ne le laissaient pas en repos.»
Le soldat Drogo va subir la force écrasante des hiérarchies. Ses ambitions mourront et, formaté par le règlement, il finira par être heureux en se sentant sécurisé dans une vie rythmée d’habitudes et même s’attacher à cette vieille bâtisse humide et croulante.
« (…) il y avait déjà en lui la torpeur des habitudes, la vanité militaire, l’amour domestique pour les murs quotidiens. Au rythme monotone du service, quatre mois avaient suffi pour l’engluer. Le tour de garde, qui, les premières fois lui paraissait une corvée insupportable, était devenue une habitude ; peu à peu, il avait appris à bien connaître les règlements, les façons de s’exprimer, les manies des supérieurs, la topographie des redoutes, l’emplacement des sentinelles, les coins abrités du vent, le langage des trompettes. Il retirait un plaisir particulier de la maîtrise du service, appréciant l’estime croissante que lui portaient soldats et sous-officiers…»
Des habitudes qu’il avait fini par apprécier sans soupçonner « que la vie du fort engloutissait les jours l’un après l’autre, des jours tous pareils, avec une tristesse vertigineuse. Hier et avant-hier étaient semblables (…) Ainsi, se déroulait à son insu la fuite du temps »
Quatre mois puis quatre ans avant que «(…) d’autres comme vous, (…) ont pris l’habitude d’être au fort, ils y sont restés prisonniers, ils n’ont plus été capables d’en bouger. Vieux à trente ans, en fait. (…) Vous êtes jeune et vous le serez encore longtemps, c’est vrai. Mais moi, je ne m’y fierais pas. »
Drogo va entendre la mise en garde du capitaine Ortiz. Il va retourner chez lui en ville, chez sa mère. Il va se sentir étranger et s’ennuyer. Avec le temps, ses amis ont changé et une distance s'est installée entre eux. Le fort Bastiani va cruellement lui manquer et il y retournera comme si ces murs jaunes et suintants le fascinant, l’attiraient pour y vivre son destin.
« Ainsi, une fois encore, Drogo remonte la Vallée du fort Bastiani et il a quinze ans de moins à vivre. (…) le temps a fui si rapidement que son âme n’a pas réussi à vieillir. Et l’angoisse obscures des heures qui passent a beau se faire chaque jour plus grande, Drogo s’obstine dans l’illusion que ce qui est important n’est pas encore commencé. Giovanni attend patiemment, son heure qui n’est jamais venue, il ne pense pas que le futur s’est terriblement raccourci, que ce n’est plus comme jadis, quand le temps à venir pouvait lui sembler une immense période, une richesse inépuisable que l’on ne risquait rien à gaspiller. »
Un espace intérieur fait de sable et d’eau où seules les brumes s’inviteront inquiétantes et merveilleuses, avec la neige, le soleil et les vents qui rythmeront les saisons de toute une vie…
On attend l’événement guetté jour et nuit par des sentinelles qui finissent, terrassées par l’ennui quotidien, d’attribuer des lumières lointaines au rang d’illusions jusqu’au moment où on se rend à l’évidence que le pays voisin a construit une route menant au fort.
« Mais on ne vit pas s’avancer d’armée. Il ne restait à travers le désert des Tartares que le ruban de la route, singulier signe d’ordre humain dans cette séculaire solitude. (…) Ainsi la plaine demeura immobile, et immobiles les brumes septentrionales (…) Et pourtant le temps courait, il allait et venait par le monde, flétrissant les belles choses ; et personne ne parvenait à lui échapper même pas les enfants nouveau-nés qui n’ont pas encore de nom. »
Drogo est devenu Capitaine. Son visage s’est ridé et ses cheveux ont commencé à devenir gris. Le temps qui s’égrène régulier comme court le courant d’un fleuve sans repos pourrait avoir raison de son immobilisme car, de façon très insolite, la très attendue bataille de tout un chacun sera au rendez-vous.
Une chute magistrale.
Une lecture qui ébranle, submerge, fait s’ébahir d’admiration et ne peut que rester graver dans la mémoire. Edité en 1940, c’est un livre indémodable. Un uppercut !
Une joie absolue de ne pas être passée à côté de ce livre.
Forcément cinq étoiles subjectives d'un des "must have" (read this book!) de mon top 10.
Première lecture à l'adolescence, au lycée, imposée par une professeure de français, à la fois trop talentueuse pour une classe d'élèves en filière scientifique a priori peu motivés et trop peu pédagogue pour partager son amour pour un tel joyau. Première lecture paradoxalement déjà trop tardive, à quinze ans, avec beaucoup de temps déjà gaspillé et perdu à jamais. Et pourtant comment apprécier la gravité de ce propos du temps qui passe, inutile, inlassablement et irrémédiablement, à quinze ans ?
C'est la magie de ce livre : la construction narrative exalte bien l'impatience, l'ennui, le vide, l'accélération progressive du rythme et puis le constat final du "trop tard". J'ai été touché à jamais par la fulgurance de ce propos du temps qui n'allait pas encore assez vite mais qui me surprendrait plus tard d'être déjà passé.
Cette prise de conscience ne m'a jamais quitté et chaque relecture est délicieuse, jamais vieillie ni abîmée, et j'en ressors à chaque fois mieux centré sur ma ligne de temps.
Attendre, espérer, désespérer, croire, ne plus croire, abandonner, paniquer... avec le temps que l'on construit soi-même.
Relu, très vite mais intensément , cette semaine , cette magnifique introspection : une réflexion sur la solitude et la quête de l'impossible
A quelques jours de prochaines vacances ... dans le désert
Le plaisir de lire un grand auteur. La solitude, l'imaginaire, l'attente, la force font de ce désert une fable incontournable.
C'est une histoire bien étrange que nous livre là cet auteur italien ! Celle d'un militaire affecté au fort Bastiani, une vieille citadelle situé à coté du désert des tartares. Il y passera toute sa vie à attendre qu'une guerre se déclare. C'est donc un livre sur le temps qui s'écoule, monotone, sans fin, jusqu'au dernier grain de sable du sablier même si ça n'a rien à voir avec Proust qui pour lui les souvenirs sont plus importants que la vie elle-même.
Et cette attente ... cette attente interminable dans ce désert. Très bon livre.
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