Carole Martinez, auteur, jurée du Prix Orange du Livre 2017
« Écoutez, mes soeurs !
Écoutez cette rumeur qui emplit la nuit !
Écoutez... le bruit des mères !
Des choses sacrées se murmurent dans l'ombre des cuisines. Au fond des vieilles casseroles, dans des odeurs d'épices, magie et recette se côtoient.
Les douleurs muettes de nos mères leur ont bâillonné le coeur. Leurs plaintes sont passées dans les soupes : larmes de lait, de sang, larmes épicées, saveurs salées, sucrées. Onctueuses larmes au palais des hommes ! » Frasquita Carasco a dans son village du sud de l'Espagne une réputation de magicienne, ou de sorcière. Ses dons se transmettent aux vêtements qu'elle coud, aux objets qu'elle brode : les fleurs de tissu créées pour une robe de mariée sont tellement vivantes qu'elles faneront sous le regard jaloux des villageoises ; un éventail reproduit avec une telle perfection les ailes d'un papillon qu'il s'envolera par la fenêtre ; le coeur de soie qu'elle cache sous le vêtement de la Madone menée en procession semble palpiter miraculeusement...
Frasquita a été jouée et perdue par son mari lors d'un combat de coqs. Réprouvée par le village pour cet adultère, la voilà condamnée à l'errance à travers l'Andalousie que les révoltes paysannes mettent à feu et à sang, suivie de ses marmots eux aussi pourvus - ou accablés - de dons surnaturels...
Le roman fait alterner les passages lyriques et les anecdotes cocasses ou cruelles. Le merveilleux ici n'est jamais forcé : il s'inscrit naturellement dans le cycle tragique de la vie.
Carole Martinez, auteur, jurée du Prix Orange du Livre 2017
Prix Goncourt des lycéens 2011 pour son roman très remarqué, Du domaine des murmures, Carole Martinez répond à l'interview exclusif Lecteurs, "autour d'un verre" au café des Editeurs à Paris.
La conteuse laissera pour traces vos frissons
Soledad est la petite dernière de la fratrie de la famille Carasco.
Dans les années 30, au sud de l’Espagne Frasquita n’est pas une jeune fille comme les autres, possède un don qu’elle devra transmettre de fille en fille, selon un rite très précis et l’objet sera une boîte à n’ouvrir que neuf mois après la cérémonie qui se fait toujours à la période du Carême.
Frasquita sait repriser comme personne, puisque chaque chiffon qui passe entre ses mains devient une œuvre d’art.
Magicienne ou sorcière cela dépend de qui vous en parle.
Marié à José un forgeron qui lui aussi aurait eu de l’or entre les mains si son esprit ne s’était égaré, s’il avait su voir le trésor qui habitait sa maison.
Les grossesses s’enchaînent et les délivrances sont l’affaire de toutes. Après deux filles, un garçon est venu (il est roux autant dire marqué par le diable) puis trois filles suivront.
Lorsque José mise Frasquita comme enjeu de ses paris, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, déjà bien plein.
Frasquita prend sa marmaille sous son aile et traverse le pays et se trouve confronter et enrôler dans la révolution sociale qui secoue ce pays.
« Le monde était calme encore ce soir où la mère y entra. Certes, les mots étaient déjà prononcés, des couteaux s’aiguisaient dans l’ombre, le silence pleurait. Le ventre du monde vrombissait de milliers de prières murmurées, la foule des désespérés contenue par la peur, par les traditions, par des siècles d’asservissement ne parvenait plus à dégorger sa peine. Le monde était calme, mais trois sacs de craie allaient suffire à l’embraser. »
Cette révolution est à l’image du séisme qui secoue sa vie.
Soledad raconte ces générations de femmes qui transmettent la vie et plus encore.
Dans ce décor du sud espagnol, où la vie est aride, dont les vies ordinaires peuvent ressembler à des épopées avec une myriade de joies et de peines.
Une vie comme une vaste broderie, qui fait chatoyer les couleurs, qui dans chaque point peut dissimuler autant de secrets que de trésors.
A chacun de savoir lire.
Structurer en trois parties, cette narration épouse le cycle de la vie.
Chacun des enfants de Frasquita développera un don qui lui sera particulier.
L’auteur brosse des portraits noirs mais aussi sait par la magie de ses mots faire des femmes de cette famille des femmes flamboyantes.
Ce réalisme magique n’est pas sans rappeler Cent ans de solitude de Garcia Marquez, ce roman a le souffle des grandes épopées.
La condition féminine de cette époque est justement décrite et son pendant étant de vivre sa vie en se détachant du regard des autres, c’est cela aussi que la mère transmet à ses filles et Soledad en est l’exemple ultime.
« Je suis ce dernier vers, cette main rouge, enluminée de henné, qui mit fin à notre course folle, je suis celle qui obligea ma mère à se coucher. Je suis le bout du voyage ? Je suis l’ancre et je ne peux qu’écrire pour que meure l’histoire qui nous berce et nous mure et fait de nous des êtres différents, intraduisibles et étranges à tous. »
La sonorité de cette écriture nous happe, nous envoûte, nous entraîne, et l’imparfait du subjonctif qui danse sous nos yeux chante merveilleusement à nos oreilles.
C’était une relecture pour moi, et si vous n’avez pas lu cette merveille, n’hésitez plus.
Comme l’écrivait Gabriel Garcia Marquez :
« Je n’ai jamais oublié qu’on ne devait lire que les livres qui nous obligent à les relire. »
Pour moi, il n’y a pas plus belle définition de la littérature et Carole Martinez fait partie de ces écrivains rares qui subliment les relectures.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2023/03/30/le-coeur-cousu/
Un roman tellement poétique et merveilleusement écrit. J'ai adoré cette prose.
C'est l'aspect magique et surnaturelle de l'histoire qui m'a gêné, m'embrouillant plus que m'éclairant. Je ne suis pas très amatrice de ce genre. Parfois ça fonctionne et parfois non. Ici, je n'ai pas su être au rendez-vous. J'en suis la première déçue devant l'enthousiasme des lecteurs ayant eu ce livre entre leurs mains.
Ma chronique sur mon blog : gros coup de coeur
https://lesviesdensesblog.wordpress.com/2020/05/03/alerte-gros-coup-de-coeur-le-coeur-cousu/
De sa plume envoûtante, l'auteure nous entraîne dans l'histoire palpitante de Frasquita, la talentueuse couturière aux étranges pouvoirs, qui sublime les corps et apaise les âmes grâce à ses fils et ses aiguilles.
Dépositaire d'une mystérieuse boite transmise de femme en femme à chaque génération, Frasquita possède un don qu'elle porte comme une malédiction, qui fascine les foules autant qu'il les effraye.
Rejetée et humiliée, elle trouvera la force de fuir avec ses enfants. En transmettant à son tour cette boite à ses filles, chacune d'elle héritera d'un don spécial, pour le meilleur comme pour le pire. C'est à Soledad, sa dernière fille, qu'il incombe de retranscrire cette incroyable épopée familiale qui mènera Frasquita et les siens de l'Andalousie à l'Algérie, à la lisière de la magie et de la folie, où s'entremêlent les rêves et la réalité.
Un très beau conte, à la fois tragique, cruel et fantastique, empreint de poésie et de grâce.
La narratrice, Soledad, est la sixième enfant de Frasquita, l’héroïne de cette histoire aux allures de conte. Soledad la solitaire dotée de cette « volonté de résister au monde », Soledad qui n’aura de cesse de raconter sa mère.
« Maman n’a jamais su écrire qu’à l’aiguille. Chaque ouvrage de sa main portait un mot d’amour inscrit dans l’épaisseur du tissu. »
Frasquita la couturière andalouse aux doigts d’or, coud et brode des robes, des châles aux pouvoirs ensorcelants. C’est une originale qui fait fuir les gens du village. Elle rend fou son mari qui finit par se prendre pour une poule. Avec elle, il se passe des choses étranges comme ce cœur brodé dans les entrailles de la Madone qui, un jour, se met à battre. Son aiguille peut faire des miracles comme ce jour où elle recoud le visage de Salvador qui n’est que plaies.
Les gens du village la fuient ? Qu’importe la haine et le mépris, Frasquita veut rester libre. Chassée de son village, elle entasse sa marmaille dans une charrette et s’en va par les chemins, la petite Soledad encore lovée dans son ventre.
Cette histoire, c’est aussi celle de la transmission de mère en fille, au moment de la puberté, transmission symbolisée par un coffret mystérieux. La vie se tisse, se coud d’une génération à l’autre où se transmettent des pouvoirs occultes.
On découvre aussi les difficultés de ces femmes qui doivent supporter le poids des superstitions, la pauvreté, les mariages arrangés, les grossesses subies et le mépris des hommes. Nous sommes dans l’Andalousie du XIXe siècle, impitoyable envers les pauvres et les femmes.
Baroque et surprenant, ce premier roman oscille entre la réalité et le fantastique. Il entraine le lecteur à la suite de ces femmes fortes et attachantes.
Il y a une véritable jubilation chez Carole Martinez à malaxer les mods, la langue est ciselée et colorée, comme une broderie.
La vie de Frasquita racontée par sa dernière fille, Soledad : Frasquita a un don, la couture ; elle se fabriquera une robe de mariée presque magique, suturera les déchirures du coq de combat de son mari, sans l'empêcher de perdre tous ses combats, ce qui lui vaudra l'exil, et enfin sauvera Salvador, l'anarchiste catalan, en suturant ses plaies, et ses enfants, avant de poursuivre sa fuite vers le sud, au-delà des mers.
L'histoire est épique, historique, un peu sur-réaliste et fantastique. Une histoire qui aurait pu être digne du Don Quichotte de Cervantes ! Mais ne l'est pas, loin de là !
Les personnages sont à la hauteur : paysans, petits propriétaires et artisans d'une Andalousie de littérature ; révolutionnaires et anarchistes catalans rêvés ; et tant d'autres. On a envie de les aimer !
Hélas, l'écriture est ennuyeuse. Dix pages après dix pages, je me suis forcé à aller jusqu'au terme du livre. Il arrive que je finisse par aimer ; pas là ! Une écriture ampoulée, alambiquée, que j'ai vraiment trouvée ennuyeuse. Jusqu'à la fin...
Usant !
Pour situer un peu l’atmosphère de ce roman je dirais que l’on se situe un peu dans le même cadre que l’Andalousie présente dans l’alchimiste de Paolo Coehlo, des paysages assez désertiques, dépouillés, et Santavela, le village de l’histoire, est un peu en marge de la société. Les habitants sont isolées du reste du monde et les superstitions en tout genre persistent. Ceci dans une ambiance à la Tim Burton ou les personnages se comportent parfois de manière étrange, inattendue et un peu sombre.
L’histoire de Frasquita Carasco nous parvient grâce à Soledad, sa fille, qui retranscrit l’épopée de sa mère mille fois entendue, et donc parfois déformée, par sa sœur aînée Anita, conteuse. Le récit est construit sous la forme d’épisodes chronologiques des aventures de cette famille marginalisée par le village à cause de faits étranges. Le mari de Frasquita par exemple est un personnage assez unique en son genre. Il ne parle quasiment pas mais ses actes sont souvent insensés, voir l’épisode où il reste prostré dans le poulailler… On souffre avec Frasquita devant cet homme si particulier. Il est également question de cette boîte mystérieuse transmise de génération en génération de femmes qui contient pour chacune un don différent. Celui de Frasquita était la couture, ce qui rythme ce roman, au fil de ses créations, plus ou moins réussies, plus ou moins chargées de magies. En parallèle on suit également l’évolution de tous ses enfants qui ont chacun un « don » ou une malédiction.
J’ai aimé la plume de Carole Martinez est assez difficile à appréhender au début car assez avare en dialogues et pas très agréable avec ses personnages de mon point de vue mais c’est ce qui donne envie de tourner les pages : l’envie de connaître le destin de cette famille si particulière.
En tout cas c’est une lecture qui me restera longtemps en mémoire tant le style et l’histoire étaient originaux.
Larguons les amarres et laissons–nous embarquer (comme le titre des différentes parties nous y invite) pour une traversée d’une Espagne intemporelle, encore sous l’emprise d’une religiosité pleine de superstitions, pour l’odyssée de Frasquita et de ses enfants , dans un récit baroque qui rappelle Pélagie la Charrette par la puissance du personnage central et Cent ans de solitude pour le réalisme magique qui l’imprègne.
Un roman écrit par une femme, sur un univers de femmes , des femmes fortes mais qui souffrent en silence, gardiennes des traditions, des rites magiques, sur la puissance des liens qui familiaux .
Un émouvant chant d’amour d’une fille à sa mère qui ne lui a jamais donné un baiser
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