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Les scientifiques peuvent aujourd'hui considérer qu'ils ont deux types d'ennemis. Les premiers sont
les sociologues. De nombreux scientifiques se sont sentis insultés par le refus des sociologues de
considérer qu'ils entretenaient un rapport privilégié avec la Vérité et la Réalité. C'est là l'origine de
« la guerre des sciences » dont un moment important a été l'affaire Sokal. Mais, au moment, les
scientifiques se trouvent confrontés à un autre problème, beaucoup plus grave. Leur ancienne
alliance avec l'État semble rompue : celui-ci répugne désormais à financer leurs travaux. Il leur
demande de se rapprocher des industriels et de se soumettre à leurs intérêts. Leurs objectifs ne
doit plus être de faire progresser la connaissance mais, par exemple, de déposer des brevets...
Selon Isabelle Stengers, les scientifiques sont en mauvaise posture car s'ils ont bien raison de ne
pas accepter la manière dont les sociologues relativistes parlent « mal » d'eux, ils n'ont pas su de
leur côté, trouver les mots pour décrire la spécificité de leur travail. Ils ne savent pas se présenter,
ce qui les affaiblit dans leur opposition aux tentatives capitalistes modernes de redéfinir leur
activité.
Mais il arrive aussi qu'un troisième acteur surgisse : le « public » comme on l'a vu dans le cas des
OGM. Il s'agit dans chaque cas de publics particuliers qui n'acceptent plus que « l'on sache » mais
que l'on reste impuissant face aux conséquences prévisibles de ce que l'on sait (comme dans le cas
du réchauffement de la planète).
Tout cela dessine donc un nouvel environnement (une nouvelle écologie) dans lequel les
scientifiques doivent apprendre à travailler. En quoi cela pourrait-il intéresser la philosophie oe
Isabelle Stengers propose d'abord de renoncer à l'idée que l'on pourrait définir « la science ». Si il
y a quelque chose de commun à toutes les pratiques scientifiques, c'est qu'elles sont capables de
dire « quelque chose de nouveau sur le monde ». Elles le « peuplent » avec de nouveaux êtres. Ce
n'est jamais une voie droite, faite selon une méthode prédéterminée, mais le résultat d'incessantes
hésitations. Pourquoi faudrait-il que, simultanément, ceux qui défendent les sciences « vident » le
monde de toutes les autres pratiques qui n'ont ni la même histoire ni les mêmes ambitions oe
Comment, en conséquence imaginer un plan d'immanence qui permette la coexistence des pèlerins
de la Vierge et des praticiens des sciences (sans transcendance, c'est-à-dire sans un point de vue
qui trie, juge et ordonne) ? Cela ne relèvera pas d'une bonne volonté générale, de la tolérance,
mais de l'invention de nouveaux rapports entre les différentes pratiques.
Isabelle Stengers imagine que ce pourrait être le rôle de « diplomates » d'un nouveau genre. Les
diplomates savent qu'ils doivent prendre des risques, rendre des comptes à ceux qui les ont
délégués, que rien n'est jamais garanti, que la paix est toujours une fabrication exigeante.
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