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« Delon ne le sait peut-être pas à cette période, mais il dépose ici ce qui sera sa marque, étrange et trouble, son signe indien, cette malédiction qui est aussi sa chance. L'écho d'une intime friction.
D'une fraction profonde. Il lui faut être un autre pour être lui-même. Cette affirmation de soi, en s'effaçant, en s'altérant.
C'est au-delà du jeu d'acteur, il ne devient pas seulement son rôle, mais un autre personnage du film en cours. Il organise sa disparition. » Stéphane Guibourgé scrute Alain Delon comme dans un miroir, comme s'il était son propre double, son frère en rêve comme en infortune. Il y a, en effet, entre eux des points communs, des échos, des ressemblances troublantes. Même enfance inconsolable à peu de choses de près qui laissera ses marques brûlantes de désarroi durable. Tous les deux sont nés à Sceaux à 30 ans de distance. Tous les deux ont soit un beau-père charcutier (Delon), soit un père boucher (l'auteur), métiers beaucoup trop rudes et trop physiques pour ne pas les faire rêver d'autre chose. Tous les deux ont vu leurs parents se séparer trop vite, trop tôt pour ne pas se sentir orphelins. Leur histoire amoureuse respective en souffrira forcément. Leur destin sera donc celui d'hommes seuls, toujours sur leurs gardes, guettant l'occasion de rendre les coups et d'imposer leur présence. Et aussi de réparer l'humiliation, la défaite des pères rattrapés par la routine, empêchés dans leur ambition.
L'écriture de Stéphane Guibourgé, tout en secousses et en saccades, délivre le secret du génie Delon : un génie tiré de la douleur, stimulé par l'ambition puis brûlé à son propre jeu, noyé dans sa profondeur et son intensité. Sa filmographie va ainsi mettre au monde tour à tour l'arriviste (Plein soleil) prêt au meurtre pour entrer dans la lumière de ces années hédonistes et insolentes, le corrompu prêt à trahir sa classe aristocratique comme son avenir de prétendu révolutionnaire garibaldien pour mieux s'enrichir (Le Guépard), le professionnel de la mort, frappé doublement au coeur et dans son honneur (Le Samouraï) puis enfin l'étranger face au fantôme du père, face à l'homme devenu ombre, devenu simple numéro de matricule dans le monde concentrationnaire (Mr. Klein). En parallèle, c'est une autre histoire, presque trop bruyante, presque trop enthousiaste et enjouée pour être vraie, que raconte Stéphane Guibourgé : celle de la France des Trente Glorieuses, où tout semblait possible, où les rêves pleuvaient... C'est une France culte qui apparaît donc dans un troisième miroir et décuple par sa clameur l'intensité du rêve porté par Delon : l'enfant, l'acteur, l'amoureux, l'ami, le collectionneur d'oeuvres d'art... Parfait en tous rôles, parfait dans la fêlure, parfait dans l'intensité comme dans la mélancolie.
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