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Berlin Est, Studio de la TV est-allemande, 30 octobre 1989 : dans son émission hebdomadaire de propagande, Der schwarze Kanal, Karl Edouard vient d'annoncer qu'Erich Honecker, fondateur zélé de la Freie Deutsche Jugend au lendemain de la guerre et grand artisan de la construction du Mur de Berlin, cède la place. Nul n'en croit ses oreilles. Serait-ce même un malentendu ? Les membres de La Famille Müller qui ont survécu à la Guerre froide assistent-ils donc à la chute du Mur ?
« Manfred est-il arrivé aux confins de cet âge critique où toute projection dans le futur devient embarrassante et le condamne par défaut à convoquer tour à tour les souvenirs les plus prompts à se manifester ? L'afflux progressif et de plus en plus récurrent des scènes emblématiques de sa vie antérieure était-il annonciateur d'un baisser de rideau prochain ou bien un réflexe pour retarder l'inéluctable ? Il lui semblait sur ce point ne plus rien maîtriser si tant est qu'il maitrisât quoi que ce fût un jour de cette foutue vie. Des parcelles de son enfance, de son adolescence lui revenaient aisément en mémoire telle une recomposition bancale et incomplète d'un parcours de vie désormais fragmentaire. Parfois le défi lé des réminiscences s'égrenait dans la légèreté. C'était alors sourires, joie. À d'autres moments, les souvenirs rayaient la vitre du passé, obscurcissant peu à peu l'accès à sa propre mythologie. Tout n'était plus que griffures, ratures et amalgames sur le verre. C'était alors tristesse, manque, défaite. Dans sa mémoire définitivement entravée un puzzle tente de se reformer en dépit des brumes de plus en plus nombreuses et embarrassantes. Les morsures de l'inachevé étaient à l'oeuvre et ne le laisseraient plus jamais en paix. »
Dans une prodigalité extrême, « Les Morsures de l’inachevé La famille Müller, 2 » est
une page de notre Histoire.
Dans cette apothéose d’enserrer une fiction avec la réalité, tel un film à ciel ouvert.
C’est l’heure d’un bouleversement radical. Les pierres tombent les unes après les autres. Quand est-il de cette frontière mentale et si visible à l’œil nu ?
Berlin-Est, dans le studio de la TV allemande, Karl Edouard, le porte-parole du Parti communiste annonce qu’Erick Honecker, fondateur de la construction du Mur de Berlin se retire.
La sidération côté Est, l’incrédulité et l’impression oppressante d’une chimère.
On ressent les tremblements de ce mur. La vue cachée encore sur le versant Ouest. Comme si un mur de trente ans qui a séparé des familles, des amis, coupez des routes et fendu en deux la marelle de la petite Eva en pleine ruelle où les rais de lumière étaient de l’or pacifique.
« Derrière la vitre du mirador, un soldat les observe à la jumelle. Comme par réflexe. Qu’est-ce qui peut bien trotter dans sa tête ? Ce soldat solitaire doit pourtant bien avoir eu vent de l’ouverture officieuse des frontières. Cela doit être plus difficile qu’on imagine d’abandonner les réflexes de contrôle, le rituel rassurant des obéissances, de renoncer aux gestes fondateurs de sa survie mentale. »
Ce récit profondément humain est un arrêt sur image. « Les Morsures de l’inachevé », des stigmates à la vie à la mort. L’ineffable qui perdure. Les déchirures sont des armures pour toujours. Ce mur abattu de liesse et d’espoir, dans les mains de Laurent Maindon, est le tremblement d’une humanité qui renaît. Ici, tout est pétri de sentiments. Les généalogies à l’instar de cerceaux qui s’agitent de par cette nouvelle ère.
« On entretenait le dégoût ou le rejet du Mur ce qui, au fond, correspondait assez bien à l’objectif premier de ses constructeurs, répulsion et intimidation. »
Nous sommes en plongée dans la famille Müller. Eva, adulte, devenue. Thomas, son cousin, ce qu’elle ignorait. Elle l’aime, il la vénère. Manfred, le père d’Eva, qui perd la mémoire, un vieil homme triste et désabusé. Sans attente de joie. L’heure est passée. La frontière murale l’aveugle encore. La guerre froide est un manteau lourd de pluie sur ses épaules. L’ignorance de l’autre, le pot de fer contre le pot de terre. La lecture s’efface. Nous sommes dans l’effervescence d’un mur qui s’abandonne. L’agonie d’un passé et deux contraires qui vont se rassembler, se réapprendre, s’apprivoiser.
Ici, est le règne de l’Histoire, des cartographies qui se réinventent. Le poids d’une soumission abolie, les blessures visibles pour toujours.
« Il a beau avoir subi les affres de la Stasi et du régime communiste autant qu’il a pu, il ne parvient pas à s’identifier à la frivolité de ce côté-ci de l’existence.
Condescendance est le mot qui lui vient à l’esprit. Je condescends à poser mon regard sur ta pauvre petite vie, toi, fils de l’Est. »
Les hommes et les femmes, foule en joie ou de silence, dans la lucidité radicale d’un sacrifice d’une décennie, le murmure de l’effondrement d’un enfermement, le sifflement des balles s’éloigne. Deux familles séparées se retrouvent dans la gloire d’un midi pile.
L’heure des retrouvailles, où chaque geste, chaque détail, peut prétendre à la fraternisation, à la communion des disparités. Est-Ouest, si près de nous encore.
« L’épiderme du Mur s’en va en morceaux désormais. »
Laurent Maindon signe un récit mémorable. Une mise en abîme absolument réelle. De haute précision, avec un regard profondément juste, les rêves blessés et tout ce temps perdu où le Mur, telle une noria d’oiseaux noirs, barbelés sur les consciences.
« Amoureux, certes, ils le sont, embrasés sur l’autel des réconciliations collectives. »
« Deux jours d’errance absolue, où il est emporté dans le tourbillon de l’Histoire. »
« Les portes du salut se referment. Il n’y a que pour toi que je reste en vie, Eva. La solitude est un linceul de cristal. »
« Terre Ciel Enfer » est le premier volume de cette saga romanesque. « La famille Müller » compose le deuxième, trente ans après, les mêmes protagonistes avec tout le poids de l’Histoire sur leurs épaules. Ils peuvent se lire indépendamment.
C’est un récit stupéfiant de justesse. La mission d’une littérature de renom, cruciale et attentive au monde. Publié par les majeures Éditions Le Ver à Soie.
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