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Arjun Clarkson, immigré indien modèle, travaille à New York dans la publicité digitale. Après avoir poignardé une ancienne collègue, il a l'idée de faire croire à l'existence d'un tueur en série chassant ses proies sur les réseaux sociaux. Cela implique de se trouver d'autres victimes mais, pour le jeune homme, c'est l'occasion rêvée de se venger de tous ceux qui se sont moqués de lui. Au fil des meurtres, la rumeur d'un assassin rôdant sur Internet va semer la panique sur la toile...
Arjun Clarkson est indien d'origine, britannique d'adoption et émigré aux États-Unis où il travaille dans une agence de publicité new-yorkaise. Un soir, plus ou moins « accidentellement », il tue une ex-collègue dont il était amoureux. Il faut dire que le jeune Arjun est passablement perturbé, maltraité enfant par sa mère adoptive, gravement sujet à la paranoïa, il dissimule assez bien une personnalité borderline. Arjun ne songe pas une seconde à se dénoncer, il n'est pas perclus de culpabilité ni de remords, en revanche il est bien déterminé à passer entre les gouttes. Pour cela, il va devenir un tueur en série, choisissant ses victimes sur le plus célèbre réseau social du moment, MyFace (= Facebook). Il faut dire que toutes les infos sont disponibles sur MyFace, il suffit de savoir où regarder pour tout savoir de tout le monde ! En noyant le meurtre de son amie au milieu d'autres meurtres, Arjun s'imagine faire coup double : désorienter la Police et dynamiter MyFace de l'intérieur. Le roman noir d’Arun Krischnan, bourré d'humour noir, de cynisme et de mauvais esprit, fait mouche. On lui pardonnera quelques petits défauts de forme, comme des chapitres un peu trop longs, quelques passages un peu étirés, voire superflu, quelques lacunes aussi (sur le passé d'Arjun, sur lequel on aurait aimé en savoir plus pour mieux comprendre) pour ne retenir que l'essentiel : l'intrigue fonctionne à bloc. Le personnage principal (roman à la première personne) restera finalement plus ou moins une énigme pendant tout le roman, on ne sera jamais en empathie avec lui, la facilité avec laquelle il tue, avec laquelle il se débarrasse de sa culpabilité en font une sorte de pervers narcissique, tendance psychopathe, peu de chance qu'on s'identifie ! Mais qu'importe, puisque malgré son funeste objectif, il met le doigt exactement là où ça fait mal : l'omnipotence des réseaux sociaux, la fin programmée de la vie privée, la superficialité de la société américaine, le cynisme du capitalisme, les nouvelles lubies de pays riches. Arjun présente un miroir déformant à la société américaine qui, tout compte fait, ne vaut pas mieux que lui ! On se demande longtemps comment cela va finir, s'il va commettre une erreur ou rester impunis, et on ne sait pas trop qu'elle fin on doit espérer. En réalité, la fin ouverte est assez maline et bien vu. « Indian Psycho » est un thriller très efficace, à la limite du pamphlet parfois, qui vous passera l'envie de laisser votre compte Facebook ouvert à tous les vents et visible du monde entier. C'est court, percutant et mine de rien, sous le vernis du thriller, le roman pose de vraies questions et soulève de vrais enjeux de société.
Génial ! Je me suis régalé de bout en bout avec ce polar qui est d'une modernité incroyable, qui joue avec les nouveaux codes de communication, qui n'est pas tendre avec la société étasunienne -je pourrais largement étendre à nos sociétés européennes qui lui ressemblent- ni avec la vie en Inde, les castes, les codes qui semblent dépassés, les conservatismes. "Au croisement de la 73e Rue et de Roosevelt Avenue, deux chiens s'accouplaient, sous les encouragements d'un petit groupe de Pakistanais qui traînait devant le snack Kabab King. Les immigrés regardaient les chiens baiser dans la rue. Les Américains regardaient les Kardashian baiser à la télé. Voltaire avait raison. Il faut bien que les hommes aient un peu corrompu la nature, car ils ne sont point nés loups, et ils sont devenus loups." (p.56) Le constat d'Arun Krishnan est implacable sur les places de chacun, les minorités sont dans les postes les moins intéressants, ses membres ont tendance à se regrouper, ils sont victimes du racisme quotidien. Il l'est également sur la place des réseaux sociaux, sur l'ultra-connection, la technologie qui nous envahit. Le roman questionne sur le sens de la vie en société, sur les relations humaines, sur une certaine idée de société qui nous envahit : publicité à outrance sur tous les supports, multiplication de ces supports, ...
L'autre partie extrêmement réjouissante de ce roman, c'est la partie polar, thriller. Le narrateur est le tueur et il est glaçant, flippant dans ses obsessions, son manque d'empathie, sa psychopathie, ses desseins. Il tue presque par hasard, comme s'il était obligé, même pas par plaisir juste pour ne pas se faire soupçonner. Et comme il est distrait, il a tendance à laisser des indices contre lui, donc à tuer de nouveau. Tout cela est dit de manière assez légère, décalée, comique. Dans sa tête, le lecteur a droit à tous ses cheminements de pensée, ses délires, ses questions et sa manière d'envisager le monde en général et sa vie en particulier. Il faut dire que le jeune homme est né dans une basse caste indienne qu'il a été adopté et élevé par un homme bon mais effacé et une femme vicieuse et perverse, ce qui peut sans doute expliquer une partie de ses agissements. Arrivé aux États-Unis, il se retrouve dans un pays où chacun peut se comporter comme il le veut, mais Arjun est très introverti, inhibé et s'insérer dans cette population lui est difficile. Il réagit encore avec ses repères éducatifs et culturels.
Arun Krishnan dresse un portrait angoissant d'un jeune homme prêt à tout pour exister, pour réussir. Il le fait avec brio, alternant les moments de tension et pas mal de traits d'humour. J'ai été totalement accaparé par l'intrigue, le suspense et totalement incapable de prévoir la fin ; en fait, plusieurs options sont envisageables, je n'ai jamais su choisir et je me suis laissé porter par le romancier. Il m'a mené exactement là où il voulait dans un rythme loin d'être soutenu mais que je n'ai pas pu lâcher. Je l'ai lu attentivement, chaque mot, chaque phrase pour ne rien rater, pas un indice, pas une digression, pas une remarque du héros. Tout est passionnant : "En arrivant en Amérique, un immigré traverse trois phases. D'abord, il est démocrate. Après tout, c'est le parti le plus ouvert et le plus accueillant. Puis l'immigré commence à bien gagner sa vie et passe à la deuxième phase : il devient républicain. Comment ces pourris de démocrates osent-ils redistribuer sa richesse et étouffer la libre entreprise ? Quand l'immigré gagne plus de vingt-cinq millions de dollars, il passe à la troisième phase : il cesse de se soucier des êtres humains et commence à s'intéresser exclusivement aux baleines." (p.249)
Un polar formidablement traduit (Marthe Picard) et paru chez Asphalte. J'en fais un coup de cœur, un roman moderne et drôle, original avec une bande-son incroyable -il faut aimer le jazz ou au moins avoir envie d'en écouter- que vous pouvez retrouver sur le site de l'éditeur et que j'écoute en écrivant ce billet.
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