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La notion de race fait un retour violent dans le langage et les conflits sociaux en France, comme si le sujet avait été refoulé, alors que les États-Unis n'ont pas cessé de s'y confronter. Les minorités visibles n'hésitent plus à revendiquer leur couleur ou leur identité racisée. L'historienne afro-américaine, Nell Irvin Painter, adopte un point de vue révolutionnaire : au lieu d'étudier la négritude, elle interroge la construction de la notion de race blanche, depuis les Scythes de l'Antiquité jusqu'aux catégories raciales utilisées dans l'Occident d'aujourd'hui.
Elle étudie la manière dont la désignation de Blancs et de Non-Blancs a évolué selon les croyances politiques et la représentation des corps. Elle montre les constructions du regard sur la couleur, et leurs liens avec les critères esthétiques de la beauté féminine. Elle étudie les passages entre les pensée américaines et européennes au XIXe siècle. Elle analyse les catégories raciales qui définissent les identités aujourd'hui.
Je lis peu d’essais mais suite à une interview télévisée de Nell Irvin Painter, j’ai eu envie de me plonger dans Histoire des Blancs. Le racisme et la condition des Noirs forment un sujet qui me passionne autant qu’il me désespère. J’aime beaucoup me cultiver à ce propos. Avec cet essai très documenté, j’ai pu m’immerger dans la notion de race en Amérique – tout en faisant le pont avec l’Europe – de l’Antiquité à nos jours.
Tout d’abord, l’auteure rappelle que les esclaves des quatrième et cinquième siècles avant notre ère étaient blancs et qu’il n’y avait pas de notion de couleur et encore moins de race.
« Le récit que l’on fait des Blancs ignore l’antique esclavage de l’Europe et le métissage qui en découle, ce qui conduit les lecteurs d’aujourd’hui à trouver peu vraisemblable l’idée selon laquelle des Blancs ont pu être esclaves. Mais dans ce que nous appelons maintenant l’Europe, la plupart des esclaves étaient blancs : rien là que de très banals. »
Le statut social définissait le tempérament des Hommes, les lieux d’habitation définissaient les statures et les couleurs de peau. Elle s’appuie sur des textes anciens référencés comme cet extrait de Des airs, des eaux et des lieux d’Hippocrate, grand médecin de la Grèce ancienne (qui constituait l’Europe à cette époque) :
« dans un pays âpre, sans abri tour à tour désolé par le froid et brûlé par le soleil, les habitants ont le corps sec, maigre, velu, les articulations bien prononcées ; l’activité, la pénétration, la vigilance sont inhérentes à de tels hommes ; vous les trouverez indomptables dans leurs mœurs et dans leurs appétits, fermes dans leurs résolutions, plus sauvages que civilisés, d’ailleurs plus sagaces pour l’exercice des arts, plus intelligents, plus propres au combat. »
Au temps de César non plus la notion de race n’existait pas, il soulignait « les traits des Germains en rapport avec la guerre ». Encore une fois, ce n’était pas la couleur de peau qui entrait en ligne de compte.
Nell Irvin Painter s’appuie sur de nombreux faits historiques et textes qui démontrent que la notion de race est apparue tardivement et que longtemps, c’était l’environnement, la condition physique et mentale qui catégorisaient les Hommes. L’esclavage était loin d’être réservé aux Noirs – au contraire – même si ce dernier est largement décrit et raconté en littérature alors que celui des Blancs est éclipsé. En effet, c’était « la géographie, pas la race, qui était le facteur déterminant ». De plus, depuis toujours il y eut des déplacements des peuples, des brassages des populations. Les Vikings ont largement contribué à cela et furent des « marchands d’esclaves de premier ordre ». C’est le dix-huitième siècle qui « inventa l’équivalence à laquelle nous sommes maintenant habitués : qui dit « race » dit « noir » et qui dit « noir » dit « esclave ».
Les débuts de l’attrait pour la couleur et l’apparence physique font leur apparition à partir du dix-septième siècle en rapport avec la beauté des esclaves blanches. Les géorgiennes, circassiennes et caucasiennes étaient particulièrement appréciées.
« Dans le contexte américain la notion de pureté raciale s’était clairement trouvée mêlée à celle de beauté physique. »
Au dix-huitième siècle, la blancheur prend un tournant scientifique avec les mesures crâniennes et des comparaisons entre les différents peuples qui se retrouvent classés dans un ordre sans équivoque. En effet, l’illustrateur hollandais Petrus Camper dessina un tableau dans lequel apparaissent des crânes et des visages en cinq formes et aspects différents, il commence par les singes, puis les Nègres, les Kalmouks, les Européens et un Apollon du Belvédère. « L’ordre adopté par Camper fait intervenir une ambiguïté supplémentaire, capitale ». Les anthropologues du dix-huitième siècle eurent une place déterminante dans l’apparition de la notion de race. Une sorte de « grécomanie » se répandit, l’apparence physique prit une place de plus en plus importante.
« La blanchité prend désormais place dans la classification des races réorientant le classement des hommes : on quitte le classement par zones géographiques selon Linné pour mettre l’accent sur la couleur de la peau comme facteur de beauté selon Blumenbach. Une fois qu’il avait établi le caucasien comme variété, le terme a dérivé loin de son origine géographique. »
Le terme « blanchité » est souvent utilisé par l’auteure et est ce que l’on pourrait appeler « la condition blanche ».
Un confrère de Blumenbach, Meiners, était même devenu « le précurseur favori » des nazis :
« Dans des phrases caractéristiques de la teutomanie du XIXe siècle, il écrit que les Allemands ont la peau « la plus blanche, la plus éclatante et la plus délicate », qu’ils sont « les plus grands et les plus beaux des hommes » non seulement en Europe mais dans le monde entier et ont « un sang pur » qui leur donne une supériorité physique, morale et intellectuelle sur tous les autres. »
Je pourrai encore vous écrire pléthore de citations et de faits chronologiques issus de cet essai, mais ce serait vous faire une dissertation de plusieurs pages. Je vous laisserai vous immerger dans ce livre érudit et complet si vous vous intéressez fortement au sujet. En effet, même si c’est mon cas, j’ai eu besoin de faire des pauses, de lire un roman entre deux chapitres pour alléger ma lecture. Il y a parfois un effet de répétition. L’auteure nous renvoie aux mêmes arguments mais à travers différents personnages de l’histoire par exemple. En revanche, les différentes époques se succèdent parfaitement et avec elles, l’évolution des mentalités et aussi leurs contradictions au fil des siècles. L’auteure nous détaille comment l’Homme a peu à peu focalisé sur l’apparence physique puis sur la soi-disant pureté des Blancs et comme il a de plus en plus dénigré et utilisé les Noirs et les « migrants », notamment aux États-Unis. L’aberration des Hommes m’a laissée bouche bée à de nombreuses reprises.
L’auteure ne délaisse pas pour autant les changements de mentalité au tournant du vingt-et-unième siècle :
« En 1997, l’Association américaine d’anthropologie physique a exhorté le gouvernement américain à supprimer l’utilisation de la race comme catégorie de données et à la remplacer par des catégories ethniques. Les généticiens qui ont étudié l’ADN – l’élément constitutif des gènes qui donne les instructions à notre corps en réaction à notre environnement – sont également parvenus à la conclusion que la race, en tant que catégorie biologique, n’a aucun sens. »
Et ajoute que :
« C’est cette science de la génétique moléculaire qui porta le coup le plus fatal à la théorie de la race. Avant même que la cartographie du génome humain ne fût complète, l’Association américaine pour l’avancée de la science (AAAS) avait conclu, en 1995, qu’en termes biologiques, la race n’a aucune valeur scientifique. Elle n’avait désormais d’importance qu’en tant que catégorie sociale servant à abolir des modèles discriminatoires. »
Même si cela est désormais logique pour la plupart d’entre nous, il est bon de rappeler que le terme de race n’a aucun sens, sachant qu’il est incroyable de s’apercevoir que cette « découverte » américaine ne date pas d’hier mais presque… Toutefois, en remarquant ce qu’il se passe dans le monde, force est de constater que l’argumentaire n’est pas encore désuet, malheureusement, et que le sujet mérite amplement d’être abordé encore et toujours. Je terminerai par la citation de ce paragraphe en page 364 du livre :
« En juin 2000, le président Bill Clinton, à la Maison Blanche, déclara que les Instituts nationaux de santé (organisations gouvernementales) et Celera Genomics (une société privée) étaient arrivés à égalité dans la compétition qui les opposait depuis des années. Une partie des résultats suscita la déception, voire la consternation : par exemple, les humains s’avéraient posséder moins de gènes que ce à quoi l’on s’attendait, environ 40 000 gènes pour 100 trillions de cellules, ce qui ne laissa pas de décevoir ceux qui s’attendaient au chiffre plus extravagant de 100 000 gènes, qui convenait davantage à une espèce si intelligente. Mais, et c’est beaucoup plus important, deux éléments ressortaient clairement de ces recherches : selon les propres termes de J. Craig Venter, qui était alors à la tête de Celera Genomics : « La race est un concept social, et non scientifique. Au cours des 100 000 dernières années, nous avons tous évolué à partir de la même tribu, comptant un petit nombre d’individus, qui a émigré d’Afrique et colonisé le monde ». Chaque individu partage 99,99 % du matériel génétique de n’importe quel autre être humain. (…) D’un point de vue génétique – toutes les populations, et tous les Américains – descendent des Africains. »
Ma chronique sur mon blog : https://ducalmelucette.wordpress.com/2019/04/03/lecture-histoire-des-blancs-de-nell-irvin-painter-rentree-litteraire-janvier-2019/
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