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L'expérience de l'amour se situe au carrefour de l'esprit et du corps. L'amour, en effet, est éprouvé comme révélation de valeur : il n'est irrésistible que dans la mesure où son objet lui apparaît irrécusable. Il découvre, à partir du visage aimé, la gloire poétique du monde. Il est donc saisi du bien et du beau à travers un être singulier, investi d'un caractère sacré, et parfois même, dans la passion, transfiguré en absolu vivant. Ainsi, le vécu amoureux est, essentiellement, une expérience spirituelle. Cependant, cette expérience prend sa source dans l'instinct : elle ne jaillit qu'à l'égard d'un être avec lequel l'union physique est envisageable, et, le plus souvent, tout à la fois désirée et entravée. Cette bivalence de l'amour explique qu'on ait pu en donner des interprétations opposées : avatar de la sexualité pour le freudisme, expérience mystique avortée pour la tradition platonicienne. Une réflexion sur l'amour doit donc s'attacher à comprendre le lien fondamental qui rattache son enracinement biologique à sa visée religieuse.
EXTRAIT : L'amour, est donc d'abord une expérience esthétique : l'admiration de la beauté est la condition nécessaire de sa naissance. Mais elle n'en est pas la condition suffisante. L'amour, en effet, privilégie une personne choisie à l'exclusion des autres. Une femme, par exemple, n'est pas aimée comme une fleur dans un jardin. Car la fleur, aussi belle soit-elle, peut toujours être remplacée par quelque autre fleur du massif. Mais cette hypothèse d'une éventuelle substitution d'un nouvel objet à l'être aimé, à l'occasion d'un deuil ou d'une séparation, est refusée par celui qui aime. L'amour est un attachement absolu alors que nous n'avons pour les choses que nous possédons qu'un attachement relatif. Ainsi, nous tenons à notre voiture, à notre maison, à notre statut social : si la voiture est volée, si la maison brûle, si nous perdons notre situation, nous souffrons. Mais ces attachements sont relatifs. Si on nous offrait une voiture plus belle, une maison plus confortable, une meilleure situation, nous serions aussitôt consolés. En est-il de même dans l'amour : peut-on remplacer un amour perdu comme un portefeuille égaré ou une voiture accidentée ? La question a valeur de test car elle met en cause l'essence même de l'amour. Celui qui aime, ou plutôt qui croit aimer, parce que dans le contexte de sa vie il lui semble difficile de trouver mieux ailleurs, pourrait envisager, si une bonne fée modifiait ce contexte, l'éventualité d'un autre objet d'amour. Mais l'idée en paraît blasphématoire à l'amant authentique. Oreste aurait considéré comme une injure le conseil de chercher ailleurs ce qu'Hermione lui refusait. On offense une femme qui a perdu son fils en lui disant qu'elle est jeune et fera d'autres enfants. Cette indignation est révélatrice : elle signifie que l'amour n'est pas un attachement relatif comme celui que nous avons pour les autres objets de l'expérience. Et c'est pourquoi tout amour authentique est vécu comme un premier amour et aussi comme un dernier amour. Il pose son objet comme un absolu et introduit l'amant dans la sphère du sacré. L'amour est donc la transformation d'une expérience esthétique en expérience religieuse.
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