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Un soir de février, Eisinger reçoit un appel de son agente : la directrice des relations publiques du groupe Black lui propose d'écrire l'histoire de cette entreprise de télécommunications du Midwest. Vlad accepte à condition d'en faire plus qu'un ouvrage documentaire, plutôt une sorte de légende de Tar, le patron très charismatique du groupe. Quelques semaines après le début du projet, Tar stoppe tout et renvoie Vlad.
Fauché, en panne d'inspiration, Vlad accepte alors une commande sous pseudo pour une nouvelle collection de true fiction. Ce sera How America was made, un polar dans lequel un écrivain engagé par un géant de l'industrie pétrolière se trouve confronté aux pratiques douteuses de Wall Street. Le héros, Tom Capote, en faisant ses recherches, découvre les magouilles du patron du groupe, un certain Laser.
Vlad fait vivre à Tom toutes les aventures d'un héros de roman populaire : il échappe à la mort, séduit la femme du méchant, manque d'être jeté dans une cage avec des ours, fuit en jet aux Bahamas et se retrouve à écrire le récit de ses aventures pour tenter de faire éclater la vérité et sauver sa peau. Contre toute attente, How America Was Made est un succès phénoménal. Mais c'est sans compter sur la paranoïa de Tar, qui pense qu'il s'agit d'un roman à clef mettant à jour ses malversations à l'encontre de Black et destiné à le faire chanter.
Tar décide donc de supprimer Vlad, qui se retrouve ainsi dans la peau de Tom. Les deux histoires - celle de son roman et la sienne - convergeant l'une vers l'autre...
Exercice de style et paradoxe littéraire : c'est à quoi s'est livré le franco-américain Antoine Bello avec ce bouquin, "Du rififi à Wall Street".
Un pastiche de la série noire (le titre !) et un hommage aux grands de ce genre, des deux côtés de l'Atlantique, les Hammett, Chandler, Malet, Manchette et consorts.
Un curieux personnage que ce monsieur Bello : polytechnicien précoce, homme d'affaires français installé aux US, fasciné par les vraies fabulations et les faux mensonges, proche de la mouvance des "objectivistes" un courant de pensée voisin des libertariens, fondé par Ayn Rand où l'on retrouve les partisans du plus pur laissez-faire capitaliste comme Alan Greenspan (l'ex-patron de la FED) ou Jimmy Wales (le fondateur de Wikipédia).
Le bouquin est une construction alambiquée à plusieurs étages (un bouquin dans le bouquin dans le bouquin), l'auteur est un habitué de l'exercice.
En prologue (et en épilogue) Antoine Bello lui-même prétend avoir reçu un manuscrit expédié par un ami (Vlad Eisinger qui lui sert donc ici de pseudo) et nous propose donc de découvrir cette histoire.
Un roman où Vlad Eisinger raconte son enquête dans les milieux d'affaires US des câblo-opérateurs.
Poursuivi par les avocats et les sbires des puissants dont il entend dénoncer les malversations, Eisinger tente une pirouette en mettant en scène un écrivain, Tom Capote (hommage à Truman C.) qui raconte son enquête dans les milieux d'affaires US du pétrole et de la fracture hydraulique.
Poursuivi par les avocats et les sbires des puissants dont il entend dénoncer les malversations, Tom Capote ... etc.
Aaaargh ! Il faut s'accrocher mais Antoine Bello connait son affaire : sa construction savante est farcie d'humour, d'auto-dérision, de références littéraires, on se régale !
[...] — Tu remontes d'un cran en racontant l'histoire du type qui a écrit le premier livre. Mon salaud, il fallait y penser ! Songeuse, elle ajouta :
— Je me demande si tu pourras rééditer le coup une troisième fois ?
[...] Il se trouve que mon arme à moi consiste à brouiller les frontières entre la fiction et la réalité. Je ne sais faire que ça.
Et puisque l'on parle de bouquin(s) dans son bouquin, il pousse même la coquetterie jusqu'à citer des critiques littéraires (journaux, blogs, ...) de ces romans (pas vraiment le sien, ceux qu'il met en scène, mais bon, le lecteur n'est pas dupe) :
[...] L'intrigue tient sur une carte postale, les personnages sont taillés à la hache, le style utilitaire, mais l'ensemble dégage une vitalité irrésistible.
[...] Je n'arrivais pas à trouver le résultat mauvais. Appuyé, racoleur, simpliste peut-être, mais pas mauvais.
[...] Un hommage au roman noir, pour déboucher sur une interrogation plus vaste du caractère sacré du langage et des pouvoirs de la littérature.
L'élégance, c'est que ces vraies-fausses critiques sont tout à fait judicieuses et appropriées, bien sûr !
Quelques longueurs (du fait des emboîtement gigognes) mais nécessaires pour qu'à mi-parcours le roman prenne son véritable envol.
Un polar original, amusant et bien mené, qui a le mérite de nous faire découvrir ces fameux "objectivistes" (l'un des personnages en fait partie) dont on pourrait bien reparler puisque nous sommes loin d'en avoir terminé avec le trumpisme.
Pour celles et ceux qui aiment les constructions tordues.
En panne d’inspiration, l’écrivain Vlad Eisinger accepte de rédiger une monographie sur une entreprise de télécommunications américaine et sur son charismatique patron Tar. Lorsque le projet tombe à l’eau, l’auteur, désespérément fauché, se rabat sur une autre commande, cette fois-ci pour une collection de True Fiction : sous un pseudonyme, il se lance dans la rédaction d’un polar à trois sous, où un écrivain chargé de rédiger l’histoire d’une entreprise pétrolière découvre les malversations de son dirigeant et se retrouve la proie de terribles tueurs. Le succès inattendu du livre attire l’attention de Tar, et Vlad se voit à son tour plongé dans des aventures en tout point semblables à celle de son héros, comme si la réalité rattrapait la fiction.
Ce qui frappe dans ce roman est d’abord sa vertigineuse et paroxystique mise en abyme, puisque trois récits s’enchâssent les uns dans les autres, amenant le véritable auteur, Antoine Bello, à s’esquiver derrière un de ses protagonistes et à lui laisser signer son œuvre à sa place. En véritable virtuose, le romancier utilise les codes de la littérature populaire pour nous servir une brillante et amusante démonstration de ce qui fait d’un livre une œuvre d’art : à l’instar de son maître Truman Capote qui ne cesse de traverser son texte, que ce soit par des références à ses procédés littéraires, ou par la création d’un protagoniste qui porte son nom, Antoine Bello explore la capacité de l’oeuvre à saisir et à restituer l’essence d’une réalité ou d’un personnage au travers d’une interprétation parfois très libre. Ainsi, un détail inventé mais judicieusement choisi peut, mieux que tout, illustrer et exprimer la vérité intrinsèque et la nature profonde des êtres. C’est d’ailleurs le propre de l’art de s’affranchir du réel pour trouver le chemin le plus direct jusqu’à l’âme.
Les aventures rocambolesques de Vlad Eisinger et de Tom Capote servent ainsi de prétextes à une réflexion sur la littérature et le métier d’écrivain. Si l’inspiration et le génie ne se commandent pas, rien se sauraient contraindre leur épanouissement lorsqu’ils sont au rendez-vous : Vlad rencontre le succès quand, désinhibé par l’anonymat de son pseudo, il réussit mieux que jamais à exprimer ses obsessions malgré les contraintes mercantiles imposées par son éditeur. Son roman populaire et alimentaire devient sa meilleure production, quand, jusqu’alors, la pression de la notoriété et de l’ambition étouffait ses capacités créatives.
Hommage au grand Truman Capote comme aux forçats de l’écriture alimentaire, ce livre original et astucieux s’avère un exercice de virtuosité bluffant et convaincant, où le divertissement et le pastiche servent de fondements à une réflexion aussi amusante qu’intéressante sur la création littéraire et sur les libertés qu’il faut savoir prendre avec la vérité pour mieux la dire. Coup de coeur.
Il fallait oser…
Imaginez un roman signé Hercule Poirot et préfacé par Agatha Christie, un roman au titre délibérément désuet et racoleur, un roman qui aurait été à sa place comme nul autre dans la mythique « Série noire » de Gallimard. Un roman qui raconterait l’histoire d’un homme qui raconterait comment il aurait écrit l’histoire qui finirait par raconter sa vie.
Imaginez un auteur plus roué qu’un privé enfanté par les géants de l’âge d’or du roman noir américain, un Keyser Söze plus vrai que nature passé maître dans l’art de la falsification éclairée (voire éclairante), de la création littéraire à tiroirs (voire à clefs) et du dédoublement (voire de l’effacement), capable de pousser la réalité dans les derniers retranchements de la fiction pour mieux hypnotiser ses lecteurs, ou, plus exactement, ralentir leur réflexion maligne jusqu’à l’arrêt total de leur méfiance vitale, tel un boa imperator de l’intrigue littéraire.
Et puis, ne pensez plus à rien et laissez-vous porter, par la voix de Vlad Eisinger, de Tom Capote ou de quel que soit le nom de cet auteur facétieux et si doué, décidément, qui n’a de cesse de nous surprendre et de nous entraîner toujours plus loin dans ce que l’écriture peut avoir d’inventif, de jouissif, d’insolent et de joyeux. D’étourdissant aussi, lorsque, utilisée avec brio, elle se met au service de la jubilation évidente d’un auteur brillant et du plaisir toujours renouvelé de ses lecteurs.
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