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C'est en lisant l'Anthologie palatine qu'Edgar Lee Masters a l'idée d'une anthologie américaine, qui ferait germer sur les tombes de la bourgade de Spoon river 250 épitaphes. Dans ce recueil au lyrisme désenchanté, les morts témoignent l'un après l'autre d'existences brisées. La violence, le vice et l'hypocrisie s'étalent sans fard, les âmes se mettent à nu, « près de la rivière, à l'endroit où s'écoulent les égouts du village, où l'on déverse les ordures, les boîtes vides et le produit des avortements clandestins ». Dans ce recueil, l'Amérique des pionniers semble expirer.
« En 1914, Ezra Pound écrit de Paris à Harriet Monroe, l'éditeur du magazine Poetry : « Publiez les poèmes de Webster Ford. C'est le seul poète qui sache écrire en Amérique. » Mais voilà : Harriet Monroe ne sait pas qui est Webster Ford dont quelques « Épitaphes » ont commencé à paraître dans le St Louis Mirror de William Marion Reedy. Ou plutôt elle ne le connaît que sous le nom d'Edgar Lee Masters, brillant avocat qui écrit en dilettante des vers qu'elle s'obstine à refuser. L'homme porte des lunettes, arbore un panama. Il a un air hautain et fume du Prince- Albert dans une pipe qui ne cesse de s'éteindre et qu'il ne cesse de rallumer. Portrait de Lee Masters. Mais duquel ? Du brillant avocat, associé de Darrow, une célébrité du barreau ? Du poète secret ? Du membre du Club du Calumet ? Du père de famille ?
De l'homme à femmes ? Du défenseur des causes de l'Union ?
De l'auteur de drames en vers jamais joués ? Ou... de l'auteur mondialement célèbre de la Spoon River Anthology ? Comment concilier la sécheresse paranoïaque du Droit et les germes lyriques (ou le clivage schizoïde) de la poésie ? « L'étude du droit, écrit Masters, a été pour moi un passage aux rayons X et comme une table de produits chimiques ».
Un passage aux rayons X. On
Avant d’être écrivain et poète, Edgar Lee Masters était un brillant avocat. En 1915, il publie
« Des voix sous les pierres, les épitaphes de Spoon River » qui propose 242 poèmes en vers libres, chacun étant l’épitaphe d’un défunt imaginaire dans le tout autant imaginaire cimetière de Spoon River.
On découvre ainsi, à travers ces épitaphes, très courts pour certains, l’humeur et le caractère de ces habitants allongés là pour l’éternité. Certains ressassent leur amertume ou leur haine, comme Amanda Barker, morte en couches et qui accuse son mari de sa mort. Il y en a de cocasses comme celle de cet homme solitaire enterré avec son chien Nig
« Son crâne repose sous ma mâchoire
Et notre histoire se perd dans le silence. Passe, monde fou ! »
Certaines se répondent comme celle du voleur de cochons et de la femme adultère.
Il y a ceux qui parlent de leur mort naturelle et les autres dont le décès est accidentel, une chute ou la morsure d’un crotale. Mais certains morts préfèrent évoquer un souvenir de leur vie passée et c’est parfois touchant.
J’ai trouvé certaines épitaphes sans intérêt et j’avoue avoir préféré les textes bucoliques ou teintés de mélancolie, comme l’épitaphe de Jonathan Houghton :
« Un vieil homme s’est endormi sous un arbre
Une vieille femme traverse la route,
Venant du verger avec un panier de mûres,
Un enfant est couché dans l’herbe »
La dernière épitaphe porte le nom véritable du poète, Webster Ford, elle est d’un lyrisme tragique.
Chacun de ces textes raconte dans des styles différents, des fragments de vie avec des regrets ou des haines encore vivaces. C’est un véritable concentré des comportements humains et qui redonne vie à tout un village. C’est si animé qu’on en oublierait presque que ces gens sont bel et bien morts et enterrés !
Des photos en noir et blanc de Mario Giacomelli illustrent le recueil. Elles sont très sombres, assez étranges et on a l’impression de voir surgir des fantômes.
On peut ne pas aimer tous les textes mais ce recueil peut se feuilleter et se picorer selon l’envie et chaque lecteur peut y trouver son plaisir.
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