Les meilleurs albums, romans, documentaires, BD à offrir aux petits et aux plus grands
Je voudrais saluer le travail du traducteur Krassimir Kavaldjiev, traducteur depuis le français en bulgare de Albert Camus, André Makine, Tristan Todorov, Jacques Lacan ainsi que depuis le bulgare de Angel Wagenstein, Tsvetanka Elenkova, Georgi Grozdev, Tchavdar Moutafov : si le talent et l’inspiration des auteurs est indéniable, celui du traducteur qui doit à la fois trouver les mots adéquats en total respect du travail original, tout en restituant la métrique des vers et l’esthétique de la poésie, est à mon humble avis une œuvre titanesque. Le recueil est généreusement accompagné d’un avant-propos de Werner Lambersy, poète belge, et d’une postface de Yordan Eftimov, auteur et critique littéraire bulgare.
Krassimir Kavaldjiev a fait le choix de présenter quatorze poètes : chacun d’entre eux est introduit par une courte biographie qui replace le contexte d’écriture. S’ensuit une petite sélection de poèmes de longueur inégale, certains assez longs, d’autres plus courts. Voici donc les quatorze auteurs : Pentcho Slaveykov, Ivan Andreytchine, Peyo Yavorov, Dimitar Boyadjiev, Teodor Trayanov, Sirak Skitnik, Ven Tin, Ekaterina Nentcheva, Nikolaï Liliev, Emanouïl Popdimitrov, Dora Gabé, Dimtcho Debelianov, Christo Yassenov, Christo Smirnenski. Je n’avais pas eu encore l’honneur de croiser leurs noms ni de près, ni de loin. La poésie reste encore un des domaines de la littérature difficile à explorer et à parler, et davantage encore lorsqu’elle provient d’un pays dont la littérature reste globalement un domaine assez confidentiel.
Parler de poésie oblige à parler versification, dans la limite de mes connaissances. On observe globalement un certain classicisme dans la forme : tout est versifié, quelques sonnets, beaucoup de quatrains, des odes (strophes en trois vers), beaucoup de huitains, on observe une métrique assez régulière. Si la forme reste globalement régulière, le fond reste beaucoup plus complexe. Je ne vais sûrement partir sur de l’exégèse poétique, je n’ai aucune prétention, certainement pas celle de vouloir décoder les intentions des poètes : même La quinzaine littéraire ne s’y aventure pas. Ce sont des poètes issus du symbolisme, les compagnons d’âme de nos Verlaine, Baudelaire, et autres illustres. Moi, j’y vois beaucoup de poèmes aux influences romantiques, Des âmes vagabondes, l’appel à la muse inspiratrice, l’ode à la nature, sa célébration à travers certains vers très lyriques – l’ode aux voyages, à la mort, au désespoir, à la souffrance.
J’ai eu une préférence pour les poèmes aux strophes courtes – de trois, quatre, cinq vers – mais aux vers très gutturaux une fois prononcés mentalement, ceux qui jouent des échos des assonances et allitérations. Ces poèmes qui insèrent de véritables coupures et laissent le temps au lecteur de réfléchir et s’approprier chaque strophe, l’une après l’autre. De même, peut-être poussée par une bouffée mélancolique, j’ai été davantage réceptive à ces vers où les poètes, qui finissent bien souvent mal – chute à cheval, suicide, mort à la guerre, mort inexpliquée, j’ai été surprise par la violence et la soudaineté de leur mort – par ailleurs, expriment leur détresse, un désespoir diffus qui bien souvent se propagent à leur environnement immédiat, qui endossent le mal-être des poètes. Je pense ici aux poèmes de Dimitar Boyadjiev, qui sont particulièrement sombres et funestes, pas de demi-mesure, la description de la ville éponyme Marseille est particulièrement sinistre et éprouvante, le mal-être indéniable de l’auteur est presque contagieux.
D’autres s’adonnent davantage dans la description, l’automne, qui est symboliquement la mort de la nature – de la sénescence des roses, des lys, des violettes – est un motif récurrent – tout comme ceux de la nuit, du déracinement, de la perte de soi et l’être aimé : les inspirations sont décidément d’ordre mélancolique, mais si on ne peut nier la beauté des vers entre l’accumulation de métaphores, de personnifications parfois difficilement déchiffrables, et des images aux dimensions démiurgiques qui dépassent la dimension humaine visiblement. La mort, la souffrance, le chagrin, et puis la guerre (des Balkans) transparait de ces lignes – notamment celles de Teodor Trayanov, à l’évidence marquées par son expérience et qu’il transpose en chants de souffrance, d’agonie.
À la lumière mes tentatives pour cerner le symbolisme à travers synesthésie et métempsychose, j’ai ressenti chez Ekaterina Nentcheva, dans le poème (Le soir dans le doux murmure) cette idée d’associer le bruit et la sensation du vent, sa mélodie, aux intonations du poème, aux allitérations ronronnantes des /s/ et des /r/, qui emporte cette voix dans l’inconnu et le silence des points de suspension et de la mort qui s’accroche aux /t/ durs de cette corde.
Le titre, il me semble, est une excellente synthèse entre synesthésie, le traducteur a su transmettre la musicalité de ces éléments de la nature auxquels les poètes vivent en communion, et la métempsychose qui laisse transparaître le déplacement continuel de ces âmes de poètes. Cette errance, cette transmutation, ou quel que soit le mot que l’on emploiera, chacun des auteurs s’emploie à sa manière à la mettre en mots, et surtout en images, en sonorités, en couleurs, en sensations audio et visuelles. Le choix de l’automne, en outre, comme saison de passage entre la vie estivale et la mort hivernale est finalement totalement cohérente.
Tous ces poètes mériteraient chacun un développement beaucoup plus approfondi mais il faudrait œuvrer dur pour trouver des recueils complets traduits en français. Ce qui différencie ces poètes de nous autres, simples mortels, c’est cette capacité à percevoir dans la vie, la nature, des choses et des sentiments que l’on n’est pas capables de percevoir, ils sont les interprètes d’un monde, d’un langage, qui nous est inaccessible. Le traducteur Krassimir Kavaldjiev, a, dans le choix des poèmes traduits et réunis ici, façonné un recueil assez homogène, malgré la diversité des sensibilités de chacun, ou les poèmes sonnent souvent en écho entre eux, à travers leur thème et leur tonalité. Le titre de l’ouvrage Des âmes vagabondes transmet ainsi cet appel, cette célébration, cette personnification de la nature, cela aurait aussi bien pu être la lune, qui est une figure qui les hante tous, comme l’automne, je le disais plus haut. Mais l’association âmes-vague-vagabondes qui constitue ce beau titre est définitivement la meilleure définition qui soit du symbolisme.
Il n'y a pas encore de discussion sur ce livre
Soyez le premier à en lancer une !
Les meilleurs albums, romans, documentaires, BD à offrir aux petits et aux plus grands
Il n'est pas trop tard pour les découvrir... ou les offrir !
Bird découvre que sa mère n'est autre que la poétesse dissidente Margaret Miu...
Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement