Des conseils de lecture pour tout l'été !
Auteur de romans policiers, François Combe se rend en compagnie de Kay, sa secrétaire, au Cielito Lindo, établissement des quartiers chauds de Nogales, la ville frontière entre le Mexique et les USA, afin de s'y « documenter » auprès de Raquel, une jeune prostituée. Ils tombent sur Jed Peterson, un ami du romancier, qui se montre très intéressé par la jeune fille. La même nuit, cette dernière est sauvagement assassinée. Qui a tué ? François Combe, qui fait profession du meurtre et des meurtriers ? Jed Peterson, le dernier à avoir été en contact avec la victime ? Les voilà tous deux dans le collimateur de la police, en tête des suspects.
Fasciné tant par le crime que par la misère, le romancier charge Estrellita, la petite servante mexicaine de la famille, de devenir ses yeux et ses oreilles au coeur des quartiers pauvres.
Quand une deuxième prostituée est retrouvée massacrée à coups de poignard dans le désert, l'étau se resserre sur Jed, que tout désigne comme le coupable idéal. Qu'à cela ne tienne, François Combe prouvera l'innocence de son ami : il s'enfonce accompagné d'Estrellita dans l'enfer des bas-fonds mexicains à la recherche de la vérité. Les murs entre richesse et pauvreté sont faits pour être franchis. Mais l'herbe est toujours plus rouge de l'autre côté de la frontière...
Librement inspiré du séjour que l'écrivain Georges Simenon effectua en 1948 dans la Santa Cruz Valley, terrain de jeu des riches et des puissants, ce thriller reflète avec brio l'atmosphère tendue et inégalitaire qui y régnait.
Des conseils de lecture pour tout l'été !
Berthet et Fromental se sont inspirés de Georges Simenon pour imaginer ce polar qui sent bon l'Amérique... Ou plutôt qui sent bon la frontière americano-mexicaine. Et ça marche bien, le désert, des personnages bien campés, des meurtres, un final réussi, que demander de plus ? Ce n'est pas un coup de cœur mais c'est bien quand même !
Un immense coup de cœur pour cette BD au récit sombre inspiré du séjour de G. Simenon en 1948 dans la Santa Cruz Valley, servie par les talentueux, dessinateur Philippe Berthet, scénariste Jean-Luc Fromental et coloriste Dominique David.
A l’instar de Simenon, François Combe un écrivain français fasciné par le crime, s’est installé dans un ranch de la Santa Cruz Valley avec sa femme, son petit garçon, une gouvernante et sa secrétaire qui deviendra sa maitresse. La famille finira par faire domicile à part.
Avec son ami Jed, l’écrivain aimera fréquenter le Cielito Lindo, un lupanar situé dans la ville frontalière de Nogalès entre Arizona et Sonora et aura aussi une relation ambigüe avec sa jeune domestique.
La frontière au-delà de délimiter deux pays (surtout qu’à l’époque la frontière n’était qu’une rue dont un trottoir était américain et l’autre mexicain), cette frontière représente surtout le contraste entre les blancs nantis et dépravés et leurs miséreux domestiques mexicains. Superbement illustré.
La fiction va nous entrainer dans un polar bien ficelé et tendu jusqu’à une chute inattendue. Le scénario à l’ambiance 'simenonienne' garde un style de facture personnelle percutante et efficace.
François Combe va endosser un rôle de détective pour aider à innocenter son ami Jed soupçonné de tuer (de façon barbare) des prostituées qu’ils aiment fréquenter dans la ville frontalière. On suivra une enquête passionnante qui nous fera découvrir une époque et une géographie.
Les dessins restituent l’ambiance de 1948, les jeux d’ombres et encre de Chine tendent l’intrigue, le style graphique sait donner un mouvement aux personnages avec un rendu traduisant la personnalité de chacun et vie à leur environnement. Une volonté de réalisme et de détail est soutenue par un excellent travail sobre et élégant de couleurs brique et mastic, parfois feutrées ou éclairées de la chaleur du soleil, des lumières la nuit, et des fois marquées de rouge-sang …
L’album est généreux en nous offrant une postface historique de la région et retrace l’itinéraire de Georges Simenon aux États-Unis.
J’ai adoré ce livre. L’avoir dans ma bibliothèque me remplit de fierté et de joie.
(La chronique très détaillée du lecteur Bd-Otaku est à lire.)
« Ligne noire »
Cette expression , trouvée par Régis Hautière pour qualifier le style de Berthet « qui traite de récits sombres dans un ligne claire » est devenue le nom de la collection dédiée à Philippe Berthet chez Dargaud. Celle-ci fonctionne à contrecourant de ce qui se faisait traditionnellement dans les séries concepts – dans « Le décalogue » de Giroud par exemple - où un scénariste officiait avec différents dessinateurs ; ici un dessinateur unique, Berthet, est servi par les plus grands du moment mettant en scène des polars dans des lieux différents . Après, Hautière et Cuba dans « Perico », Zidrou et l’Australie pour « le crime qui est le tien », Runberg et la Norvège dans « Motorcity » et enfin Raule et Barcelone pour « l’art de mourir », Fromental se consacre à l’évocation de la ville frontière de Nogales située entre le sud-ouest des USA (Arizona) et le Nord du Mexique (Sonora et basse Californie). « De l’autre côté de la frontière » avait sa place logique dans cette collection même si l’éditeur a préféré en faire un one shot indépendant.
L’ambiance est donnée dès la couverture : décor aride hérissé de « saguaros » ( les hauts cactus en forme de chandeliers), au moment où une femme qu’on identifie par sa posture et sa tenue comme une prostituée discute ses tarifs avec son potentiel client qui demeure invisible derrière la vitre fumée dans la pénombre. La voiture devient l’incarnation du mal : en légère contre-plongée elle apparaît menaçante et monstrueuse et ses phares se transforment en yeux globuleux. Les couleurs reprennent les codes du genre : le jaune et le noir comme sur la couverture de « Perico », l’œuvre inaugurale qui rendait hommage à la série noire, mais aussi le rouge (de la violence et du sang) et le bleu-gris (couleur des voitures de police et évocateur de mystères). D’emblée, les thèmes sont posés.
Ce récit est plutôt sobre dans sa forme : il est court (62pages), concis et percutant à la manière des romans « à l’os » de Simenon. Fromental a travaillé pour le cinéma et il a donc l’habitude de l’ellipse et évite les scènes inutiles. La trame est efficace : des indices sont donnés au lecteur pour qu’on sache d’emblée que le suspect est un faux coupable. Comme dans les enquêtes du commissaire Maigret, on a un coup de théâtre final : le coupable était insoupçonnable et l’explication du mobile des crimes permet de réorchestrer tous les thèmes abordés : le stupre, la violence, l’inégalité sociale.
Ce classicisme se retrouve aussi dans le dessin : les cadrages sont travaillés mais sans esbroufe et le gaufrier demeure plutôt sage. On remarque un gros travail sur la répartition des noirs et des ombres portées qui créent une atmosphère soulignée par les couleurs parfois violentes dans les scènes de meurtre : les dessins des sévices subis par les femmes sont crus et parfois insoutenables lorsque les viscères sont par exemple exhibés. La colorisation joue sinon de la nostalgie pour les années 1940 en donnant un côté rétro avec des couleurs pastel. Comme dans les films noirs hollywoodiens , on trouve notre lot de femmes fatales : Berthet magnifie les femmes comme le rappelle son récent artbook intitulé sobrement « Ladies ». Il dessine également de superbes voitures et des décors grandioses : la ville de nuit, le désert et la ghost town. La mythologie du polar en rencontre alors une autre : celle du western. Berthet conjugue, dans ce one-shot, son amour des années 1950 avec celui du western et l’on se souviendra qu’il a dessiné « Chiens de prairie ». De tels décors inspireront d’autres artistes et l’on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le film d’Orson Welles « la soif du mal» qui s’intéresse sous forme d’enquête aux trafics divers dans une ville frontière mais aussi à la frontière entre le bien et le mal chez l’homme et révèle des personnages « gris » situés entre les deux. On a alors affaire à un album qui ne se résume pas à des meurtres de prostituées et à l’identification d’un tueur en série mais prend cette intrigue comme un simple prétexte et devient l’équivalent de ce que Simenon appelait « un roman dur » .
Un « roman dur »
Dans ses « romans durs », l'écrivain s'affranchissait du fameux commissaire Maigret et des codes du polar pour mieux renouer avec sa grande obsession : la peinture de l'homme nu et seul au monde. Il y dépeignait des héros au cœur noir, plongeait dans les ombres de l'âme humaine et appliquait sa devise d'écrivain : « Comprendre mais pas juger ».
Le héros François Combes n’est ni sans peur ni sans reproches et Jed Peterson, l’accusé à tort, loin d’être innocent : tous deux sont des prédateurs. Ils n’hésitent nullement à consommer de la chair fraîche et à satisfaire leurs désirs y compris en blessant leurs proches (les femmes de Combe, Opale) . Pourtant, malgré tout, ils gardent une forme de sens moral : l’écrivain porte secours à son ami tandis que Jed veut racheter les fautes de son père. C’est d’ailleurs ce qui leur vaudra bien des ennuis.
Comme certaines des œuvres de Simenon qui ont cette prestigieuse étiquette – « Les rescapés du Télémaque » par exemple - , cet album s'inscrit dans le cadre traditionnel d'une enquête menée par un homme qui n’est pas du tout policier. Dans le roman de Simenon, c’était le frère jumeau du suspect, simple employé de chemin de fer qui menait son enquête et démasquait le vrai coupable. Ici c’est un écrivain qui s’improvise enquêteur et entraîne même avec lui une jeune femme qui fait partie des « invisibles » : la jeune bonne mexicaine.
La frontière est en effet moins géographique que sociale. Elle sépare distinctement une population blanche aisée et décadente qui s’était aménagé une retraite dorée afin de pouvoir se livrer dans l’impunité à tous les excès d’une population mexicaine miséreuse, au service des premiers ou vivant d’expédients, de trafics et de la prostitution. On a une coexistence de deux mondes dans un rapport quasi colonial. Estrellita, qui vient du côté mexicain mais travaille chez François, fait le lien entre les deux.
Cela permet à Fromental, comme chez Simenon, de creuser sa veine réaliste du monde des petites gens. Dans les « rescapés du Télémaque », l’écrivain évoquait les conditions de vie des marins et du petit peuple de Fécamp ; ici le scénariste met en scène, par-delà l’histoire d’un « Jack l’éventreur » mexicain et de l’enquête, de riches débauchés et des femmes misérables. Il s’intéresse d’un côté aux proies, de l’autre aux prédateurs et dépeint un monde où la spoliation est généralisée et où règne l’abus de pouvoir masculin qui a laissé pour compte de nombreuses victimes depuis des décennies tant dans la population mexicaine servile que chez les propriétaires victimes de la spéculation et de la récession. Ainsi l’album revêt un côté documentaire, voire social, et acquiert des résonnances particulières sur la place de la femme dans le climat actuel.
D’ailleurs on notera que c’est à la jeune bonne mexicaine qu’incombe la narration. comme dans le précédent opus de Fromental « le coup de Prague »où c’était Elisabeth Montaigu qui contait l’histoire de Graham Greene et la genèse du troisième homme. La femme n’a donc plus un simple rôle de faire-valoir mais guide aussi bien le héros que le lecteur : elle nous permet de comprendre l’univers de Nogales, mais aussi celui de François Combes . Là aussi on se retrouve « de l’autre côté de la frontière » : dans les coulisses de la création et de la vie d’un célèbre écrivain.
Le roman de l’écrivain
Estrellita sert de « double » à Fromental car on peut retrouver dans cet album une sorte de biographie fictionnelle et fantasmée de la part d’un scénariste talentueux qui connaît son Simenon sur le bout des doigts.
En 1945, Simenon fuit l’épuration : il est accusé de collaboration avec l’ennemi car il a travaillé pour la firme allemande Continental qui a adapté certains de ses romans au cinéma; il veut aussi conquérir le marché américain alors, après un passage au Canada, il part pour Hollywood dans l’espoir d’y adapter ses œuvres et s’installe dans le Connecticut puis découvre New-york, la Floride, l’Arizona et la Californie. Le héros porte ses traits, il est un peu empâté et ridé, d’ailleurs Berthet explique qu’il n’était pas forcément à l’aise pour ne pas dessiner un bel homme semblable à ses héros habituels (tel Philippe Martin dans « L’art de mourir » par exemple). Au début de son séjour américain, Simenon était accompagné de sa femme Tigy et de son fils Marc alors âgé d’une dizaine d’années, de sa maîtresse et secrétaire la jeune Denyse Ouimet et de sa gouvernante Boule (qui est elle aussi était sa maitresse également ! ). On retrouve dans l’album, ce côté polygame chez le héros et l’atmosphère irrespirable de rivalité qui régnait dans ce gynécée. On a même un clin d’œil au nom de la maison qu’occupait la maîtresse de Simenon dans la vraie vie (Stud barn) dans le nom choisi par Fromental pour le ranch de Combe : Stallion farm (la ferme de l’étalon). Combe partage la même appétence pour la gent féminine et en particulier pour les prostituées que son illustre modèle qui se vantait d’avoir eu 10000 femmes dont 8000 professionnelles ; Fromental explique d’ailleurs, dans le dossier final, qu’il a créé la scène d’ouverture, à partir d’une photo qui l’a marqué : on y voyait « sa voiture arrêtée devant un bordel à la frontière mexicaine [avec] à son bord, Denyse, sa secrétaire et maîtresse qui l’attend ».
Il émaille, de plus, cette biographie à clefs de références à l’œuvre de Simenon. Ainsi , le nom de deux des protagonistes : François Combe et Kay vient de « Trois chambres à Manhattan » qui racontait la rencontre entre Simenon et sa secrétaire. Certaines descriptions que l’on trouve dans la bande dessinée (notamment la chevauchée en compagnie du fils et la découverte du village fantôme) reprennent l’unique western de Simenon « la jument perdue » tandis que l’alcool qui coule à flot dans santa « booze » valley chez les ranchers quand le crues de la rivière les isolent et les adultères pour tromper l’ennui viennent directement du roman « Le Fond de de la bouteille ».
Enfin, à l’épilogue, le roman qu’envoie François à Estrellita est finalement l’album qu’on vient de lire : l’écrivain et sa charmante acolyte y deviennent donc personnages ! On pourrait voir dans cette mise en abyme un ultime hommage à Simenon qui fera de même dans « mémoires de Maigret » où, imaginant une rencontre entre le commissaire et le romancier, il se mettra en scène avec son héros fétiche et les fera disserter, se contredire et dialoguer sous cet angle double : la réflexion sur la vocation de policier - et sur celle d'écrivain dans un savoureux jeu de miroirs.
Ce sont ces deux dernières dimensions sociales et littéraires qui font toute l’originalité de ce magnifique album. On aurait même aimé que la pagination soit plus importante pour développer davantage la psychologie des personnages. On appréciera enfin particulièrement les éclairages qui sont donnés sur le côté anthropologique et biographique grâce à la postface et au dossier iconographique final qui retrace l’histoire de la Santa Cruz Valley et l’itinéraire américain de Simenon.
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