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« Envoûtée, comme enivrée, Marjorie l'était à nouveau en regardant l'homme et la femme onduler sous ses yeux. Leurs bras chantaient en canon. Leurs mains se croisaient à intervalles réguliers. Le mouvement était répété plusieurs fois, puis la musique s'emballait, et leur pas de deux se terminait par un porté de haute volée. Pour Marjorie, qui parlait la danse mieux que personne, la signification était très claire. Après une phase d'atermoiements, de faux-fuyants et de méfiance, l'homme et la femme faisaient le choix de la concorde, de l'harmonie. Ensemble, ils effaçaient le temps de l'incertitude. Ou, mieux, ils l'oubliaient ».
Ancienne danseuse étoile, Marjorie a fait ses adieux à la scène au moment où elle admire ce pas de deux. Elle vit avec Paul, une petite fille est née, et elle s'interroge sur son avenir.
Toute la tension dramatique de ce premier roman remarquable de concision est contenue dans la description du couple dansant : après l'éblouissement de la rencontre, le temps pour Marjorie et Paul est aux faux-fuyants. L'un et l'autre ont voulu croire qu'ils pourraient faire fi de leur passé : Marjorie de ses origines cambodgiennes ; Paul, un protestant ardéchois, des névroses familiales. Leurs deux silences, qui leur furent d'abord un refuge, s'entrelacent jusqu'à les éloigner.
Par-delà l'histoire de Marjorie et de Paul, Caroline Broué, en de brèves séquences syncopées, scrute les doutes d'adultes de quarante ans aujourd'hui : ceux que la vie oblige à prendre leur destin à bras-le-corps et dont c'est le tour d'entrer en scène. De ce pas est un très beau roman sur le temps qui passe, et sur ses bienfaits.
Bon sang, encore un roman qui parle de danse… Après la déception avec En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut, je suis un peu refroidie… Et puis, je viens de lire Brillante de Stéphanie Dupays que j’ai beaucoup aimé… Alors à quelle moulinette va passer De ce pas ? Je vous rassure tout de suite : j’ai adoré ce roman ! À tel point que je ne sais pas trop par où commencer et comment en parler…
De ce pas est un roman qui parle du couple mais aussi du souvenir, du passé, de la mémoire. « Paul et Marjorie n’arrivent plus à se parler. Les mots restent bloqués dans leur gorge. Marjorie est aussi impuissante que Paul est désarmé. Ils sont deux êtres seuls, isolés, retranchés dans leur tour. » (p. 122). Et de tant d’autres « petites » choses, la musique, la danse, la peinture, l’histoire, l’Ardèche, le protestantisme, l’Afrique du Sud et les requins (passage passionnant !). Comment ne plus fuir son passé, comment le repasser, le dépasser et le construire pour vivre avec et pas contre lui ? Voici le thème de ce roman qui est pour moi une très belle révélation, qui m’a profondément remuée (mon amour de l’Asie – plus que de la danse – y est pour quelque chose, c’est sûr), qui m’a rendue à la fois joyeuse et triste, enjouée et nostalgique, qui m’a laissée vide et sans voix une fois terminé, à tel point que – comme je le disais au début de ce billet – j’ai du mal à rédiger ma note de lecture plus d’une semaine après la lecture… Une petite merveille envoûtante tout en délicatesse et subtilité !
Sur la danse (il y a d’autres passages sur la danse mais celui-ci me fait appréhender véritablement ce qu’est la danse pour une néophyte comme moi !) : « Physique et abstraite, terrienne et aérienne, fruit d’un double mouvement, Éros et Phobos, le désir et la peur, l’appétit et la retenue, le geste qui va vers et le geste qui recule, fuit. La danse comme espace et temps. En elle, le mouvement naît, meurt, puis renaît, chute et va de l’avant, tombe et se relève. La danse comme tour et retour. Un déclin prélude au rebond. Une potentialité de vie. La danse enfin comme livre d’images pour la pensée, une métaphore du mouvement même de la pensée. Une pirouette des idées. Un rond de jambe de l’esprit. Une révoltade des émotions. » (p. 81).
https://pativore.wordpress.com/2016/07/27/de-ce-pas-de-caroline-broue/
http://leslivresdejoelle.blogspot.fr/2016/06/de-ce-pas-de-caroline-broue.html
Lever le voile du passé qui obscurcit l'avenir, rompre le silence pour s’alléger
Tin, danseuse étoile à l'Opéra de Paris à la grâce orientale rencontre Paul, photographe passionné de peinture. Ils tombent amoureux et construisent leur vie sans se parler de leur vie d'avant.
Tim a fui le Cambodge à l'âge de 5 ans avec sa mère durant le génocide en 1975, elle n'a rien voulu savoir de son pays depuis son départ. Paul est un idéaliste qui a fui sa famille disloquée
Tin et Paul sont réunis par le silence de l'art, ils se comprennent d'un regard."Ils n'avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. L'entente entre eux était tacite. Ils s'accordaient d'un regard furtif. D'un geste de la main."
Des blessures et la fatigue générale de son corps contraignent Tim à arrêter sa carrière de danseuse étoile, elle décide alors de changer de nom et de demander la nationalité française. Tim devient Marjorie. Mais "on ne change pas impunément d'identité sans que le passé vous rappelle à lui"
Mais un jour leur passé va devenir trop lourd à porter et leur fille Elena ne peut se construire sereinement dans le silence de ses origines. Marjorie et Paul vont devoir affronter leur passé bâti sur l'image idéalisée d'un père pour elle et l'image dégradée d'un père pour lui.
Quelques personnages secondaires gravitent autour d'eux : Lucien, l'ami de Franck, son contraire extraverti et Coralie, l'amie de Marjorie, une angoissée chronique.
Il y a aussi Justine, une vieille voisine, aux paroles empreintes de sagesse, qui raconte à Marjorie des épisodes de sa vie marquée à jamais par la Shoah et Jérôme, un aventurier au passé obscur, rencontré en voyage.
J'ai regretté que l'histoire de ces personnages annexes ne soient pas suffisamment fouillée.
Un joli roman sur la résilience écrit avec des va-et-vient entre les différentes époques de la vie de ce couple qui m'ont parfois gênée car j'ai trouvé la construction de ce roman parfois déroutante.
Un roman sur les non-dits, sur le poids des histoires familiales, sur la parole qui libère enfin du passé trop pesant. Une jolie écriture sensible au rythme parfois saccadé qui pose la question : peut-on être heureux en vivant sans passé?
Tin la cambodgienne est devenue Marjorie, ancienne danseuse étoile, jeune maman d’une petit Elena, épouse accomplie et apparemment heureuse. Aujourd’hui, elle se pose des questions sur son passé, son enfance, ces blessures qu’elle a cachées dans un coin de sa conscience pour ne pas trop en souffrir. Arrivée en France en 1975, à 5 ans à peine, alors qu’elle fuyait le Cambodge des khmers rouges avec sa mère, elle est restée pendant de nombreuses années sans nouvelles de Chim, le père resté à Phnom Penh.
Paul, son mari, photographe, est issu d’une lignée de protestants ardéchois. Il a depuis longtemps coupé les ponts avec ses parents sans que l’on comprenne vraiment ce qui a causé cette séparation, il revoit à peine sa sœur. Et l’on s’interroge pour savoir d’où vient cette faille dans sa généalogie familiale et qui aujourd’hui lui cause tant de bleus à l’âme
Justine, la vieille voisine sage et aimante, se prend d’amitié pour Marjorie la courageuse, la flamboyante danseuse étoile, la petite fille qui souffre de son passé et doute de son avenir. Justine, rescapée des camps, sait bien que lorsqu’on souffre trop, on se tait car on ne peut pas dire l’horreur et la douleur, mais elle sait aussi que pour vivre, il faut avancer, ne pas oublier, mais continuer, passer à l’âge adulte, puis passer le flambeau à la jeunesse.
De ce pas de danse, de ce pas de deux, Caroline Broué écrit un premier roman aérien et léger, profond parfois. Il est comme ces figures de ballet qui s’envolent et nous font rêver, auréolées de mystère, images du bonheur donnant une impression de légèreté qui font oublier aux spectateurs la souffrance qui est cachée derrière, au plus profond, et surtout la ténacité, la pugnacité qu’il a fallu pour en arriver là. Le livre, construits en flashback qui passent d’une époque à l’autre, ou changement de personnages en peu de phrases est parfois compliqué à suivre, mais au final, voilà un questionnement intéressant sur les origines, ce que l’on cache, ce que l’on imagine, ces secrets ou ces non-dits qui peuvent détruire des familles. Sur les interrogations d’un couple également, quand chacun atteint cette quarantaine fatidique où il est de bon ton d’avoir réussi sa vie… ah, mais réussi comment ? A ses propres yeux ou mesuré à l’aune des autres ?
Un 1er roman de cette auteure..
Un couple, lui Ardéchois, elle Vietnamienne qui s'exprime au fil des pages, nous raconte sa fin de carrière de danseuse professionnelle, sa vie de couple.. Au travers de sa voisine, Justine,rescapée des camps, surgit son passé et celui de Paul son mari.. Tous 3 sont des écorchés de la vie, aux parcours et histoires différents..
De la grâce, de la légèreté virevoltent tout au long des pages, tels des pas de danse afin de permettre à Marjorie d'avancer sur son chemin de vie, de retrouver sa place, de vaincre ses démons afin de clore son " dédoublement" de personnalité...
Une belle histoire pleine de poésie, de doutes, de victoires sur soi et libératrice à la fin...
A découvrir
https://cahiersvarisetplumenacre.wordpress.com/cahier-des-lectures/
Comme toujours, lorsqu’une maison d’édition ajoute un petit plus par le choix du papier j’adore ! Ici, les pages sont très douces alors que la couverture a un contact plus granuleux. L’ajout des deux pages de garde intérieures colorées agrémentent joliment l’objet livre. Ainsi, j’ai eu plaisir à avoir ce roman entre les mains ! D’après le titre, je m’attendais à un départ rapide. Comme si le héros allait y aller « de ce pas » ! En fait, j’avais fait fausse route. Il s’agissait de pas de danse. J’aurais pu le savoir en lisant la quatrième de couverture, mais je la découvre toujours seulement lorsque j’ai terminé le livre. J’aime bien aborder une histoire avec l’esprit le plus « neuf » possible.
C’est aussi pour cette raison, que je ne voudrais pas trop en dévoiler en présentant ce livre car je trouve qu’il y a de l’intérêt à le découvrir petit à petit. C’est le récit de la vie de Marjorie, née au Cambodge. Sa famille a fui vers Paris. Elle y devient danseuse étoile. Cette vie est remplie de tensions, d’incompréhensions, de doutes, de passions. Caroline Broué a divisé son premier roman en quatre parties : Marjorie, Tin et Paul, Marjorie et Paul et enfin un épilogue. Chacun de ces chapitres correspond à un épisode centré sur les personnages qui lui donnent leur nom.
Pour moi, le livre se termine sur une note de mystère car j’ai du mal à croire à la dernière rencontre de Marjorie. Le « Marjorie rouvre les yeux » me laisse songeuse. (p 168).
J’ai beaucoup aimé le passage qui a eu comme écho une conversation « par hasard » le lendemain de l’avoir lu. Une jeune fille de 10 ans, passionnée de danse, expliquait combien la danse était pour elle un moyen d’expression très fort. Marjorie vient de danser au Palais Garnier. Sa mère l’a « trouvée belle, farouche, ardente, capable de tout. Et elle m’a dit que jamais elle ne m’avait vue aussi expressive, qu’elle comprenait maintenant à quel point le corps était mon instrument et ma voix, qu’elle comprenait son erreur quand elle me reprochait, petite, de ne jamais dire ce que j’avais sur le cœur. En sortant de la loge, elle m’a promis que plus jamais elle ne me dirait des phrases comme « On ne sait jamais ce que tu penses, tu n’exprimes rien, comme si tu étais éteinte, tu mets un couvercle entre toi, tes émotions et le reste du monde. » » (p 56 et 57)
C'est le 1er d'une longue série de 1ers romans mais il pourrait s'agir de 1ers romans sortis il y a quelques années, découverts récemment comme... Balzac et la petite tailleuse chinoise ou bien Pour l'amour d'une île...
Non, là, il s'agit de 1ers romans exceptionnels.
D'abord, ils font partie des 68 premières fois, ce collectif créé à l'initiative de Charlotte MILANDRI qui donne déjà lieu, après quelques jours seulement, à une frénésie folle sur la toile !
Ensuite, il s'agit de 1ers romans tout juste sortis des presses pour la rentrée littéraire d'hiver et qui attendent encore leurs heures de gloire pour ceux qui bénéficieront des honneurs de la rentrée littéraire de septembre 2016. C'est donc de l'actu, rien que de l'actu !
Enfin, parce qu'il s'agit de 1ers romans qui seraient sans doute passés inaperçus sans le coup de pouce de l'Insatiable et des 75 doux.ces et dingues lancé.e.s dans l'aventure !
Alors, quand je me surprends à aller faire le relevé du courrier (j'en avais perdu l'habitude devant le si peu d'objets osant encore reposer dans ma boîte aux lettres !), et que je découvre une enveloppe légèrement gonflée par le volume du livre et adressée à mon nom, je saute au plafond ! Et ce n'est encore rien...
Maintenant, à livre exceptionnel, moment exceptionnel.
Dimanche soir, je m'isole pour une parenthèse de 2h30 rien qu'à moi, un plaid, une théière pleine de son meilleur crû, Le Thé Rose Congou n° 23, blottie dans mon fauteuil préféré, je me lance...
Autant vous le dire tout de suite, je vais passer 2h30 en apnée totale et ce n'est pas peu dire à la lecture des 1ères lignes :
Afrique du Sud, au large de Gansbaaï, juin 2005, Marjorie est enceinte de six mois. Elle nage avec masque, palmes et tuba, à quelques dizaines de mètres du bateau quand, tout d'un coup, il lui semble voir une masse qui se rapproche. Tout va très vite dans sa tête, la Shark Alley, ce couloir marin connu dans le monde entier pour sa concentration de grands requins blancs [...].
Marjorie est une jeune femme. Sa mère est décédée l'année dernière d'un cancer foudroyant. Son père est disparu depuis longtemps. Elle vit avec Paul et porte son enfant. Elle se souvient de son parcours, son exil, sa migration. Elle a quitté le Cambodge avec sa mère en 1975. Son père a organisé ce départ dans la précipitation alors que les victimes du génocide ne se comptent déjà plus. Elle arrive en France et intègre l'Ecole de Danse de l'Opéra.
Ce roman est construit comme un puzzle. Il apparaît dans sa version achevée dans les premières pages et puis progressivement, chaque pièce va se détacher pour devenir une entité à part entière que Caroline BROUÉ va nous faire explorer dans les moindres détails.
"Prodigieux" comme le dit elle-même l'écrivaine P. 93.
J'ai été subjuguée par la grâce, le raffinement de la danse. Il y a des paragraphes entiers dédiés à ces pas qui, guidés par des danseurs étoiles, deviennent des oeuvres artistiques à part entière et d'une beauté extraordinaire.
"C'est un balloté. Un saut d'un pied sur l'autre, d'avant en arrière. Ou plutôt, un dérivé de ballotté. Deux mouvements lancinants s'affrontaient et se répondaient en même temps : d'un côté l'hésitation, de l'autre la stabilité. L'homme et la femme commençaient par balancer les bras, poignets joints, paumes ouvertes vers le sol, genoux fléchis, en quatrième position, tête droite, avant de se relever en développé." P. 18
La danse ne serait rien sans le corps bien sûr, mais plus subtil, il ne serait rien sans la pensée, les 2 intimement liés dans la réalisation d'une chorégraphie :
"Qu'est-ce qui fait bouger le squelette ? Les muscles. Et qu'est-ce qui active les muscles ? La pensée. Vous n'arriverez à rien en danse sans la pensée." P. 19
Caroline BROUÉ ne va pas se contenter d'aborder l'art par la seule voie de la danse, elle va aussi emprunter celle de la peinture et là, c'est encore tout un spectacle !
J'ai été profondément émue par l'itinéraire de cette jeune femme sur le chemin de la résilience, une jeune femme marquée par son propre déracinement, l'absence de son père, la souffrance liée à la mort de sa mère, et puis sa douleur devant un corps qu'elle ne maîtrise plus.
J'ai été frappée par la manière de Caroline BROUÉ de ponctuer ce roman par un terme de façon récurrente : "construire". Tantôt décliné seul...
"Construire, c'est aller des fondations au dernier étage de la maison. C'est à la fois bâtir en partant de rien, fixer ensemble les différentes parties d'un objet, élaborer quelque chose, et disposer dans un certain ordre." P. 29
Tantôt pronominal : "se construire" P. 74, il s'offre parfois une 2ème chance : "se reconstruire" P. 72.
Mais il arrive qu'il soit aussi plongé dans le chaos et là, il devient nom : "destruction" P. 118 !
J'ai mesuré le poids et l'énergie des souvenirs dans cette façon qu'à l'être humain d'avancer :
"Les souvenirs ne sont pas prophètes. Ils disent l'époque révolue, celle qui s'est pour toujours éteinte, et qu'une mélodie ou la sérénité d'un feu de cheminée ravivent un bref instant." P. 57
Pour moi, un roman est complet lorsqu'il flirte avec l'Histoire. Et là, avec le personnage de Justine, je suis comblée.
En fait, à bien y regarder : l'art, la psychologie et l'Histoire s'y retrouvent mêlés sous une plume parfaitement maîtrisée. Ce roman porte très bien le costume d'un coup de coeur !
Un roman comme un ballet pour raconter l'histoire de Justine, de Marjorie, de Paul; pour raconter l'acceptation du passé afin de voir arriver l'avenir sereinement; pour construire son présent.
Justine, vieille dame juive, a eu son destin fracassé un matin 1944 quand, petite fille, elle a été sauvée alors que sa mère disparaissait pour toujours.
Paul a vu s'écrouler la quiétude familiale quand il a compris que son père avait abusé de sa grande soeur.
Tin a vu son destin basculer quand sa mère et elle ont quitté Phnom Penh envahi par les Kkmers rouges et que son père y est disparu quelques jours plus tard.
Marjorie, au mitan de sa vie, tisse une toile entre ces histoires, essaie de construire sa vie, essaie de se trouver, entre silences et dénis.
Ce roman est un roman d'initiation : que faire de son passé quand il est douloureux et insupportable ? Comment laisser partir les fantômes sans disparaître soi-même ?
Il provoque une réflexion personnelle tout en douceur, à petits pas de rats d'opéras.
Ecrit en si bémol, il laisse du temps au temps. Chaque personnage mettra des années à atteindre l'acceptation.
Sur un air de valse lente, les personnages ont le temps de se construire dans le tourbillon de la vie.
Comme dans un ballet de Carolyn Carlson, chacun avance, entre andante et allegro, entre pas glissés et entrechats, jusqu'à triompher de la souffrance.
J'ai ressenti beaucoup de tendresse pour chacun des personnages, tellement empêtrés dans leurs doutes et leurs contradictions.
La forme sert le fond : un découpage narratif qui permet à l'histoire d'avancer grâce à des retours en arrière; un style soigné; et la danse, omniprésente, comme une métaphore de la vie.
Un beau moment de lecture, léger et puissant.
En lisant ce premier roman, il m'a semblé voir une chorégraphie contemporaine tant la construction et la narration jouent avec les composantes essentielles de la danse.
L'histoire peut en sembler banale si l'on s'en tient à son squelette : un couple, Marjorie et Paul, elle danseuse-étoile, lui photographe, qui après s'être aimés passionnément laissent les douleurs refoulées de l'enfance envahir leur "potentialité de vie". Mais à ce squelette, Caroline Broué vient délicatement ajouter la chair, le coeur, les muscles et le sang pour offrir au lecteur un roman d'une grâce aérienne qui combine ce que la danse met en jeu : espace - temps - mouvement - corps
Espaces géographique et intérieur dans lesquels s'inscrivent les déplacements des personnages, de Phnom Penh à Montaren, petit village d'Ardèche, de l'Afrique du Sud à New-York, mais aussi l'évolution de leurs relations et de leur présence au monde. Tin à Phnom Penh avec ses parents devient Marjorie à Paris avec Paul. Jérôme s'approprie les mots et donc la vie de quelqu'un d'autre. Paul délaisse son meilleur ami avant de revenir vers lui. Rapprochement-éloignement, fusion-séparation, isolement-attachement dessinent des courbes et des trajectoires où chacun "naît, meurt, puis renaît, chute, va de l'avant, tombe et se relève".
Les rebonds temporels ajoutent encore à "l'électricité des échanges et des existences qui se croisent". Ce temps qui n'a pas fait tomber dans l'oubli la disparition d'un père ou sa déchéance et qui, brutalement, ramène à la conscience tous les dénis, tous les compromis, ceux que Marjorie et Paul ont voulu oublier mais qui reviennent en force au moment où ils deviennent parents à leur tour. Que vont-ils transmettre à Eléna leur fille si eux-mêmes ne sont pas en paix avec leur propre histoire, avec leur propre famille ? De ce "sans", de ce "pas", Justine, la vieille amie de Marjorie a su faire une pleine existence, une existence sans peur et qui ne craint pas de détruire pour mieux construire.
Un très, très joli roman qui mérite que l'on s'y attarde et qui apporte "la douceur dans la violence du monde".
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