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AVRIL 1951.
Dans un petit bureau des Champs-Elysées, Jacques Doniol-Valcroze, Lo Duca et Léonide Keigel feuillètent les premiers exemplaires d'une nouvelle revue voulue par André Bazin : les Cahiers du cinéma. La couverture du premier numéro est déjà jaune, et sera longtemps un signe de ralliement des cinéphiles.
MAI 1959. Les Quatre Cents Coups triomphent au Festival de Cannes. Derrière François Truffaut, c'est toute une génération de critiques - de Claude Chabrol à Jean-Luc Godard, Jacques Rivette ou Eric Rohmer - qui passe avec armes (un don certain pour la polémique) et bagages (une passion et une vraie intelligence du cinéma) du côté de la mise en scène.
On connaît la suite.
ENTRE CES DEUX DATES. L'histoire des Cahiers du cinéma est celle d'une génération enthousiaste et injuste, brillante et provocatrice, conviviale et divisée, qui va donner naissance à la Nouvelle Vague. La figure centrale de ce noyau de moralistes du cinéma est incontestablement André Bazin qui, selon le mot de Truffaut, fut " un homme célèbre par sa bonté ".
Du côté de Renoir et Rossellini, défendant le cinéma hollywoodien pourfendant " une certaine tendance du cinéma français ", ces jeunes Turcs inventent, au fil des débats et des polémiques, cette " politique des Auteurs " qu'incarnent des réalisateurs alors méprisés ou incompris tels que Hitchcock, Hawks, Lang, Nicholas Ray ou Minnelli, et qui va révolutionner la critique de cinéma dans le monde.
Relisant les textes, traquant les personnages, profitant de sources d'archives inédites, Antoine de Baecque raconte les dix premières années d'une revue qui ne pouvait laisser quiconque indifférent. Il offre ainsi le premier récit du " cinéma vu de la critique ", d'une critique qui laisse aujourd'hui encore le lecteur haletant, ravi, parfois irrité, ou à bout de souffle.
Des années soixante aux années quatre-vingt, quatre générations de critiques se succèdent aux Cahiers du cinéma, parfois se combattent, au sein d'une revue qui voit changer, non seulement son contenu, ses rubriques, mais aussi sa maquette, son allure, ses couleurs.
Une identité faite de ruptures et d'éclats. Qui n'ont pourtant empêché en rien que le nom des Cahiers du Cinéma dresse, attire, polarise des exigences communes et que la pensée du cinéma se soit cristallisée là.
Le premier tome de cette histoire faisait le récit d'une fondation. Au cours des années cinquante, un groupe de jeunes critiques a vu et compris le cinéma classique, violemment combattu la qualité française et jeté les bases de sa pratique future : la Nouvelle Vague était née.
Le second volume est davantage un récit d'aventures. Car les Cahiers, d'abord classiques sous la direction d'Eric Rohmer, décident de s'ouvrir au monde, et au cinéma en tant qu'art moderne. La revue quitte alors les rivages de l'archipel cinéphilique pour traverser un univers culturel et politique foisonnant, riche de découvertes mais aussi de récifs. Les Cahiers du cinéma ont donc ressemblé à leur temps, apportant dans la vie intellectuelle un regard sur le cinéma.
C'est la volonté de Jacques Rivette, qui entraîne la revue à la rencontre de théoriciens tels Barthes, Boulez et Lévi-Strauss, en 1963. C'est le désir de Jean-Louis Comolli et Jean Narboni, quand ils découvrent les nouveaux cinémas du monde, ou lorsqu'ils lancent la revue dans les combats politiques de la fin des années soixante : l'affaire Langlois, Mai 68, puis l'expérience jusqu'auboutiste du gauchisme.
C'est encore le souhait de Serge Daney et Serge Toubiana, quand ils créent, en 1980, le " Journal des Cahiers ", et redonnent à la revue le goût et la curiosité d'arpenter le cinéma.
Aussi, des histoires intellectuelles, les Cahiers en ont beaucoup partagées, pour le pire et le meilleur. Comme le dit Gilles Deleuze, ils ont été " très peuplés à l'intérieur d'eux-mêmes ". Telle fut l'attitude des Cahiers du cinéma, tel est l'intérêt de raconter leur histoire : comprendre, à travers le cinéma, les tours et détours de la pensée française contemporaine.
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