Des idées de lecture pour un été plein d’émotion et d’inattendu !
À cause de la couleur de sa peau, Fio Jasmin n'a pas pu jouer le rôle de prince dans la pièce théâtral de son école. Des années plus tard, toujours marqué par ce souvenir, il met en oeuvre un parcours de grand séducteur. Marié, père de neuf enfants officiels et d'un bon nombre de non reconnus, il s'affranchit des limites sociales imposées aux hommes noirs et entreprend de conquérir un royaume tout à lui, d'être le seigneur d'une large famille, éparpillée aux quatre coins du pays. C'est par la voix des femmes qui ont croisé son chemin qu'est racontée l'histoire de Fio Jasmin, en une mosaïque affectueuse et polyphonique, aimante et douloureuse.
Ainsi, à travers la figure du personnage Fio Jasmin, Conceição évoque et convoque magistralement les contradictions et les complexités qui entourent la masculinité dans notre contemporanéité, ainsi que leurs rapports à l'amour et à l'infidélité.
Je capte comme témoin oculaire ou comme auditrice la dynamique de vies qui se confondent avec la mienne pour une raison ou pour une autre. J'ai été l'une des femmes de Fio Jasmin, à l'occasion peut-être. Fio Jasmin peut aussi incarner la figure d'un père qui m'a échappé comme affection. Non, le jeune homme ne m'est pas étranger, les femmes qui ont croisé son chemin non plus. Voilà pourquoi je m'efforce à toutes les écouter. Elles sont nombreuses, plurielles et diverses, les voix qui me poussent à l'écrivence. C.E.
Des idées de lecture pour un été plein d’émotion et d’inattendu !
Fio Jasmin est un homme à femmes. Il semble séduire les femmes pour surmonter la honte et la peine de ne pas avoir pu jouer le rôle du prince à l’école à cause de sa couleur de peau. Son histoire est ici racontée par les femmes qui l’on connu.
"Comme son père, Maximo Jasmin, il répétait que l’homme, le mâle, n’avait rien à perdre. […] On disait que le jeune aide-machiniste avait quelque chose de dur en lui, d’incassable comme l’acier des chemins de fer."
Très agréablement surpris par ce court roman. J’ai trouvé originale l’idée de faire le portrait d’un homme pas particulièrement féministe, je dirais même très autocentré sur son plaisir et son désir de séduction par des femmes qui l’ont croisé, qui ont partagé des moments plus ou moins longs avec lui. Là où Fio Jasmin croit en son pouvoir masculin, peut-être ne faut-il y voir que celui des femmes à utiliser Fio pour leurs propres désirs. Conceição Evaristo parle de l’homme, de la masculinité, de son rapport aux femmes, à l’amour, à la fidélité. Fio, s’il séduit beaucoup de femmes ne le fait qu’avec leur consentement et elles savent qu’il est marié et père et qu’il ne quittera jamais Pérola Maria sa femme.
L’autrice dans une langue simple, fluide qui coule parfaitement avec beaucoup de tendresse pour tous les personnages, un peu d’humour, de sourires aux lèvres décrit en profondeur et Fio et ses femmes. Leurs vides, leurs besoins de rencontre, de moments de chaleur, leurs désirs. Beaucoup de douceur, pas de rancœur ou de jalousie, ni de rivalité entre les femmes séduites et Pérola Maria ni entre Fio qui a beaucoup de succès féminin et ses amis. Ce sont de vraies belles rencontres qui, souvent se concluent par des enfants que Fio ne connaîtra pas toujours.
Très beau roman, au titre très poétique, qui colle parfaitement au contenu.
Ce jeudi 6 juin est paru aux Éditions des Femmes/Antoinette Fouque le titre de l'autrice brésilienne Conceição Evaristo. Maria da Conceição Evaristo de Brito est l'un des grands noms de la littérature brésilienne contemporaine. Professeur d'université, elle est autrice afro-brésilienne : ce terme désigne les descendants des esclaves d'origine d'Afrique sub-saharienne au Brésil. Elle est l'une des représentantes les plus importantes du postmodernisme (utilisation du métalangage et assemblage de mots pour générer de nouvelles significations) dans son pays. Issue d'une famille nombreuse, et pauvre, ses premiers livres virent le jour dans les années 1990, et c'est d'abord la littérature orale qui lui a donné le goût des mots et des histoires. de par ses origines, Conceição Evaristo a mis du temps à faire reconnaître sa légitimité, les autrices et auteurs de favelas ne rencontrent souvent pas la reconnaissance qu'ils méritent, elle se revendique actuellement comme un écrivain des minorités, sociale, sexuelle, afro-brésilienne, au Brésil.
Conceição Evaristo a écrit ainsi un livre sur un homme, Fio Jasmin, afro-brésilien, qui rêvait d'incarner un prince dans une pièce de théâtre alors qu'il était enfant. Mais qui ne l'a jamais été en raison de sa couleur de peau. Il a ainsi surmonté sa déception en enchaînant, une fois adulte, marié, et père de famille, les liaisons avec toute une pléiade de jeunes femmes. Fio Jasmin est machiniste, en d'autres mots, cheminot. Bien que marié à Párola Maria, avec qui il a 9 enfants, il multiplie les aventures avec les femmes dans chaque village où il passe. Une femme par village et par chapitre. S'il s'agit bien d'un homme, et la façon dont il vit sa masculinité les sujets de ce roman, la parole est aux femmes, à travers la narratrice, qui semble avoir compté parmi l'une de ses maîtresses.
C'est, également, et en grande partie un roman sur l'amour, et sa jouissance, c'est l'autrice qui le dit en préambule. L'histoire d'un homme, qui vit toutes ses histoires d'amour, sous le signe de l'expérience, personnelle de l'autrice, mais de bien d'autres femmes, car l'expérience ne s'arrête pas à soi-même. Flo Jasmin, c'est un personnage masculin qu'elle a cherché à cerner à travers l'expérience de vie de sa femme et de ses nombreuses maîtresses : Juventina, Neide, Pérola Maria, Angelina et Eleonora. Cela sous le signe d'une narratrice dont on ne connaît pas le nom, qui tente de reconstituer la réalité de l'histoire des amours de l'homme avec les récits morcelés, un texte qu'elle présente comme une seconde mouture, et qu'elle nomme Chanson.
Plusieurs femmes, plusieurs amoureuses – notre narratrice y compris – différentes formes d'amour et façons d'aimer, des expériences qui se renouvellent à chaque fois. Ni mauvais, ni bon, Fio Jasmin joue de chacune de ces relations, éphémère ou longue, chaste ou très charnelle, il accumule les enfants avec sa femme, qui de son côté a parfaitement conscience des aventures de l'homme, mais qui se trouve bien dans la position de l'officielle, et enchaîne les enfants avec lui. Un homme infidèle, certes, mais dont chacune des compagnes s'accommode et se satisfait de ce qu'elle peut tirer de la relation, aucune d'elle ne souhaite vraiment un homme à demeure.
Mais les choses ne s'arrêtent pas là. Si la majorité des différents récits composites révèle la façon dont les femmes ont vécu cette relation, laissant peut-être Fio dans le rôle confortable de l'homme un peu irresponsable et profiteur, le récit prend un autre tour avec la dernière femme, Eleonora Distinta de Sà, celle qui révèle les béances du comportement du séducteur. Une remise en question existentielle, le vide qui subsiste en lui, après toutes les relations et malgré chacune d'entre elle, c'est grâce à une autre forme d'amour, avec Eleonora, qui ne peut lui offrir que de l'amitié, étant lesbienne. C'est une réflexion, un constat sur la condition masculine, des exigences attendues d'eux, de la complexité d'agir « en homme », de taire toutes les failles, de ne faire comme si cela n'existait pas. Une conception très caricaturale, démontée par cette chanson, composée de toutes les histoires d'amour de Fio.
On chante la solitude d'un homme qui se cherche dans toutes ses conquêtes, et la confrérie ou la sororité des femmes qui se réunissent et vivent ensemble, des femmes qui peuvent se raconter à travers leurs chansons, et un Fio, comme tant d'autres, qui se taisent et taisent les douleurs. Une chanson comme une berceuse pour consoler les hommes qui pleurent, tous les hommes qui pleurent, qui peuvent enfin extérioriser des signes de faiblesse.
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