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Avec ce troisième tome, auquel il a travaillé jusqu'à la veille de sa mort, Alain Peyrefitte achève l'oeuvre monumentale qu'il a consacrée au général de Gaulle.
Depuis sa première rencontre avec le Général, le 5 mars 1959, Alain Peyrefitte avait décidé de consigner, le soir même, tous les entretiens que le Général lui accorderait. Il en écrivait non seulement le contenu, mais, chose plus extraordinaire, la forme elle-même.
Au lendemain de la mort de De Gaulle, il a choisi de respecter la prescription trentenaire qui est d'usage pour tous les documents de l'État, et de révéler ensuite au public tous les propos dont il avait ainsi gardé la trace.
C'est un monument pour l'Histoire.
C'est un chef-d'oeuvre littéraire.
Un monument pour l'Histoire. Un trésor inestimable pour les historiens, parce que c'est un livre de première main. De Gaulle commente les événements, juge les hommes, analyse dans de fréquents raccourcis les grands moments de l'Histoire, annonce et explique les décisions qui ne seront connues que beaucoup plus tard. Partisans et adversaires de De Gaulle ont été unanimes à saluer les deux premiers tomes de cette oeuvre quand ils ont été publiés. Et cela ne doit pas étonner. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, il ne s'agit pas d'une hagiographie. L'auteur, certes, est rempli d'admiration, mais il n'est pas aveuglé par elle. De Gaulle est présent, avec ses défauts et ses erreurs, mais aussi avec les qualités qui ont fait de lui un personnage d'exception : à la différence de la quasi-totalité des hommes politiques, il sait ce qu'il pense, et il sait l'exprimer. Sa très grande intelligence, la cohérence absolue de ses positions ; le courage avec lequel il brade tous les conformismes et toutes les conventions s'imposent avec la force d'une évidence.
Et c'est aussi un chef-d'oeuvre littéraire, car Alain Peyrefitte a inventé en quelque sorte un genre que personne n'avait tenté avant lui. Il a recréé une parole vivante. Il met en scène. Nous sommes dans le bureau du Général, ou dans l'avion, ou autour de la table du Conseil des ministres, et nous l'entendons, non pas " tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change ", mais tel qu'il était. D'où le titre : C'était de Gaulle.
Et l'émotion, le suspense, sont d'autant plus impressionnants que ces volumes sont écrits " au présent ". Quand nous lisons par exemple le Mémorial de Las Cases, tout est terminé. Napoléon reprend le fil de sa formidable aventure, il la commente, mais nous ne savons pas ce qu'il pensait au moment même où les événements se sont produits. Avec le De Gaulle de Peyrefitte, nous voyons l'histoire se faire, nous sommes en prise directe avec le présent, ses ombres, ses incertitudes, ses surprises, son imprévisible déroulement.
Ce troisième tome recouvre la période qui va de janvier 1966 au départ de De Gaulle en avril 1969 et à son enterrement en novembre 1970. Il pourrait s'appeler " Le septennat interrompu ".
À la fin de 1965 a eu lieu l'élection présidentielle. La première depuis l'adoption - réforme capitale aux yeux de De Gaulle - du principe de l'élection au suffrage universel. Le Général s'est présenté (certains en doutaient). Il a été élu. Mais mal (personne ne s'en doutait). Il a commencé par être mis en ballottage, il n'a été élu qu'au second tour, et pendant quelques jours il a hésité à se retirer.
Georges Pompidou est toujours Premier ministre. Quelques changements sont intervenus dans la composition du gouvernement. Giscard d'Estaing n'est plus là. Edgar Faure, rescapé de la IVe République, est entré au gouvernement. Alain Peyrefitte n'est plus ministre de l'Information, il devient ministre de la Recherche scientifique.
Le livre se divise en deux parties.
La première va jusqu'aux élections législatives de mars 1967. Ces élections se passent mal. La majorité qui soutient le Général ne l'a emporté que par un siège. Au premier tour, 30 % des Français seulement ont voté pour le parti du Président.
La deuxième partie va de mars 1967 au référendum perdu du 27 avril 1969, en passant par la crise étudiante d'abord, puis nationale, de mai 1968.
Tout au long de ces trois courtes années, nous entendons de Gaulle s'exprimer sur tous les sujets : la réforme des institutions, le rôle du Sénat, l'éventualité d'une cohabitation, les syndicats, les patrons, les polices parallèles lors du sombre épisode de l'affaire Ben Barka, l'Angleterre et le risque qu'elle représente pour l'Europe, le problème de la réunification allemande, les rapports avec l'Espagne de Franco, la tension avec Israël, le voyage dans une Pologne soumise au joug soviétique, le rôle de Moscou.
Mais les trois grands moments, ceux qu'Alain Peyrefitte développe en nous en faisant suivre d'un bout à l'autre le déroulement, sont :
- La réalisation de la bombe H.
- Le voyage au Québec et le fameux " Vive le Québec libre ! " - La réforme impossible de l'Éducation nationale et les " événements " de Mai 68.
Événements dont Alain Peyrefitte nous donne le récit le plus complet, le plus informé, le plus lucide, le plus honnête aussi, car au lieu de penser avant tout à défendre le rôle qui a été le sien, il établit avec une impartialité remarquable le rôle joué par chacun des acteurs, il nous rend compréhensibles les divergences d'analyse, il place chacun dans sa vérité.
C'est ainsi par exemple qu'il nous donne le portrait le plus juste de Georges Pompidou. Peu après l'élection de Georges Pompidou à la présidence de la République, Philippe Alexandre avait remporté un grand succès de librairie en publiant un livre surprenant intitulé Le Duel de Gaulle-Pompidou. Et il n'avait pas tort. Mais la thèse était simplificatrice. Nous voyons en effet grandir peu à peu l'incompréhension, le soupçon, l'agacement. Nous voyons se heurter deux conceptions antagonistes du bien public. Mais cela n'est pas incompatible avec la fidélité de Georges Pompidou au général de Gaulle. Pendant que l'opinion était en train de basculer en sa faveur, il croyait certainement lui-même servir de son mieux le Général.
Il règne d'ailleurs sur tout ce livre une atmosphère de mélancolie et de tragédie qui lui donne sa puissance, et qui culmine dans les pages véritablement admirables qu'Alain Peyrefitte consacre à l'enterrement du Général.
Tragédie qui n'est pas sanglante - rappelons que pas un seul coup de feu ne fut tiré lors des journées dites " révolutionnaires " de Mai 68 -, mais qui n'en est pas moins une tragédie, car nous sentons venir, puis nous voyons arriver le destin plus fort que la volonté humaine, nous assistons à la désaffection qui grandit, à l'espoir qui se retire, et petit à petit nous réalisons que le rêve de grandeur française qui avait animé toute la vie de De Gaulle allait s'écrouler.
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