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Tout commence par un déménagement - cette " catastrophe naturelle " : Brice, illustrateur de livres pour la jeunesse et compagnon de la dive bouteille, quitte son appartement lyonnais pour une grande maison plutôt isolée à la campagne. Il a choisi l'endroit avec son épouse journaliste d'ailleurs partie quelque part en Égypte.
Esseulé, sans nouvelles d'Emma, Brice s'abandonne peu à peu au désespoir en squatteur de son propre logis, ne sortant plus guère du garage où sont entassés les cartons qu'il éventre au petit bonheur. Les évocations d'Emma, l'attente d'un appel qui ne vient pas, et la rencontre de Blanche, une étrange femme-elfe sans âge, sorte de spectre de l'enlisement provincial, ponctuent cette dégringolade dans l'enfer des cartons.
Tout se précipite bientôt et le roman d'atmosphère vire au roman noir. En maître absolu du genre, Pascal Garnier nous réserve une grave, terrible surprise, qu'on soupçonne et refuse longtemps, comme s'il avait écrit ces pages intenses depuis l'au-delà routinier de la vie : rien d'autre qu'une histoire de cartons par où tout commence et tout s'achèvera.
Pascal Garnier est une figure marquante de la littérature française contemporaine, dans la lignée des Simenon, Hardellet, Bove ou Calet. Ayant élu domicile dans un petit village en Ardèche, il s'y consacrait à l'écriture et à la peinture. Il nous a quittés le 5 mars 2010.
Roman inédit, roman posthume, Cartons est un de ces chefs-d'oeuvre sur le pouce dont il détenait la recette comme personne : il y faut du style, de celui qui emporte le lecteur sans crier gare, un humour d'ébène et ce goût immodéré pour les drames humains.
D’un simple déménagement de la capitale des Gaules à la campagne lyonnaise, Pascal Garnier va, de sa plume singulière, écrire un roman noir dont il avait le secret en mettant en scène des personnages modestes et cabossés dans leurs quotidiens sans faste avec une atmosphère dérangeante se tendant au fil des pages nourrie d’absurdité, de tendresse et de la fragilité de l’humain dont la vie oscille comme un funambule sur son fil et qu’on a peur de voir chuter.
Tout le monde s’y retrouve dans ce roman que ce soit dans l’activité d’un déménagement, dans une vie citadine trépidante, dans un nouvel environnement rural inconnu et désertifié, dans la solitude d’une maison vide face à la démesure des travaux et du rangement, face au choc d’un être cher disparu, soit dans le contexte de nouvelles rencontres ne serait-ce que celle d’un chat errant qui s’invite au foyer.
En souvenir des projets qu’avait formulés son épouse de créer une cuisine américaine, Brice cassera le mur mitoyen entre cuisine et salon, une ouverture somme toute fonctionnelle, laissée comme une blessure béante faite à la maison qui restera sans aménagement. Il éventrera des cartons anarchiquement sans rien ranger, se laissera aller face à sa soudaine solitude rongé par la déprime due à la disparition soudaine de sa femme journaliste lors d’un reportage en Égypte. Il refuse de croire qu’elle est morte.
A la pharmacie, un des rares commerces du village, il rencontrera Blanche, une étrange petite femme esseulée, héritière de la maison paternelle. Entre eux, va se lier une amitié toute relative. Ils vont conjuguer un monde de solitude et de souvenirs mêlés à l’élan d’une vie qui doit se poursuivre chaleureuse, tranquille et joyeuse avec son lot d’espoirs à combler.
Voyant en lui le sosie de son défunt paternel, Blanche va s’occuper de Brice comme la fille d’un père ressuscité jusqu’au jour où Brice, dans un sursaut d’ ultime discernement, décide de reprendre contact avec son éditeur lyonnais en lui promettant de combler son retard à livrer les planches d’illustrations promises et fort attendues pour publication pressante.
Ceci est sans compter avec la plume magistrale de Pascal Garnier qui va jouer avec l’encre noire du destin derrière un écran de fumée.
« La lettre de l’éditeur atterrit sur une pile d’enveloppes qu’il avait eu la flemme de décacheter. Il s’étira sur son lit de camp en se disant que c’était un beau jour pour mourir. »
Quand on sait que Cartons est le dernier roman qu’a écrit Pascal Garnier et qui fut édité après son décès, on peut lire dans ces lignes un élégant adieu au monde qui m’a serré la gorge car cet écrivain d’exception manque cruellement à l’appel de ceux qui savent choisir les mots pour livrer au lecteur des bijoux d’orfèvres littéraires.
« Le ciel ressemblait à un couvercle de bonbonnière, le vent soufflait une haleine de bébé. C’est vrai que c’était joli le printemps quoiqu’un peu collant. Tout ce qu’on touchait dégoulinait de sève, les bourgeons, les pousses d’herbe verte, même les insectes qui se débarrassaient en peinant de leur chrysalide. La nature dégoulinait de liquide amniotique, ruisselait de bave luisante que les premiers rayons du soleil vernissaient. Chacun sortait de sa coquille, ébouriffé, étonné, vorace, grisé de cette insolente jeunesse qui rendait prêt à en découdre avec la mort. »
Quoi de plus doux que l'écriture de Pascal Garnier.Je voudrais ne pas les avoir déjà tous dévorés... S'il fallait en faire un classement, celui-ci figurerait dans les 5 meilleurs. Un homme attend sa compagne journaliste en mission dans la maison de campagne où ils viennent d’emménager. C'est un sujet abordé maintes fois par cet auteur, la séparation, éléments déclencheur de péripéties toujours inattendues!
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