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Hans van Rooyen est hanté par le souvenir des crimes qu'il
a commis sous le gouvernement de l'apartheid, du temps
des guerres frontalières. Passé entre les mailles du filet
de la Commission Vérité et Réconciliation, il a conservé un poste
de choix dans la nouvelle Afrique du Sud démocratique, servant
de mémoire institutionnelle pour une nouvelle génération de
recrues policières...
Quand, à 80 ans, il atterrit dans une maison de repos, soigné
par Zoe Zondi, fille de militants du combat pour la liberté, ses
terreurs nocturnes ne font que s'accentuer. La nature douce et
compatissante de l'infirmière incite Hans à revoir sa décision
d'emporter ses secrets dans sa tombe... Car Zoe a sa propre
histoire à raconter. Un lien improbable se noue alors entre les
deux êtres, renforcé par l'isolement imposé par la pandémie, qui
leur fournit un espace sûr pour affronter les non-dits les plus
durs..
La fulgurance d’un roman avec vue sur le remord. Le poids lourd d’un passé qui trouble le jour présent. Ce serait à l’instar d’un huis-clos.
Dans une prison mentale où les souvenirs, les actes et les conséquences enclenchent le verrou.
L’alacrité du repentir, les mains agrippées sur le drap froissé, trop lourd, pour ce vieil homme de quatre vingt ans qui ose le passage de la parole salvatrice. Hans Van Rooyen, Madama, Zoulou, pour le nommer, un seul homme et pourtant l’emblème de tant et de tant d’autres faux-frères et traîtres. Il est au bout de sa vie. Dans une maison de repos, choyé et bercé en tant qu’humain. Épicentre des confidences, lieu où tout peut advenir, même le secret lourd sur la conscience.
Ce serait alors, une quête pour le pardon, un appel à l’aide. Les mots prononcés sur sa propre barbarie. Lui, le monstre sanguinaire qui a commis des atrocités sur les siens et ses ennemis noirs, dans le même pays celui de l’Afrique du Sud.
Le gouvernement de l’apartheid, il était ici. Arrogant et sans état d’âme, un policier blanc, un chien loup féroce, tueur jusqu’au paroxysme de l’horreur.
Un pays ployé sous les affres colonialistes, néerlandaises puis britanniques. Des Boers et Afrikaners, ici, le pain quotidien est de violence et de haine.
Lui, qui assassinait comme l’on cueille une fleur. La normalité d’un meurtre. Ses mains rouges encore d’un sang invisible à l’œil nu. Il est dans le repli du repos, et conte à Zoe, sa soignante, tous les crimes et les atrocités, l’exutoire, les confessions dans les bordures de sa nuit à jamais. Zoe raccroche les paroles aux siennes. Elle, la dualité, le blanc sur le noir de Hans Van Rooyen, fille de militants de combat pour la liberté.
Elle chasse les cauchemars de cet homme recroquevillé, qui ferait presque pitié. Elle nomme ses sœurs, les femmes, les souffrances, viols, et les fragilités encore. Le récit choral est triste et poignant, et pourtant la lumière perce au travers des persiennes. Le passage-gué qui soulage et apaise les consciences. On entend le murmure du glas de ces deux êtres égarés dans leurs passés et dans la projection du jour même.
« Ne commence pas avec moi, vieil homme, parce que si je craque maintenant, je ne sais pas si je pourrai m’arrêter ! On se met tous les deux à rire et pleurer en même temps, ce truc moche que je n’ai jamais compris jusqu’ici, et c’est à la fois bon et lourd. Zoe s’agenouille près de mon lit et on sanglote ensemble. C’est une libération dont je ne savais pas avoir besoin et quelque chose que je n’ai jamais fait en quatre vingt ans d’existence. »
« Elle avait voulu que Zoe grandisse à Pietermarizburg et l’avait envoyée en pension à l’école privée Wykeham Collegiate. Elle voulait que sa fille bénéficie d’une éducation solide et saine dans un environnement idyllique et à taille humaine plutôt que dans une grande ville au rythme effréné comme Johannesburg. »
« Alors toi aussi » est comme la pleine lune qui ne ment pas. Le poids de l’Histoire sur des lignes immensément intimes et vastes comme le colonialisme qui n’en finit pas de par le monde. Il y a tant à étreindre, tant à dire.
Futhi Ntshingila prouve que l’humain est perfectible. La beauté douloureuse d’une Afrique du Sud qui a du mal avec les siens.
Zoe radiante et sublime d’empathie, la radicalité de l’accueil d’une parole rédemptrice et douce. Dans la lucidité de l’écoute, elle ne juge pas.
Deux êtres opposés dans le déroulé du destin, et tout change, tout devient possible dans une humanité d’une beauté indicible. Celle des intériorités.
Ce roman-fronton lève le voile sur les turbulences guerrières, racistes et implacables.
Le testament personnel d’Hans Van Rooyen est l’Histoire des hommes dans la proclamation du pardon.
« Alors toi aussi », après « Enrage contre la mort de la lumière », est l’avancée dans le renom. L’inestimable littérature engagée et nécessaire.
Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Estelle Flory. Publié par les majeures Éditions Tropismes.
E. L.
La romancière sud-africaine Futhi Ntshingila est déjà l’autrice d’un premier roman paru en poche en 2021 chez les Editions 10/18, Enrage contre la mort de la lumière, qui fut un vrai coup de cœur pour moi. Je m’attendais donc à une lecture puissante et je n’ai pas été déçue. Ce second roman, paru chez Tropismes Editions, diffère du premier dans le sens où il se penche sur la condition des femmes mais aussi sur la condition masculine sous et après l’Apartheid, la ségrégation raciale qui a transformé ses hommes en monstres. Le duo autour duquel se développe l’histoire, Zoé Zondi, une jeune infirmière noire, Hans van Rooyen, dit Madala, un vieil afrikaner blanc en maison de retraite, est improbable, car ils sont tout deux représentants de deux parties de la population qui se détestent, se sont fait la guerre, et dont l’une d’elles a fait subir les pires exactions à l’autre.
Deux camps opposés qui se rencontrent et qui arrivent même à tisser une relation de tendresse, une rencontre entre deux individus qui vont s’épancher l’un à l’autre. D’un côté, il y a Has van Rooyen soigné par Zoé Zondi, de l’autre côté, fille de militants, ils vont à tour de rôle raconter leur histoire personnelle, et familiale, deux faces d’une même pièce, celle de l’histoire divisée de l’Afrique du Sud, colonisée, envahie, martyrisée, dirigée par les colons néerlandais puis les anglais. On touche du doigt à la complexité du pays d’Afrique australe, composé par les générations successives de colonisation et les populations indigènes locales – les koikois, zoulous – c’est à la fois très instructif, et passionnant de décomposer par la lecture des différents bouts de récit le tableau identitaire du pays, entre ces fermiers franco hollandais, les Boers, d’une colonisation néerlandaise qui devient britannique au début du XIXe siècle.
Madama, de son surnom zoulou, fait le bilan de ses quatre-vingts années de vie, c’est un constat amer d’une réalité qu’il a tenté de fuir, mais qui l’a rattrapée, le constat d’être devenu l’assassin sanguinaire, l’homme insupportable, qu’était son père, et qui a fait que sa femme et son fils s’éloignent de lui. C’est un homme entièrement consumé par les regrets d’un bourreau qui a massacré un nombre incalculable d’individus de toutes les façons possibles, les membres de sa famille inclus. Un homme revisité, une dernière fois, par ses fantômes qui ont tout l’air de démons. Du côté de Zoé, les hommes de la lignée familiale ne sont pas non plus en reste question monstruosité, l’inceste a fini de fracturer des familles, au sein desquelles les femmes portent souvent seules la charge des familles, et endossent trop fréquemment les fautes des hommes. Si Madama parle des mauvais traitements – et on entend par là les violences sexuelles – infligées aux femmes, la population, mais aussi leur propre épouse, Zoé en vient bien vite à évoquer cet état d’hypervigilance dans lesquelles sont engluées les jeunes femmes, elles ont vite compris que leur vie ne serait pas épargnée, cette société en état d’urgence, dès lors que leur attention se relâcherait.
C’était pesant de regarder dans les yeux une femme dont j’avais peut-être tué le fils, un gamin dont j’avais peut-être tué le fils, un gamin dont j’avais peut-être enjambé le corps agité de soubresauts pendant la guerre. Ensuite elle vint droit sur moi, cette petite femme menue, étendit ses mains et attira mon visage à sa hauteur, puis embrassa mon front, exactement comme l’avait fait Kristina des années auparavant.
L’autrice joue sur les parallélismes et les antagonismes des vies de l’un et de l’autre. Malada aurait pu être le policier blanc qui a abattu ses amis, comme il a abattu bien d’autres activistes anti-apartheid, Zoé aurait pu être l’une de ces jeunes filles violées par l’homme : c’est dans ce point commun qu’ils se retrouvent pourtant tous les deux, les regrets et remords de l’un rencontrant la résilience de l’autre, celle de pardonner, mais encore davantage, celle de témoigner de l’affection envers celui qui aurait pu être son propre bourreau. Ce texte montre comme l’homme au départ animé des meilleures volontés glisse vers la monstruosité dès lors que l’influence exercée sur lui est suffisamment forte pour laver son cerveau et le conditionner, tout le monde n’a pas la même faculté à résister. Ces parallélismes naissent également des tentatives d’inversement de la domination, c’est-à-dire lorsque des mesure plus égalitaires et favorables à la population noire autochtone ont été mises en place, et que les blancs ont du céder du pouvoir : ce réagencement, un nouvel ordre social qui s’installe, en apparence tout du moins, et laisse place à ce que les blancs appellent du « racisme à l’envers ».
(...)
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