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Nous aurons aussi de beaux jours n'est pas un livre ordinaire. Ce recueil des lettres écrites en prison par Zehra Doğan est une lecture puissamment humaine, terriblement émouvante, prouvant toute la force de l'esprit et de l'art pour venir à bout de l'oppression féroce et aveugle.
Journaliste et artiste plasticienne kurde, Zehra Doğan a créé JINHA, la première agence d'information de femmes en Turquie. Elle a réalisé un énorme travail auprès des femmes yézidies persécutée par Daesh mais a subi cinq mois de prison, accusée de « propagande pour une organisation terroriste » puis a été à nouveau incarcérée de juin 2017 jusqu'au 24 février 2019. Elle confie, dans une des premières lettres, que si la France lui avait accordé un visa, elle ne serait pas enfermée avec d'autres prisonnières politiques dans la geôle d'Amed, sinistre prison de Diyarbakır, ville importante du sud-est de la Turquie.
Toutes les lettres que je viens de lire ont été écrites durant ces vingt-et-un mois d'incarcération. Elles étaient adressées à son amie, Naz Öke, journaliste turque vivant en France. Avec Daniel Fleury, elle anime le webzine Kedistan, luttant pour la liberté d'expression.
En débutant ce livre que j'ai eu la chance de lire grâce à Babelio (Masse critique) et à l'éditrice des Femmes-Antoinette Fouque, je ne m'attendais pas à un contenu aussi riche et aussi érudit. Zehra Doğan m'a appris beaucoup de choses tant sur plan politique qu'historique, culturel et social.
Sans jamais larmoyer, l'autrice se confie, décrit avec précision ses conditions de vie sans oublier celles qui partagent le même sort, certaines ayant leur enfant avec elles ou étant très âgées comme mère Sisê (80 ans). Elles sont toutes prisonnières politiques et font preuve d'un courage admirable.
Zehra Doğan aborde tous les sujets, parle de la lune qu'elle parvient à voir entre les barbelés, des chats, des moineaux, des pigeons, d'une souris qui leur rendent visite mais c'est surtout lorsque ces femmes débattent des sujets les plus sérieux que ce qu'elle écrit va très loin dans la réflexion sur l'oppression exercée par les hommes sur les femmes. Malgré un quotidien très difficile, elles gardent une lucidité impressionnante et avancent des solutions qui feraient grandement progresser nos sociétés vers une réelle égalité.
Zehra Doğan ne fait pas qu'écrire des lettres si bien traduites par Naz Öke et Daniel Fleury, elle dessine et peint. C'est d'ailleurs parce qu'elle avait diffusé sur les réseaux sociaux une photo et son dessin de la ville de Nusaybin détruite par l'armée turque, qu'elle avait été condamnée. le matériel pour peindre ou dessiner étant interdit, elle rivalise d'imagination pour créer sur les supports les plus divers et utilise du concentré de tomate, du café, du thé, de la cendre de cigarette, du curcuma, du sang menstruel, de l'urine, du chou noir, de la mousse, de l'eau de javel afin d'obtenir des oeuvres étonnantes qu'elle peut communiquer à l'extérieur et dont certaines sont exposées au MUCEM, à Marseille. J'ajoute qu'un superbe cahier central en couleur sur papier glacé permet d'apprécier le talent de l'artiste.
De leur côté, Naz Öke et Daniel Fleury lui écrivent beaucoup, mobilisent des soutiens dans le monde entier, organisent des festivités pour faire parler de Zehra qui dit parfois sa gêne devant tant de générosité.
Lorsque vient enfin la libération tant attendue, après un transfert traumatisant loin de sa famille, à Tarsus, Zehra Doğan tient à citer nommément plusieurs amies très chères qu'elle doit laisser derrière les barbelés, ajoutant un mot précis et émouvant sur chacune d'elles.
Chronique à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
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