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La première scène fait pénétrer le lecteur dans l’antre de Monsieur Faustini, retraité et célibataire, qui a une vie simple faite de rituels, tel nourrir son chat et laisser Maria faire le ménage de la maison.
Ménage qui déménage car la bonne dame serait plutôt maladroite et le nombre d’objets cassés ne se calcule plus…
Monsieur Faustini préfère faire comme le chat s’éclipser de chez lui à pas feutrés.
Où aller ? Sur les bords du lac de Constance.
« M. Faustini n’était pas à proprement parler un homme farouche. Mais il ne mettait rien au-dessus de sa tranquillité et aimait jouir en paix de la vue sur le lac. A côté du monsieur d’un certain âge qui, vêtu d’un slip de bain réduit à sa plus simple expression, la peau roussie par le soleil, s’était assis sur sa serviette à moins d’une vingtaine de pas de lui, M. Faustini se démarquait assurément. »
La retraite c’est ne plus avoir d’obligations mais si elle n’est pas préparée, c’est aussi devenir « transparent » au mieux, « invisible » au pire. Surtout lorsque comme tout le monde il a espéré « offrir à quelqu’un chaleur, sécurité et protection » mais qu’aucune femme n’est entrée dans sa vie.
Pour Monsieur Faustini chaque rencontre, ne fût-ce que de quelques minutes, est une fête, pour lui seul.
Il imagine facilement que les autres ont des vies faites de mille promesses…
Chaque évènement peut être un obstacle, par exemple trouver un cadeau d’anniversaire pour sa sœur.
L’incursion de notre héros dans un salon de beauté est des plus savoureuse, voire hilarante. Tout à son importance.
La vie c’est simple comme un coup de fil, disait un slogan il y a quelques années déjà, mais ce slogan suranné pourrait aller à la perfection à Monsieur Faustini.
En peintre de talent, l’auteur façonne les traits nécessaires à son tableau figuratif qui devient une peinture impressionniste, après y avoir déposé mille touches de couleur lorsque notre héros malgré lui sort de la chrysalide de sa solitude pour déployer ses ailes de papillon vers un ailleurs qui lui parait possible.
L’ironie est toujours rieuse et précieuse pour faire défiler des scènes cocasses sous nos yeux où Monsieur Faustini est en décalage comme un danseur maladroit qui a raté un mouvement.
Chez les gens ordinaires la vie n’est pas si ordinaire que cela, car des petites choses qui font leur bonheur se dégagent de plus vastes horizons accessibles à ceux qui voient avec le cœur. Monsieur Faustini en est l’allégorie.
Si Wolfgang Hermann manie avec virtuosité la cocasserie des situations, il montre une réelle originalité dans la malice de son personnage et notre sourire du départ se transforme vite en rire avec le personnage.
C’est le lecteur qui tombe le veston du carcan de sa pensée pour avoir des yeux emplis de tendresse, d’attention et de bienveillance.
Un bel exercice de style qui nous mène plus loin, le lecteur lui aussi monte dans un bus qui va lui faire faire un voyage étonnant.
Un court roman avec une fin aussi inattendue qu’onirique qui nous laisse supposer que Monsieur Faustini fera d’autres voyages.
Une délicieuse escapade livresque qui vous chante de vous méfier de l’eau qui dort.
©Chantal Lafon
L’indicible à pas feutrés.
Le lecteur entre par effraction dans ce livre pour ceux qui n’ont pas vécu cette perte, cet état d’être un parent orphelin de son enfant.
Pour ceux qui connaissent ce drame je pense que le texte doit résonner et les délivrer, car la justesse des différentes phases, les mots employés, les images suscitées sont d’une justesse lumineuse.
Le narrateur est le papa de Fabius 17 ans, la veille au soir il avait de la fièvre due à la grippe.
Au matin, le père ouvre les yeux sur un jour nouveau, et immédiatement l’anormalité du silence de la maison ressentie au plus profond de sa chair lui fait pressentir le drame.
En entrant dans la chambre de son fiston, il sait, de façon irrémédiable qu’il ne respire plus.
Il appelle les secours et pour ce père il y a dissociation, son corps lâche, l’esprit se vide et est englouti dans une lumière noire et son cœur tambourine à contre-temps, à contre-cœur.
Il est entouré par Christian, puis Anna la maman de Fabius dont il est séparé depuis 16 ans.
Mais il est seul, comme jamais et pour toujours.
« C’est impossible, ce n’est pas vrai, ma vie gisait là devant moi, les yeux éteints, ma vie, mon fils. »
La météo est de la partie, la neige recouvre tout de sa lumière blanche et étouffe toutes velléités de vie sans le sortir de cette enveloppe noire.
Ce papa-narrateur n’a pas d’autre nom que ce statut, cela renforce à la fois cette descente aux enfers et permet à chaque lecteur de ressentir au plus profond de lui-même ces émotions dévastatrices, ce vide abyssal.
Il y a une telle précision dans la description de ce séisme de souffrance que tout affleure dans la chair du lecteur. Qui y a-t-il de plus horrible que la perte d’un enfant ?
Sur le chemin du calvaire il y a le refus, puis les mots qui disent par fragments l’incompréhension, la colère, la révolte et surtout l’impuissance.
Les phrases sont fortes et nous transpercent jusqu’au vertige.
Il y a dans ce texte une réelle poésie, une lumière : celle de ceux qui savent.
Je ne sais comment dire que cette douleur est aussi très lumineuse, comme le soleil se reflétant sur la neige.
La beauté du style m’a fait penser à la tâche du lissier qui met en laine une œuvre en alliant plusieurs techniques de combinaisons de fibres et de couleurs. Le résultat offrant une tapisserie de Bayeux ou d’Aubusson.
©Chantal Lafon
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