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Saisir les ombres d'un peuple qui disparait...
Tout le monde connait les photographies réalisées par Edward Curtis, ces saisissants portraits en noir et blanc d'indiens réalisés au début du XXe siècle. Mais qui sait quelle a réellement été la vie de l'Attrapeur d ?Ombres ?
Grâce au travail rigoureux et complet de Timothy Egan et aux Éditions Albin Michel, on peut désormais en savoir plus sur ce pionnier de la photographie, de l'anthropologie et de l'ethnologie.
Edward Curtis est un autodidacte. Fils d'un prédicateur coliqueux et indigent, il se retrouve à devoir faire vivre sa famille alors qu'il est à peine un adolescent et abandonne l'école. Pour nourrir les siens, il bucheronne et ramasse des palourdes.
Dans les affaires héritées de son père se cache l'objectif d'une chambre photographique. Fasciné, Edward fabrique lui-même la chambre et se lance dans la photographie. C'est le début d'une carrière prometteuse qui fait de lui le photographe le plus couru de Seattle. Les nantis se pressent à la porte de son studio qu'il gère avec son épouse.
Mais Curtis ne se contente pas de portraiturer des jolies débutantes en robe de soie. Il aime cette nature sauvage de l'État de Washington, il la parcourt en tous sens avec son lourd matériel photographique sur le dos, jusqu'au sommet du Mont Rainier, pour saisir les paysages dans toute leur beauté.
Puis un jour, il prend une photo qui change le cours de sa vie. Princesse Angeline, de son vrai nom Kick-is-om-lo est la fille du chef See-ahlsh, à qui les colons blancs ont volé ses terres mais donné son nom à leur ville. Elle survit dans une cabane à la périphérie de Seattle, harcelée par les dames patronnesses et les enfants qui n'aiment rien tant que lui jeter des pierres. Mais elle est surtout la dernière de son peuple.
En faisant son portrait, Curtis entrouvre le rideau sur un monde en train de disparaître : celui des Indiens.
On estime la population indienne entre 7 et 12 millions d'individus lors de l'arrivée des premiers colons blancs. Au début du XXe siècle, ils ont été décimés par les maladies, la confiscation de leurs terres et de leurs moyens de subsistance, en particulier par l'abattage systématique des bisons, par la déportation à marche forcée encadrée par l'armée, par l'évangélisation et l'alcoolisme qui les coupent de leur racines et leurs traditions, par la séparation des enfants enlevés de force à leurs parents pour être placés dans des orphelinats qui s'apparentent plus à des prisons. Les indiens ne représentent alors plus que 1% de la population totale du pays, soit quelques centaines de milliers d'individus. Ils n'ont pas accès à la citoyenneté américaine, bien qu'ils soient autorisés à s'engager dans l'armée et à mourir pour la nation fondée par les colons qui leur ont tout pris, ils sont parqués dans des réserves, vaguement nourris par des rations de l'armée, quand elles leur parviennent. Ils n'ont plus le droit d'organiser leurs cérémonies religieuses, en dépit de la Constitution qui doit garantir la liberté et vivent sous l'oeil hostile du Bureau des Affaires Indiennes, qui tente par tous les moyens de les assimiler ou les faire disparaître.
Même s'il ne le formule pas en ces termes, Curtis réalise que c'est un génocide qui se déroule sous ses yeux. Chaque jour, un vieil indien meurt et emporte avec lui sa langue, son mode de vie, sa culture, son art et ses traditions. C'est un savoir qui est irrémédiablement perdu.
En se lançant dans sa quête, d'abord photographique, puis cinématographique, Curtis va devenir anthropologue et ethnologue. Au prix de plus de trente années de travail sans rémunération, sur ses propres deniers ou ceux qu'il arrache de haute lutte à des mécènes comme J.P. Morgan, le plus riche homme d'affaires du pays à l'époque, il va prendre 40 000 photos, enregistrer 10 000 chants, créer et répertorier des lexiques et des guides de prononciation pour 75 langues, et retranscrire un nombre incalculable de mythes, de rites et de récits religieux issus de la traditions orale.
Pour mener à bien la publication des vingt tomes de «L'Indien d'Amérique du Nord», il parcours le pays en tous sens, s'endette, se ruine, perd son épouse dans un divorce fracassant, vend son âme à J.P. Morgan et sa retorse bibliothécaire, la sublime Belle Da Costa Greene, s'entoure et se brouille avec des amis et des collaborateurs précieux, remet à leur place tous les prétendus spécialistes des indiens qui écrivaient sur eux depuis les beaux bureaux universitaires sans jamais avoir séjourné parmi eux, il se fâche définitivement avec son propre frère et reste quarante longues années sans lui parler, il risque sa vie dans des expéditions sur tout le territoire nord-américain et meurt ruiné, oublié de tous, ne disposant même plus des droits sur son oeuvre.
Mais surtout, il capte avec son oeil d'artiste toute la beauté et la complexité d'un monde en train de disparaître. Il lutte de toutes ses forces pour faire surgir un peu de vérité sur des peuples méprisés voire haïs, considérés comme des sauvages sans culture, sans morale et sans religion. Il tente par tous les moyens de clamer haut et fort à la face de ce pays jeune et déjà imbu de lui-même à quel point les cultures indiennes sont belles, riches, variées, subtiles, et à quel point certaines idées déjà ancrées dans l'inconscient collectif sont fausses. Non, le général Custer n'était pas un héros mort avec bravoure à Little Big Horn ! Non, Woudned Knee n'était pas une bataille mais le massacre de plusieurs centaines de vieillards, de femmes et d'enfants indiens ! Non, les Indiens ne sont pas des sauvages arriérés à qui il faut laver la bouche avec du savon quand ils s'entêtent à parler leur langue ! Non, leurs cérémonies ne sont pas des adorations du Diable mais bien l'expression de croyances complexes et très anciennes.
Puis, dans les années 70, son travail refait surface. En plein mouvement hippie, un intérêt superficiel et stupide apparait pour les Indiens, qui permettra néanmoins de faire redécouvrir l'oeuvre d'une vie. Et qui inaugurera du renouveau des nations indiennes aujourd'hui. Renouveau qui passera d'ailleurs par la réappropriation du patrimoine de certaines tribus grâce au travail de Curtis. Ses photos donnent la possibilité aux Indiens de réapprendre le déroulement de leurs cérémonies, ses lexiques leurs servent de base pour parler de nouveau leur langue, etc. Et surtout, ses sublimes portraits feront évoluer le regard que la société américaine portait sur les Indiens, tant il se dégage d'eux une profonde beauté, une irréductible dignité et surtout une insondable tristesse. Curtis a offert l'immortalité aux Indiens.
En consacrant plusieurs années de travail à la rédaction de cet essai qui se dévore comme un roman d'aventures, Timothy Egan n'a pas seulement écrit une biographie. Il a fait oeuvre de Mémoire, il a contribué à rendre leur dignité à toutes les nations indiennes et il faut espérer qu'après avoir été récompensé par de prestigieux prix littéraires américains, «L'attrapeur d'ombres» ouvrira un peu plus la voix à la renaissance démographique et culturelle des Indiens et à la reconnaissance par le gouvernement des États-Unis du génocide dont ils ont été victimes.
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