Le revue de presse d'août vous dit tout sur la #rl2016
Le revue de presse d'août vous dit tout sur la #rl2016
Cela me sera impossible d'écrire un billet de lecture à hauteur de l'expérience de lecture de ce très grand et réussi roman du grand Salman Rushdie.
Non seulement l'auteur réussit à faire revivre une épopée de l'histoire du sud de l'Inde, mais il la ré-écrit et nous emporte de façon flamboyante et vivante dans cette histoire d'hier, qui résonne encore aujourd'hui.
La capitale de l’empire de Vijayanagara où se déroule le récit, a réellement existé du XIVe au XVIe siècle, puis elle s’est éteinte, et son souvenir fut oublié. Dans cette cité, les hommes et les femmes vivaient à égalité, bien plus que de nos jours ( Y croyez-vous ?) au même endroit. De ce point de départ réel, Rushdie tire une odyssée puissante, racontant le destin de Pampa Kampana, mi-femme mi-déesse, qui murmure aux habitants leurs rêves et leur passé.
Après un traumatisme enfant, où elle est obligée d'assister au bûcher des veuves brûlées dont sa mère, Pampa Kampana, va vivre dans une grotte où un second traumatisme la guette.
Suite à cela, elle sera choisie par une déesse qui parlera par sa voix et elle fera naître une cité où les femmes pourront être prises au sérieux, et exercer les mêmes métiers que les hommes : Bisnaga naîtra de graines, et ses habitants deviendront des êtres vivants complets,en ayant mémoire et souvenirs qui leur seront chuchotés par Pampa Kampana.
Le reste de l'histoire il faut le lire.
Sachez que Pampa Kampana vivra plus de 200 ans, que l'auteur s'amuse à distiller des pointes de malice en évoquant le long poème de Pampa Kampana, disant que son récit à lui n'est pas si bon, que j'ai pleuré et ri, parfois, que même si Rushdie est trop intelligent pour être moraliste, il reste pourfendeur des intégristes de tout poil, et que cette histoire magnifique, est profondément féministe, humaniste, merveilleuse, imaginative et pourtant basée sur un fait qui fut.
Sachez aussi qu'il est impossible de s'ennuyer à cette lecture, que c'est très bien traduit, que beaucoup de thématiques y sont abordées, que beaucoup de symbolique j'y ai trouvé.
Sachez également que l'amour, l'amitié et l'amour maternel y sont fort bien évoqués, que la bêtise humaine aussi, que les pièges du pouvoir, et que les esprits religieux voulant contrôler le reste du monde, s'y trouvent aussi.
C'est une grande comédie humaine, intemporelle, universelle et magnifique.
À lire et faire lire, absolument.
" Je n'aime pas l'idée que l'écriture soit une thérapie, l'écriture c'est l'écriture, la thérapie c'est la thérapie, mais il y avait de bonnes chances qu'écrire cette histoire de mon point de vue m'aide à me sentir mieux. "
Son cerveau a manoeuvré au mieux pour continuer à être Rushdie, point barre.
Dans ce livre, je n’ose dire essai ou roman ou témoignage car les libraires autant que les médiathèques ne l’ont rangé sous aucun des termes auxquels j’aurais, moi, songé. Et pourtant il est un peu tout cela à la fois.
Dès la première page il campe le décor du drame, son drame, le drame de sa vie mais aussi celui de bien des écrivains. Je pense à des auteurs tels que l’Italien Roberto Saviano mais aussi à tout ceux qui savent qu’ils y ont été « fort » dans les propos et les faits dénoncés par leurs écrits et qui pourraient, un jour prochain, réveiller haine et sabotage de leurs vies.
Rushdie pensait être sorti depuis bien longtemps des années de détente aux enfers entamés après la parution de son cinquième livre, ‘’Les Versets sataniques’’ en 1988 ; l’ayatollah Khomeyni avait, il y a trente-trois ans, prononcé la fameuse condamnation à mort contre Rushdie, puis il avait été un peu comme gracié (le terme est certainement inapproprié mais c’est un peu tout comme). Malheureusement il persiste toujours des fous et haineux qui utiliseront n’importe quelle excuse pour faire exulter leur haine et commettre le pire.
Nous sommes le matin du vendredi 12 août 2022 dans un amphithéâtre de 4 000 personnes (pas totalement rempli) dans le nord de l’Etat de New York et apprenons que sous le thème ‘’Plus qu’un refuge. Redéfinir l’accueil américain.’’ Le Refuge « donne asile à un certain nombre d’écrivains en danger dans leur propre pays. Sa conférence devait parler « de la création en Amérique de lieux sûrs destinés aux écrivains venus d’ailleurs et de son engagements dans le projet ».
Il place le ralenti de l’attaque qu’il a subi par un jeune homme de 20 ans, jeune homme qu’il ne nommera jamais et qu’il laissera la majeure partie du livre sur le bord de la route. La mise à distance a son objectif, et on le comprend. Il a fallu qu’il gère sa psyché, qu’il dresse la bête qui aurait pu l’engloutir très facilement. Il meuble d’ailleurs la période suivant l’acte en nous parlant de tout et de rien. J’entends par là que je le suspecte d’avoir été un peu comme sur orbite l’année suivant le drame. Logique les soins et la rééducation ont pris la plus grande place, le stress post-traumatique a été mis dans un petit coin histoire de laisser faire le temps. Laisser venir à la fois le choix et les moyens d’aborder la souffrance psychique mais aussi, laisser retomber tout sentiment pouvant empêcher une reconstruction durable de l’attaque mental subie.
Ses yeux revoient l’avancée de l’homme au couteau mais il est comme figé, déjà choqué avant même d’être agressé. Après les coups de couteau il va gémir mais ne se rappèlera jamais de ses premières souffrances. Il campe aussi les deux derniers jours vécus par l’assaillants avant son passage à l’acte. Il conclura que « quels qu’aient été les motifs e l’agression, ce n’étaient pas ‘’Les versets sataniques’’ qui étaient en cause’’.
Passent ensuite une multitudes d’idées, de faits vécus, de sentiments. On passe de l’impression qu’il a que le « monde des poètes était bien plus convivial que celui des romanciers », par son amour pour la poétesse Eliza qu’il a connu en 2017 et épousé en 2021 pendant les restrictions liées au Covid, par sa relation difficile avec un père alcoolique et leur réconciliation bien trop tardive
Citations :
« J’ai toujours voulu écrire sur le bonheur, en grande partie parce que c’est extrêmement difficile. L’écrivain français Henry de Montherlant est l’auteur de cette formule célèbre : ‘’Le bonheur écrit à l’encre blanche sur des pages blanches’’. En d’autres termes, on ne peut pas le faire apparaitre sur la page. Il est invisible. Il ne se montre pas. Eh bien en voilà un défi, me suis-je dit, j’aime les défis. »
« Le voyage qui permet de franchir la frontière entre Poésieland et Proseville semble souvent passer par Mémoiristan. Les mémoires dans la période littéraire actuelle sont devenus une expression artistique majeure, il nous permet de remodeler la perception que nous avons du présent grâce aux expériences personnelles et au passé extraordinaire des mémorialistes. »
« Il est un genre de bonheur intense qui préfère l’antimite, qui s’épanouit loin du regard du public, qui n’a pas besoin d’être connu pour être validé, un bonheur réservé aux gens heureux, qui est, en soi, suffisant. »
« Ce qui ne peut être soigné, doit être supporté. »
« Il y avait vraiment de quoi pleurer, mais il n’y avait pas de larmes. »
En 2022, trente-trois ans après la fatwa lancée contre lui à cause de son roman Les versets sataniques, Salman Rushdie est attaqué au couteau alors qu’il s’apprête à donner une conférence aux Etats-Unis… sur la protection des écrivains menacés de persécution ! Survivant miraculeux, il met ici en mots l’attentat et sa longue convalescence, manière pour lui de « s’approprier » ce qui lui est arrivé, mais aussi d’opposer l’amour des siens et la liberté de la littérature à la violence fanatique.
Ce jour-là, alors qu’après une décennie de clandestinité sous haute protection policière en Angleterre, l’écrivain désormais installé à New York a peu à peu repris une vie plus normale, ce qui semble enfin faire partie du passé refait subitement surface. Vingt-sept secondes d’attaque et quinze coups de couteau plus tard, la vie de Salman Rushdie n’a plus de place que pour l’urgence absolue. Exit la magie métaphorique : le récit minutieusement réaliste est un corps-à-corps physique avec le sang et la douleur, du choc de l’agression, de la course contre la montre médicale, puis de la réanimation miraculeuse mais ravagée, au long supplice d’une réparation longtemps incertaine, débouchant sur des séquelles irrémédiables, parmi lesquelles la perte d’un œil et de l’usage d’une main.
La peur aussi a fait son grand retour, qui vient ébranler épouse et grands enfants également. Comment reprendre le cours de l’existence sans craindre couteaux ou autres partout ? C’est un cheminement intérieur titanesque que l’auteur et les siens se sont retrouvés à accomplir, un parcours terrible mais obstinément tourné vers l’espoir et la lumière. Mise en mots de l’innommable, la narration est en même temps une formidable déclaration d’amour de l’auteur à son épouse, la romancière, poète et photographe Rachel Eliza Griffiths dont l’indéfectible dévouement parvient au final à faire passer l’amour devant la barbarie. Fort de ce soutien des siens, de ses lecteurs et de l’opinion publique en général, l’auteur qui, en plus de ses moyens physiques, a dû aussi se battre pour retrouver le goût d’écrire, se revigore d’une réflexion érudite, rappelant ces autres écrivains - à commencer par le Nobel égyptien Naghib Mahfouz -, mais aussi tous ces hommes et ces femmes tués ou menacés par le fanatisme religieux - en particulier en Inde, le pays de ses origines aujourd'hui la proie d’un radicalisme hindouiste -, et se félicitant de la flamme toujours renaissante de l’art et de la littérature, vecteurs têtus des Lumières et de la liberté.
Passerelle jetée par-delà la violence et l’intolérance nées des failles de nos sociétés, cet ouvrage de transition dans l’oeuvre de Salman Rushdie annonce le retour en littérature d’un homme augmenté, par les épreuves et le miracle d’une seconde chance, d’une conscience désormais très aigüe du bonheur et des pouvoirs libérateurs de la littérature.
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