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Pour quelques euros de contrebande, un jeune couple trompe la précarité de sa banlieue bruxelloise en siphonnant des réservoirs. Entre les flics qui les coursent, les concurrents qu’il faut prendre de vitesse et les victimes violemment revanchardes, ce qui n’était qu’un acte de survie, en même temps qu’il prend les proportions d’un gagne-pain régulier, devient aussi une addiction à l’adrénaline, une manière de battre en brèche l’immobilité morne et grise des marges sans perspectives. Lorsque Alix, le compagnon de la narratrice, a l’idée de fixer un robinet directement sur un pipeline, leur trafic prend une ampleur qui les dépasse bientôt, les menant droit à la catastrophe.
Ces deux-là ne sont pas de méchants bougres, juste deux âmes perdues dans un présent sans avenir auquel ils essaient tant bien que mal de subvenir au jour le jour, avec pour principal atout l’art de la débrouille. La débrouille et l’économie parallèle, c’est tout ce qu’il reste dans leur quartier, de la mère de famille désargentée au chauffeur Uber, en passant par les petits commerces et le garage du coin, pour espérer maintenir la tête hors de l’eau. Pour oublier l’absence de perspectives, il y a l’alcool et la défonce, et puis la flambe quand l’occasion s’en présente, pour la sensation de se sentir vivant au moins un moment.
Alors, quand leur petit commerce prospère, personne autour d’eux ne crachant sur quelques litres de carburant à pas cher, la transformation du liquide rouge et puant en un autre type de liquide sale mais trébuchant commence par leur brûler les doigts, puis, dans ce monde sans issue de la périphérie, finit par les enfermer dans une course mortifère. Il faut constamment accélérer pour ne pas se faire attraper, pour que les bidons ne stagnent pas comme autant de preuves. « Quand c’est immobile ça s’entasse. Quand c’est immobile ça panique et ça parle, et ça crée un autre flux bien plus connu : celui de la rumeur. » Loin des premières transactions discrètes entre voisins, les voilà qui alimentent des camions, puis bientôt des péniches. Avec désormais face à eux la criminalité organisée, ils vont apprendre que l’on n’échappe pas plus par le bas que par le haut à son destin de laissé-pour-compte.
N’hésitant pas à bousculer la syntaxe au gré d’une inventivité qui fascine autant qu’elle déconcerte, l’écriture nerveuse, aux brutalités poétiques, bouillonne, déborde, ruisselle à la manière d’un liquide sous pression, ses tourbillons tumultueux comme les soubresauts de vitalité piégés au laminoir des bas quartiers. Depuis ces lisières paupérisées frappées plus encore qu’ailleurs par les crises, elle dessine la métaphore d'une société contemporaine violente, qui préfère continuer de se griser de ses excès en se contentant d’expédients face à l’urgence énergétique et climatique, incapable qu’elle est de s’extraire d’un présent débouchant pourtant sur un avenir en forme d’impasse.
Un premier roman audacieusement incandescent, qui pointe notre obstination égoïstement court-termiste à danser malgré tout sur l’agonie de la planète : peu importe l’avenir, pourvu que l’on en profite encore un peu !
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