#RL2017 Un récit prenant, haletant, très émouvant...
#RL2017 Un récit prenant, haletant, très émouvant...
« Il s’appelait, je crois, Daniel Veronese. Mais il ne portait pas ce nom-là quand je l’ai connu. »
« Histoire de Daniel V. est une oasis en plein désert. Incontournable, tremblant de beauté, unique et pur. C’est la voix douce du narrateur qui semble rassembler l’épars d’une identité foudroyée en plein vol en l’occurrence celle de Daniel V. Algérie 1962, la guerre et ses affres, les horreurs, les déchirures, les faux-frères et les trahisons. Pas de parti-pris ni de batailles rangées. Ici, c’est la communion des fraternités, ce qui résiste sous les sanglots silencieux.
« Daniel V. parle. Il parle, d’abord, du vieux Sanchez, de la main du vieux Sanchez dans sa main, de cette main terreuse aux ongles cassées. Des tombes qu’il fallait bien continuer à entretenir, parce que cela seul avait un sens, dans la folie de tout le reste, dans la folie des hommes et des évènements. »
La main de Daniel V. est prodigieuse. Dans celle d’un vieil homme, arabe, la terre entière ployée entre eux. Les pays sans frontières entrelac et concorde à ciel ouvert. Faut-il le silence sous l’insondable, sur la misère humaine, fleurs fauchées en plein champ, le drame des guerres pour une terre, un bout de mur ? Se croire l’autre et envahir jusqu’à ses pensées. Le tabou est tarentule. « Histoire de Daniel V. » de cet homme énigmatique, maître de ses silences est bouleversante. Nous sommes en plongée dans l’éternité du poème de Vian « Le déserteur » même si ce n’est pas le même cheminement, le symbole est gémellaire. Daniel V. est comme un paysage, une lumière tamisée, la foi visible, l’exemplarité et la rectitude. Quarante ans passés, la mémoire gorgée de pluie, l’évènementiel prend l’eau. Mais Daniel V. est immanence. Les souvenirs sont les larmes d’une guerre ambiguë, floutée de méprise. On imagine les oliviers, les poussières sauvages et rebelles qui s’élèvent dans les chemins où tant sont morts. On perçoit l’ombre de Daniel V. engagé volontaire, l’homme au nom perdu, dont le propre père « réfugié italien, un réfugié politique a fui le fascisme dans les années trente ». La clef est ici. Qui du narrateur ou de Pierre Brunet parlent ici-bas ? Les mémoires siamoises sont des écorchures sur le temps qui passe et qui n’oublie rien. Ce livre est bouleversant, une révérence à l’homme : Daniel V. qui n’a jamais mis un genou à terre. Un hommage posthume à la gloire de l’intégrité. Lisez ce flambeau, ce phénomène éditorial. Publié par les majeures Éditions Signes et Balises.
Pierre Brunet utilise de façon originale et efficace le journal de bord maritime de son principal protagoniste, Etienne, pour nous parler d’un sujet lourd : le génocide des Tutsis au Rwanda. Un livre très touchant.
Etienne a participé à l’opération militaire Turquoise, en juin 1994 au Rwanda. Son but était de mettre fin au génocide des Tutsis. Pierre Brunet s’est lui-même rendu à cette période au Rwanda dans le cadre d’une opération humanitaire.
L’auteur ne nous raconte pas l’opération en elle-même mais le retour en France d’Etienne. Celui-ci reste hanté par ce génocide et ne parvient pas à oublier l’inaction qui lui a été imposée sur place par sa hiérarchie, et les 1200 Tutsis massacrés en trois jours à Bisesero.
Ce livre n’est ni une analyse psychologique ni une analyse politique : il traite par la forme du roman et avec beaucoup de finesse, de la culpabilité, la honte, le stress post-traumatique, mais aussi de la solitude.
C’est en mer qu’Etienne trouvera la meilleure forme de rédemption, sur le bien-nommé Gilliatt. Gilliat n’est pas qu’un voilier. C’est le second personnage dans ce livre. Le nom du bateau fait d’ailleurs référence au livre Les travailleurs de la mer de Victor Hugo, livre dédié à l’île anglo-normande de Guernesey autour de laquelle Etienne navigue longuement. Dans le livre de Victor Hugo, Gilliatt était un pêcheur. D’aucuns prétendaient qu’il était le fils du diable, tandis que d’autres lui accordaient le pouvoir de guérir les hommes… guérison que recherche Etienne sur son cher bateau.
Pierre Brunet nous offre de très beaux passages sur la description des émotions et du mal-être d’Etienne mais également des scènes maritimes magnifiques. Certains y trouveront sans doutes des longueurs. J’imagine que l’auteur a voulu, par la voie de la mer et du grand-large, apporter une bouffée d’oxygène et d’énergie à un sujet bien lourd.
Quant au titre, le triangle d’incertitude est une figure maritime comprenant trois points fixes qui permettent de déterminer la position d’un bateau, selon une marge d’incertitude la plus faible possible. Points de repères qui manquent crûment à Etienne dans sa vie.
Au total, un livre qui vous emportera telle une vague dans un voyage au long cours.
https://accrochelivres.wordpress.com/2017/11/01/le-triangle-dincertitude-pierre-brunet/
Étienne, soldat d’élite de l’armée française, est rentré du Rwanda. Il retrouve sa femme et ses enfants et, pendant deux ans, va essayer d’oublier les horreurs qu’il a vécues mais surtout essayer de vivre avec la honte et le remords d’avoir laissé massacrer mille deux-cents Tutsis, en 1994. Mais cette honte le ronge malgré les efforts déployés par sa femme, ses camarades, les psy… Il est sans cesse happé par le souvenir de ce massacre de Bisesero. Il va alors tenter de s’évader sur son voilier, Gilliat, personnage à part entière, pour fuir ce souvenir et essayer de vivre une nouvelle existence. Y parviendra-t-il ? Le suspense durera jusqu’à la fin du livre, avec une tension qui va crescendo.
Malgré l’emploi de nombreux termes techniques de marine, le lecteur est maintenu dans une tension quasi insoutenable.
Quel beau livre !
Il nous fait prendre conscience, si ce n’était pas fait, de la barbarie des hommes quelles qu’aient été les époques, malheureusement toujours d’actualité et de la culpabilité qu’on peut ressentir à rester les bras croisés devant le malheur.
Je remercie Lecteurs.com et les éditions Calmann-Lévy pour cette formidable découverte.
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
En 2016, Gaël Faye nous a remis en mémoire, le terrible génocide rwandais dans Petit Pays. La même année, ce même drame immense était vécu dans les pas d’un enfant avec J’ai longtemps eu peur de la nuit, de Yasmine Ghata mais j’avoue que Le Triangle d’incertitude de Pierre Brunet, publié cette année, va encore plus loin en emmenant le lecteur sur les pas des soldats français impliqués dans l’opération Turquoise, au travers du vécu d’un officier.
Il se nomme Étienne. Il était lieutenant de vaisseau dans les commandos de marine et, deux ans après son retour du Rwanda, voilà qu’il quitte l’écluse de Paimpol à bord de son voilier, Gilliat, et note sur son journal de bord : « Je vais tenter de trouver dans le vent marin une autre existence. »
Pierre Brunet alterne alors entre le carnet de bord du bateau et un narrateur qui développe davantage en prenant de la hauteur par rapport à tous ces souvenirs qui torturent Étienne et le poursuivent sans cesse. Pas un moment depuis son retour en France n’échappe à ce mois d’août 1994 où « Les hommes coupaient les gens ou volaient les vaches et les femmes pillaient les maisons de leurs anciens voisins. »
Impossible de s’en remettre malgré l’aide de ses proches et d’un psy de l’armée. On partage sa douleur mais l’auteur va plus loin en détaillant l’attitude de l’armée française laissant faire le massacre dans ces collines de Bisesero alors que les assassins étaient clairement identifiés et que les survivants vivaient des heures atroces pour tenter d’échapper à la mort : « Nous n’avons pas tué, là-bas, nous n’avons fait qu’être absents au moment où d’autres tuaient. »
De 40 000 Tutsis au début, ils n’étaient plus que 2 000 trois mois après pour seulement 800 survivants quand les opérations de secours arrivent enfin, ce qui hante toujours Étienne : « Mille deux cents vies perdues sur la conscience. » Pourtant, les hommes, sur le terrain avaient alerté leurs supérieurs qui avaient fait remonter les informations les plus alarmantes jusqu’en haut lieu… sans réaction !
Le récit est prenant, haletant parfois, très émouvant souvent, suffisamment précis en tout cas pour être très dérangeant pour notre pays car les appels à l’aide ont été lancés et des milliers de vies auraient pu être sauvées. Pierre Brunet ne cache pas les causes de cette indifférence coupable, expliquant très bien, au travers des cauchemars de son héros, pourquoi les militaires français laissaient faire leurs homologues Hutus qu’ils avaient formés quelques années auparavant.
Sur Gilliat, ce voilier qu’il traite comme une personne, Étienne traverse la Manche en passant par Jersey et Guernesey. Si vous avez pratiqué la voile, vous comprendrez sûrement l’avalanche de termes techniques car l’auteur détaille avec précision et délectation toutes les manœuvres. Pour moi, cela n’est pas important car j’ai frémi, tremblé, jusqu’au bout de cette mémorable scène de sauvetage dans une mer déchaînée avec, toujours, des références au drame rwandais : « Ma tête doit avoir besoin de se vider. J’ai probablement une voie d’eau quelque part, au fond de l’esprit. Il me faut écoper chaque jour et rejeter sur ces pages ce que la pompe de cale de ma raison ne parvient pas à écluser.»
Le Triangle d’incertitude - référence à la position en mer obtenue par triangulation, technique remplacée par le GPS - est un roman nécessaire et je remercie Lecteurs.com et les éditions Calmann-Lévy de m’avoir permis de le découvrir.
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
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