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Extrait de l'introduction
Il fait doux à Paris ce 6 juin 1936, la ville est en fête pour célébrer la victoire historique du Front populaire. La France vient de connaître un tournant historique : alors qu'une quasi-guerre civile menace, elle entre dans une ère nouvelle qui donne pour la première fois au peuple toute sa place dans l'espace public. A la tête du gouvernement, un homme s'apprête à demander la confiance à la Chambre des députés. Le chef incontesté du parti socialiste, élégant, pareil à lui-même, s'avance et entame son discours de politique générale en énonçant les mesures phares dont il a décidé, tels la semaine de quarante heures, les congés payés, les nationalisations ou encore une politique de redistribution de la richesse. Le débat est houleux, la tension à son comble. C'est alors que Xavier Vallat, député de l'Ardèche, prend la parole et prononce ces phrases qui résonnent encore aujourd'hui : «Votre arrivée au pouvoir, Monsieur le président du Conseil, est incontestablement une date historique. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné [...] par un Juif.» En dépit des protestations du président de séance, du tumulte qui saisit l'assemblée, Xavier Vallat ajoute : «je constate que, pour la première fois, la France aura eu son Disraeli. [...]Je dis parce que je le pense [...} que, pour gouverner cette nation paysanne qu'est la France, il vaut mieux avoir quelqu'un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol qu'un talmudiste subtil». Atteint par la violence de cette attaque devant la représentation nationale tout entière assemblée, Blum, pâle d'émotion, n'en revendique pas moins, avec «fierté», devant tous ses collègues, son judaïsme. Il recourt aux mêmes termes qu'au cours d'un autre débat se déroulant également au Palais-Bourbon, en janvier 1923, à propos de l'occupation de la Ruhr contre laquelle il protestait. Comme Léon Daudet l'interrompait en dénonçant «la banque juive», que Jean Ybarnégaray se moquait du «Juif protestant», Blum lançait : «J'entends sur ces bancs (à droite) répéter avec obstination le mot de "juif. [...] Je suis juif, c'est un fait. [...] Vous ne me blessez aucunement en rappelant la race dont je suis et que je n'ai pas reniée et je n'éprouve envers elle que des sentiments de reconnaissance et de fierté».
Le président de séance a beau tenter de faire taire Xavier Vallat en affirmant de manière solennelle : «je ne connais, quant à moi, dans ce pays, ni juifs, comme vous dites, ni protestants, ni catholiques. Je ne connais que des Français», des paroles irréversibles viennent d'être prononcées qui marquent durablement la société française et annoncent presque à elles seules le futur drame de Vichy. Selon d'autres retranscriptions du discours de Xavier Vallat, ce «talmudiste subtil», ce Juif dépourvu de racines terriennes, cet individu inquiétant ne prendrait même ses décisions en matière internationale «qu'après avoir consulté ses coreligionnaires». La droite nationaliste applaudit bruyamment l'interpellation de Xavier Vallat car, à ses yeux, «l'accession de Léon Blum à la présidence du Conseil pose la question juive devant le peuple français pour la première fois depuis l'affaire Dreyfus». Ainsi, en ce mois de juin 1936, les députés français, tout comme les membres du Conseil général de la Seine, se trouvent conviés à adhérer à une version à peine modernisée du Protocole des Sages de Sion qui fait fureur dans les milieux antisémites, qui se livrent depuis de nombreuses années à une propagande déchaînée.
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