Philippe Guyral était mon ami. Le P'tit Philippe, comme je l'appelais. Notre affaire a duré trois ou quatre années : la boxe française, le Rose Bonbon et les fêtes sans bristol. Il se disait hydrocéphale, presque nain, vivait dans la hantise de finir chauve comme son papa et SDF comme un tonton à...
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Philippe Guyral était mon ami. Le P'tit Philippe, comme je l'appelais. Notre affaire a duré trois ou quatre années : la boxe française, le Rose Bonbon et les fêtes sans bristol. Il se disait hydrocéphale, presque nain, vivait dans la hantise de finir chauve comme son papa et SDF comme un tonton à lui... Moi, vieux jeune peintre déjà, je m'anéantissais avec les moyens du bord : poignées de mains inutiles, coucheries superflues, etc. Pourtant, Guyral me parait de toutes sortes de vertus... D'ailleurs, il m'appelait Jeff ! Pas le Jeff de Brel ! Non, un autre, un qu'il s'était inventé, un Jeff classe, un super copain béni à qui tout réussissait, ou presque. Alors, lui et moi, lui tout en excentricité suicidaire enfilant sa panoplie de bouffon volontaire et moi, me drapant dans celle de clergyman-peintre-homme à femmes, tous deux raidis dans notre propre caricature, nous sommes sortis la nuit. Ad nauseam. Puis ce kolé seré s'est distendu et nos liens, comme des espions inutiles, ont été mis en sommeil pendant cinq années. Longtemps après nos derniers chahuts, j'ai été prévenu, par hasard, d'une signature au Père Lache. Philippe signait son premier livre ! Ça s'annonçait mieux que bien : La Véritable Histoire de la mienne ! Quand j'arrivai, Guyral était installé derrière un bureau, « façon écrivain », sur une terrasse donnant sur le cimetière. En cette fin d'après-midi s'entassait là une raïa bien connue, habituelle en quelque sorte, celle des concerts où je n'allais plus, celles des fêtes des années 80 à 90, qui n'existaient peut-être plus. Chacun avait un peu vieilli mais tout le monde semblait content de se retrouver. Heureux surtout que Philippe soit là où il était. Un ancien punk de mes ex-potes me montra les photos de ses deux filles, mi-fier, mi-penaud. Ennuyé, je regardai sans voir, plutôt en souvenir des bamboches révolues. Je dus verdicter... Il m'attendait, pensez ! Ses filles ! À lui ! Puis vint le temps du « mais sa mère et moi, on a splité et... » Guyral, concentré sur sa nouvelle occupation honorifique, ne me vit pas tout de suite arriver. Une chance ! Je me postai devant son burlingue d'écrivain signataire, amusé. À un moment, Philippe a levé les yeux... Nous avons éclaté de rire ! Bien éclaté, même, nous étions violets ! Je l'ai vanné avec chaleur. Il s'est rengorgé tout en s'excusant à moitié de « faire le signataire ». Après, vint le temps de la dédicace. Il y tenait : « Si, si ! C'est normal Jeff ! » Plus personne ne songeait à m'appeler Jeff, désormais. Bien. Pas très à l'aise, j'attendis. Puis il me tendit La Véritable Histoire de la mienne avec les pattes de mouche qui m'étaient destinées. Je lus puis nous nous sourîmes. Cette signature eut lieu en 1996. Jamais je ne revis Philippe Guyral. Peu d'années après, sa tête pivotait sèchement sur le marbre d'une table dans une salle de billard parisienne : un vilain petit vaisseau avait pété dans sa tronche de gargouille. Philippe n'avait que 32 ans et venait de mourir seul. Il commençait à avoir du succès en tant qu'amuseur vraiment destroy sur Canal, aux côtés de Catherine Benguigui avec laquelle il formait un duo.
En relisant son roman, pour l'éditer cette fois, j'ai été de nouveau séduit par cette liberté qu'il est difficile de lire mais aussi, et surtout, de vivre en 2011. Son unique roman ne fait donc pas que conserver sa force d'antan mais plus, et c'est son prix, il est, à lui seul, une lucarne ouvrant sur un monde disparu. Une Atlantide à la fois triste et précieuse, qui referait de temps à autre surface à l'évocation de sa devise qui aurait pu être « perdre en beauté vaut mieux que toutes ces réussites foireuses ».
Jean-François Dalle