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Avec « Les enfants de Staline », Owen MATTHEWS tente d’écrire à la fois l’histoire de sa famille russe et celle de la Russie de Staline avec sa collectivisation forcée, ses goulags et sa bureaucratie, et la Russie d’aujourd’hui avec sa capitale à la vie débridée.
Dès le prologue de ces presque 400 pages, l’auteur introduit son lecteur de plain-pied dans l’histoire sombre des années Staline avec la lecture du dossier d’accusation de son grand-père Boris Lvovitch Bibikov , fusillé par la police secrète de Staline en 1937.
Dans le grenier de ses parents Owen Matthews prend connaissance des centaines de lettres échangées entre son père, Mervyn Matthews, jeune professeur d’université et sa mère, Ludmilla Bibikova, jeune étudiante moscovite. Grâce à cet abondant courrier, l’auteur raconte avec une précision d’entomologiste la rencontre à Moscou entre son père anglais et sa mère russe et l’amour insensé qui en découle. Ils durent attendre six longues années avant d’être à nouveau réunis. Leur odyssée nous est contée comme un roman avec, en toile de fond, l’histoire terrible de la Russie au début du XXème siècle : les purges et les condamnations à mort, les projets de grandeur d’un dictateur et la famine de 1930, responsables de milliers de morts, les goulags. L’auteur fait ressurgir aussi la vie quotidienne des gens de sa famille, de leurs amis et de la vie simple dans les datchas durant l’été.
Owen Matthews, russophile, a parcouru en sens inverse le chemin suivi par ses parents et, avant eux, ses grands-parents. Il a retrouvé sa tante, ses cousines et leurs amis. Il a connu les folles nuits de Moscou et a même été approché par le KGB qui tentait de le recruter.
Le passé patiemment reconstitué se mêle tout naturellement à ses errances d’aujourd’hui en quête de son histoire.
Ce livre est à la fois une grande fresque historique, l’histoire de trois générations et le reportage enquête de terrain que nous livre O. Matthews. C’est écrit avec un véritable talent de romancier, un romancier qui sait nous émouvoir sans mièvrerie et nous surprendre sans cesse, un conteur qui sait faire ressurgir sans rancœur ni regrets un passé troublé. Et c’est ce qui donne tant d’humaine épaisseur à ce document et le rend aussi passionnant.
Au début des années 90, Alexeï, jeune journaliste moscovite, est envoyé en Tchétchénie pour couvrir le conflit qui oppose le petit état du Caucase à la Russie. Installé avec les soldats russes d'occupation dans une caserne aux pieds des montagnes, il découvre la vie de garnison, la camaraderie, mais aussi la peur des attaques ennemies et les missions dans les villages rebelles. A Chatoï, non loin du camp russe, le journaliste rencontre Zéliha, la belle institutrice. C'est le coup de foudre, la passion, des moments volés à la guerre et aux traditions. Mais quand les rebelles tchétchènes attaquent, l'armée russe riposte et ne fait pas de quartier. Zéliha est arrêtée, Alexeï est exfiltré et renvoyé à Moscou, laissant derrière lui cet amour éphémère.
Des années plus tard, alors qu'il est installé à Istanbul avec femme et enfants, il tombe par hasard sur Zéliha, elle aussi mère, d'une adolescente rebelle qui ne sait rien de ses origines et fréquente une mosquée radicale. Quand, imprudent, Alexeï raconte un peu du passé de sa mère à la jeune fille, celle-ci s'enfuit et s'enrôle dans le djihad, décidée à se venger. Eperdue d'angoisse, Zéliha supplie le journaliste de lui ramener sa fille. En souvenir de son amour pour elle et pour compenser sa lâcheté d'antan, Alexeï s'envole pour l'Ukraine où ses anciens amis soldats ont repris du service.
Un roman intense, violent où si l'amour et l'amitié font de brèves apparitions, ils sont vite balayés par les horreurs de la guerre. La Tchétchénie vue par les yeux d'un jeune journaliste russe est un pays en ruines où subsiste l'étincelle de la rébellion. Lui a peur, peur des tchétchènes, peur des russes, peur de mourir. Sa relation avec Zéliha est une parenthèse enchantée dans les combats, un amour impossible sur lequel il tourne la page en retournant à Moscou. Il la laisse aux mains de l'ennemi sans avoir eu le courage de la protéger, de la sauver. Reste un immense sentiment de culpabilité. Pour se racheter, il veut sauver sa fille et pour cela il doit quitter sa famille et retourner à une vie plus aventureuse, encore une fois au cœur des combats, en Ukraine cette fois. Un autre lieu, une autre guerre mais la même violence, les mêmes soldats, la même opposition à la présence russe.
Dans un tel contexte, les personnages d'Owen Matthews tentent de survivre aux traumatismes. Ni bons, ni mauvais, ils partagent le même sentiment de culpabilité. De retour chez eux, les soldats ne peuvent oublier leurs exactions. Leur seul choix est de se rejeter dans l'enfer de la guerre. Le journaliste est pris entre deux feux : témoigner de ce qu'il a vu, raconter une vérité qui ne plaira pas au pouvoir ou encore une fois se taire et trahir. Tous sont juste des hommes et des femmes incapables de se comprendre, pris dans le cours d'une vie qu'ils ne maîtrisent pas.
Le roman se termine là où il a commencé, dans la haine et le sang, le pardon impossible, la mort. Puissant et sans concessions.
http://leslivresdejoelle.blogspot.fr/2017/02/lombre-du-sabre-dowen-matthews.html
Ce roman commence par deux chapitres surprenants qui prennent tout leur sens à la lumière du récit. J’ai éprouvé le besoin de les relire après avoir fini le livre et je confirme que cette relecture est vraiment indispensable pour saisir la globalité de l'histoire.
Alexei est un journaliste russe qui vit à Moscou. En mars 2000 il accepte de couvrir l'évolution du conflit en Tchétchénie où il est nommé comme correspondant dans ce pays, il y fait équipe avec Youri un photographe aguerri.
Il découvre un pays devenu un tas de ruines et arrive dans un camp militaire russe dans les montagnes près d'un village tchétchène. Il y rencontre Zeliha une jeune femme tchétchène au port altier. C'est une institutrice grave et sérieuse, fille du chef du conseil du village elle est musulmane non pratiquante. Ils vivent une brève histoire d'amour.
Le jour où des rebelles tchétchènes prennent des soldats russes dans une embuscade, il s'ensuit de terribles représailles de la part des soldats russes lors d'une nuit de pluie et de violence, Zeliha est capturée et Alexie reste impuissant pour la défendre lorsqu'elle implore son aide. Il en éprouvera de la culpabilité et de la honte. Il ne pourra pas se résoudre à accuser des officiers qui lui ont sauvé la vie lors de l'attaque ni révéler à sa rédaction ce qui s’est passé pour ne pas nuir à Zeliha.
Nous retrouvons Alexei en 2014 à Istanbul, marié et père de famille. Un jour il rencontre Zeliha accompagnée de sa fille Dilara, adolescente de 14 ans. Dilara fragilisée par sa quête identitaire, en butte au refus de sa mère de lui révèler l'identité de son père devient la proie des frères musulmans. Quand elle comprend le secret de sa mère elle rejoint aussitôt le djihad pour la venger.
" Rendre justice, c'est punir les méchants et récompenser les justes. Pour vous les chrétiens, la justice n’est pas pour ce monde, mais pour celui d'après. Pour nous, les musulmans, c'est très différent. Il est écrit que "les portes du paradis sont situées à l’ombre des sabres""
Alexei, toujours tenaillé par la culpabilité de sa lâcheté, se sent redevable envers Zeliha, il lui promet de récupérer sa fille grâce aux nombreux contacts qu'il a gardés en Tchéchénie.
Commence alors une traque pour retrouver Dilara et l'empêcher de commettre l'irréparable. Alexei va alors replonger dans sa vie d’aventures, se sentir tiraillé entre la nostalgie de l'aventure et l'envie de fuir pour retrouver le confort de sa vie de famille.
Ce roman parle de culpabilité, de difficulté pour les journalistes de comprendre les peuples dans leur intimité, des cas de conscience qui se posent aux journalistes, de la difficulté pour les soldats à vivre avec le souvenir des atrocités commises, des insomnies et cauchemars qui hantent les témoins pendant des années "Il en sait trop sur le monde des hommes. Ce savoir pesant le cloue au sol."
J'ai trouvé l'écriture très fluide et les descriptions suffisamment précises pour nous plonger dans une atmosphère de guerre, dans le quotidien d'un reporter de guerre qui essuie son baptême du feu.
Le récit nous entraine de Moscou à la Tchétchénie puis à Istanbul et en Ukraine à la rencontre d'un monde d'hommes rudes qui trouvent souvent refuge dans l'alcool et la violence dans une atmosphère tendue et hostile.
J'ai aimé l'intrigue très bien construite et les rebondissements qui font de ce roman un vrai page turner.
Ce document offre un témoignage fort, émouvant et complet sur l’évolution du mode de vie russe entre les années 30 et les années 90 à travers la vie des membres d’une famille soviétique.
L’auteur, partie prenante, nous fait partager à la fois les détails de la vie quotidienne et les méandres de l’organisation politique et administrative complexe russe.
Il nous y raconte les joies et les souffrances indicibles d’un peuple qui apparaît à la fois fier et fragile. La vie des membres de cette famille nous emmène de tragédie en drame, d’épreuve en combat personnel pour la liberté et la dignité. On reste toujours étonné de la force vitale et de la résistance des êtres humains soumis à tant d’atrocités.
Ce livre est un condensé de traité historique sur l’évolution de la Russie au cours du XXème siècle, doublé d’une saga familiale étonnante et bouleversante. L’ensemble de ce document est dense, parfois complexe mais toujours intéressant.
Les destins des personnages sont exceptionnels au regard de leur histoire personnelle forcément fortement imbriquée dans l’histoire sociale et politique soviétique. La qualité de l’écriture fait qu’on se retrouve plongé dans l’univers des personnages, qu’on peut s’imaginer l’atmosphère des lieux qu’ils ont fréquentés avec précision : sans connaître du tout le Russie et Moscou, j’ai pourtant pu m’en faire une idée et des images très nettes dans le contexte de ce livre.
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