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Il y a quelques années, Nathalie Skowronek a été sollicitée pour animer des ateliers d'écriture en milieu psychiatrique. Elle était à la fin d'un roman, dans une période de doute. Dans ce centre de jour, on veut donner aux "pensionnaires" la possibilité de s'exprimer par la peinture, la photographie, l'écriture, le théâtre. L'idée est vraiment de partager son art avec eux sans artifices.
Elle va découvrir et côtoyer Julia, Suzanne, Nour, Théo, Mathias, Basile, Clémence, Rachel, Pierrot, des personnes en souffrance et les accompagner. Elle va redoubler de créativé et d'imagination pour qu'ils se livrent, écrivent, racontent. Elle partira de ce qu'elle connaît, les livres, des textes, rien que des textes.
Elle va utiliser la littérature, le pouvoir des mots, différentes techniques d'écriture pour que les participants se confrontent à eux-mêmes, aux autres et existent.
Rilke "Surmonter c'est tout", Melville avec "Moby Dick" , Camus "L'étranger" - Tout a vacillé - le Talmud "Fais et tu comprendras" - Montaigne, Prévert, Ionesco, Perec et tant d'autres.
Au fil des ateliers, la distance avec les participants s'étiole. Elle donne mais elle reçoit et se rend compte qu'elle est de plus en plus proche d'eux, doute et prend conscience qu'elle aussi bascule, est troublée et est en souffrance, se noie dans sa déprime et doit comme eux confronter ses peurs.
Mais qu'est-ce que la normalité ? C'est un récit sincère, juste et émouvant. Ces contacts et ateliers sont vrais, respectueux, remplis d'humanité. Une grande sensibilité dans l'écriture, au fil du roman, elle devient au final un de ses personnages souffrants, en plein abîme, en manque de confiance et d'assurance.
Les jolies phrases
Lorsque je m'engage, je ne me dérobe pas, il n'aura pas à se repentir de m'avoir fait signe. Surtout, je me sais experte dans l'art de répondre au désir de l'autre. Il m'est plus aisé de m'ajuster à celui qui est en face de moi que de prendre le risque de me découvrir.
Je me suis rappelé qu'écrire c'était un mot après l'autre, puis une phrase après l'autre, puis un paragraphe après l'autre. Comme dans un mouvement de brasse coulée, on prend l'air et puis on plonge. Au bout de la longueur, on se retourne et on recommence. On n'a pas de vision claire de la distance parcourue, encore moins de ce qui nous attend, chaque séquence étant un monde en soi. Qui mobilise nos forces, prolonge nos efforts, nous emmène plus loin.
Ta peine est ton trésor, ne l'oublie jamais.
L'écriture permet de se glisser à l'intérieur. Eprouver, changer de peau.
Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es.
https://nathavh49.blogspot.com/2024/06/la-voix-des-saules-nathalie-skowronek.html
A partir d’une histoire de chiffons, de la confection juive au 20eme siècle en Europe, c’est un pan de l’Histoire qui est retranscrit avec beaucoup de délicatesse et de pudeur sous un angle différent.
C’est en effet un bel hommage de l’auteur à une tradition familiale, une histoire au-delà du simple cercle intime qui est retranscrit. Avec ses mots, ses souvenirs et sentiments personnels, elle fait revivre plusieurs générations d’immigrés juifs et de rescapés de la Shoah. On suit une saga familiale sur le 20eme siècle, et en filigrane les évolutions de la confection. C’est toute une société qui reprend vie et elle nous permet de plonger dans un cadre de vie, une histoire dans l’Histoire, des us et coutumes qui nous sont soient inconnus soient indéchiffrables lorsque l’on ne fait pas partie de cette communauté.
Le quartier du Sentier ne pourra plus être arpenté de la même manière une fois le livre refermé.
On finit par s’approprier le vocabulaire yiddish qui va au-delà de la simple description des objets. Les Schmattès ( tissus, chiffons) portent le poids de l’histoire. Ce terme était aussi employé nous apprend l’auteur par les allemands dans les camps d’extermination à la place des corps, des victimes, sous peine d’être frappé. Ces fripes, ces loques désignaient les déportés, ces « loques, ces déchets ».
D’autres références sont aussi intéressantes sur le plan artistique avec l’évocation du travail de Boltanski sur les fripes, l’amoncellement de vêtements ainsi que les références littéraires à Proust et Zola avec le roman « au bonheur des dames ». On prend plaisir à apprécier ces œuvres dans le cadre du roman avec une nouvelle lecture parfois, une autre résonnance.
C’est aussi un monde très sensuel qui est décrit avec les étoffes, les mises en vitrine, les achats et magasins arpentés. On peut comprendre la peur de la contradiction avec le monde des lettres, où la valeur du livre est difficile évaluer, le désarroi de l’auteur à ses débuts dans un monde de l’édition qui ne semble pas fonctionner avec les mêmes codes. Cependant elle jaugera avec les mêmes repères que son ancienne « vie » au sein de la confection les librairies que les magasins de prêt à porter et boutiques de confection. Des passerelles se dessinent et son livre réconcilie ces 2 mondes.
Il est en effet question de l’histoire personnelle de l’auteur, de son tiraillement entre les lettres et le commerce, les deux ne lui semblant pas pouvoir cohabiter par peur de trahir les siens, en quittant le chemin tracé depuis des générations et avec le poids de la culpabilité en toile de fond (« le père Goriot » de Balzac étant négligemment posé par la grand-mère sur une table).
Le titre « un monde sur mesure » est terriblement juste et romanesque à la fois. Il évoque un monde passé qui n’existe plus à l’heure de la commande en ligne. Mais c’est également le regard de l’auteur sur sa famille, marquée par l’exil depuis le 20ème siècle, qui cherche à s’intégrer et dont l’histoire trouve écho dans d’autres exils.
Il y a enfin le portrait des deux tendances des survivants de la Shoah avec les deux branches familiales de l’auteur. Ceux qui vont de l’avant, les flamboyants, qui se couvrent « d’or qui protège » et ceux qui culpabilisent d’avoir échappé à la mort, d’être revenus ou d’avoir survécu, la peur d’être en trop.
En complément à la fin du roman, se trouvent deux très courts opus. Tout d’abord un entretien retranscrit avec l’auteur permet de creuser son travail, son cheminement. Il donne également l’envie de lire ses précédents romans présentés comme appartenant à une trilogie qui est une présenté comme une transmission à la base involontaire de la Shoah avec l’histoire familiale retranscrite sous différents angles dans ces 3 ouvrages « Karen et moi, Max, en apparence et un monde sur mesure). Avec ce témoignage, l’auteur s’inscrit dans la lignée de la 3eme génération des rescapés de la Shoah, ceux qui mettent des mots sur les drames familiaux, qui évoquent l’histoire d’une génération.
La postface également intégrée permet d’aller plus loin dans la compréhension du travail de l’auteur et donne d’autres clefs de lecture et des précisions historiques et littéraires pour un cadre plus général dans lequel s’inscrit le roman.
Un vrai plaisir de lecture, on apprend beaucoup sur ce monde qui semble avoir disparu et il donne envie de lire les précédents ouvrages de l’auteur.
récit intéressant sur l'histoire d'une famille juive polonaise
Max était un homme affable et séduisant, un homme d'affaires prospère, et pour Nathalie, le grand-père qui l'accueillait chaque été à Berlin ou à Marbella. Mais derrière les apparences de réussite et de respectabilité, Max était un être insaisissable, secret, sans passé. Il avait abandonné la Belgique, sa femme, sa fille, pour se refaire une vie en Allemagne avec une nouvelle épouse allemande et un associé à l'Est, derrière le Mur. Il voulait oublier la guerre, les camps, la mine. Mais le numéro tatoué sur son avant-bras était un rappel constant de son passage dans les camps de la mort. Quand Nathalie se rend compte qu'elle a oublié ce numéro que son grand-père arborait ou cachait au gré des circonstances, elle éprouve le besoin de trouver, par-delà les non-dits et les silences, le Max qui se cachait derrière les apparences.
Ils n'étaient pas nombreux, à la fin de la guerre, ceux qui voulaient parler de l'enfer vécu dans les camps de concentration nazis. Honte des rescapés à avoir survécu là où tant d'autres sont tombés ? Besoin d'oublier ces horreurs sans nom ? Intuition que ceux qui avaient échappé aux camps ne pourraient pas comprendre ce qui s'y passait ? Volonté de tourner la page ? Pour les survivants, il s'agissait de se taire, de faire profil bas, de ne pas se faire remarquer. Mais peut-on oublier qu'on a vu la mort de trop près, qu'on a perdu un père, une soeur, une épouse, un fils ou toute sa famille ?
A travers le personnage ambigu de Max, son grand-père revenu de l'enfer, Nathalie SKOWRONEK ravive la mémoire des morts et des survivants et interroge sur la peur, l'angoisse, l'horreur que leurs descendants ont reçu en héritage. Son récit, touchant parce que très personnel, raconte un homme qui, sous la carapace du nanti séducteur et beau parleur, cachait les failles profondes de ceux qui ont tout perdu et se sont reconstruits sur les ruines de leur "vie d'avant".
Cependant, le récit est un peu confus, s'embrouillant dans les évènements et les dates. Max étant mort, pour Nathalie, il s'agit de collecter des informations, forcément de seconde main. Alors elle se renseigne, elle consulte les archives, elle interroge la famille, les amis, elle se rend sur les lieux forts de l'histoire de son grand-père, de Liège à Berlin, d'Auschwitz à Tel Aviv. Mais tout cela manque de liant...On a l'impression de lire le travail préparatoire d'un auteur, avant le travail d'écriture. C'est sans doute un parti pris que de vouloir livrer les informations brutes, sans soucis de chronologie ou de cohésion et la démarche peut s'expliquer par le fait de ne surtout pas ajouter une interprétation personnelle qui dénaturerait les faits. Malheureusement, cela donne une impression d'inachevé, de brouillon... Reste l'histoire de Max qui s'installât en Allemagne, trafiquât avec l'Est, évoluât parmi les notables, voulut être le témoin vivant, le rappel constant, pour les allemands, de leurs cruautés ou de leurs lâchetés.
Un hommage à ce grand-père peu loquace en famille et à toutes les familles disparues. Intéressant, parfois émouvant, mais pas totalement convaincant.
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