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En 1956, Karim, adolescent, quitte l'Algérie pour la France, où il change de prénom. Ana, elle, fuit Malaga et l'Espagne franquiste en 1962 pour venir faire des ménages à Paris. Lorsqu'ils se rencontrent, chacun reconnaît en l'autre l'exilé qu'il est lui-même : ils se marient et fondent une famille. Ana sera concierge, Karim devenu Paul travaillera dans un atelier de confection, avant de devenir employé de banque. Ils auront deux enfants, la narratrice et son frère. Au moment où son père disparaît, la narratrice constate que, hormis les grandes lignes, elle ignore presque tout de l'histoire de ses parents. Convoquant ses souvenirs d'enfance, interrogeant les témoins de l'époque encore présents, elle va arpenter sa mémoire comme les rues du XIᵉ arrondissement de Paris, où elle a vécu, pour découvrir leur vérité, peut-être leurs secrets.
Nathalie Hadj signe un roman délicat pour ce premier titre. Des blessures hérités des ancêtres, le déracinement, des belles rencontres. Une histoire poignante, récit d'une quête d'origines, une galerie de personnages à découvrir. La mémoire familiale, le silence d'un père, l'amour et la dignité.
"On ne trahit personne en changeant de nom, ni même de nationalité. C’est une question de survie, Karim, on ne peut pas prévoir ce qui va se passer. Je n'aurais jamais cru que je finirais là-bas, dit Monsieur Jean, en retroussant la manche de sa chemise pour montrer les numéros tatoués sur son avant-bras gauche."
Lorsque la fin est proche, les silences se font lourds et les questions deviennent obsédantes. Et pourtant le décès des proches crée une urgence, une obsession de combler les non-dits d’une histoire trop lourde pour être partagée.
Le père est algérien, la mère a dû quitter l’Espagne de Franco, et c’est ce pays qui est son paradis perdu, celui où elle rêve de retourner vivre un jour, séjournant en France comme en transit. C’est à Paris qu’ils se sont rencontrés, mais leur seul point commun est l’exil. La fidélité du couple tiendra plus au code de l’honneur qu’à l’amour…
La narratrice convoquera ses souvenirs d’enfance, les témoins de cette période lointaine pour essayer de comprendre son histoire
On retrouve dans ce premier roman un thème souvent développé, celui des racines mouvantes, et de la sensation de n’être nul part chez soi. Sans jugement sur ce que le couple a fait de sa vie commune, l’autrice exprime avec délicatesse et respect ce bagage culturel complexe que représente l’exil.
200 pages Mercure de France 4 janvier 2024
Deux immigrés, une même volonté
Dans ce premier roman sensible, Nathalie Hadj raconte l'exil de son père algérien et celui de sa mère espagnole. Après leur décès, elle essaie de mettre des mots sur leurs silences, de découvrir enfin leurs secrets et leurs aspirations. Une chronique émouvante.
2014, 1956, 1962. Autour de ces trois dates, trois histoires vont s'entremêler, trois histoires qui commencent par trois départs. Il y a d'abord le plus douloureux, l'ultime voyage d'un père emporté par la maladie. Un père que sa fille assiste, décidée à la croire jusqu'au bout quand il affirme qu'il ne boit plus.
On le retrouve en 1956. Il est alors adolescent, s'appelle Karim et prend le bateau qui le fera quitter son Algérie natale pour la France.
Enfin 1962 est l'année où Ana choisit également l'exil. Dans une Espagne franquiste qui ne lui offre un avenir qui lui fait de plus en plus peur, elle choisit de quitter Malaga pour aller rejoindre sa sœur à Paris. Sa dernière lettre lui fait espérer des lendemains qui chantent à l'ombre de la tour Eiffel.
Mais pour l'un comme pour l'autre, le déracinement est une épreuve, la France est loin d'être l'eldorado. Karim constate très vite que la France, en proie aux événements, se méfie des arabes. Ana déchante quand elle découvre la minuscule chambre de bonne de sa sœur qu'il n'est pas question de partager.
Karim va trouver un emploi de manutentionnaire chez Monsieur Jean. Ce juif polonais va lui conseiller de changer de prénom, lui expliquant que lui aussi avait dû changer de prénom, de nom même: «je ne m'appelle pas Jean Izard mais Jakub Itskowitz. On ne trahit personne en changeant de nom, ni même de nationalité. C’est une question de survie, Karim, on ne peut pas prévoir ce qui va se passer. Je n'aurais jamais cru que je finirais là-bas, dit Monsieur Jean, en retroussant la manche de sa chemise pour montrer les numéros tatoués sur son avant-bras gauche.»
Dès lors, "Paul" peut voir l'avenir avec davantage de sérénité. Et s'intéresser à Ana, la plisseuse que tous dévorent du regard. La jeune femme va accepter de découvrir Paris à ses côtés lors de longues promenades, tout comme elle acceptera quelques semaines plus tard sa demande en mariage. Le couple va s'installer dans une loge de concierge rue Édouard-Lockroy, dans le XIe arrondissement. C'est là que vont grandir la narratrice et son frère, assignés à s'intégrer et à réussir pour justifier les heures et les heures de travail de parents qui rêvent un avenir meilleur pour leur progéniture.
La loge va alors devenir un vrai poste d'observation, car les habitants de l'immeuble n'hésitent pas à faire leurs confidences les plus intimes à Ana. Elle a beau faire marcher sa machine à coudre pour que sa fille n'entende pas, au moins par bribes la jeune fille va ainsi découvrir la complexité des relations humaines.
Elle va aussi constater combien son père est mal à l'aise quand on évoque son Algérie natale et combien le traumatisme de l'exil est fort. Il sent bien que de l'autre côté de la Méditerranée, il n'est plus considéré comme l'un des leurs.
Il en va tout autrement de son épouse qui se réjouit tous les ans de retourner à Malaga pour les vacances et rêve de retourner au pays après sa retraite. Une aspiration qui va la ronger toute sa vie: «Ma mère tenait debout tant qu’elle pouvait croire à son retour au pays mais dès que La réalité l'assaillait et la mettait face à l'impossibilité de réaliser la plupart de ses illusions, elle sombrait dans un état de désespoir tel qu'elle devenait un automate, hermétique au monde.»
Ce sont ces silences, ces douleurs impossibles à exprimer que Nathalie Hadj va chercher à comprendre en rassemblant des témoignages, en creusant dans ses souvenirs, en cherchant dans les rares archives. Cette histoire, dont l'aspect autobiographique ne fait guère de doute, est tout à la fois le témoignage d'une intégration réussie pour deux enfants qui ont su saisir leur chance et la chronique de l'impossible retour pour des parents déracinés.
Le style fluide, l'écriture très soignée venant relever avec force les failles de ces deux parcours et raconter une France qui alors savait être ouverte et solidaire, riche de ses différences, sans pour autant sombrer dans l'angélisme. La dramatique manifestation de 1961, réprimée dans le sang, est là pour le rappeler. On retiendra cependant le courage et la dignité de ces exilés et la naissance d'une autrice, à laquelle on souhaite le même succès qu'à Maria Larrea avec Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, un roman à la même forte teneur autobiographique. Il n’est besoin que de lire les touchants mots de remerciements pour s’en rendre compte: «J’offre ces mots perdus à mon père, Rabia/André, pour qu’ils servent d’échelle jusqu’à lui et s’élèvent au-dessus des silences qui nous ont empêchés de nous dire combien nous nous aimions.»
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Dès les premières pages, j’ai senti que ce roman me plairait, qu’il n’était pas comme les autres.
Un premier roman prometteur qui a pris le pari d’un sujet maintes fois traité mais qui reste ici d’une grande originalité : l’auteure explore son passé familial, part à la recherche de l’histoire de sa double culture, de mère espagnole et de père Kabyle.
A la mort de son père, Margot se penche sur son passé, sur la vie de ses parents; elle revit des moments de son enfance, dans une loge de concierge à Paris, ses vacances en Espagne. Son père n’avait pas besoin de mots pour s’exprimer avec ses enfants, et ce sont ces silences que la narratrice va chercher à combler.
Elle va voyager dans sa propre mémoire sur tous les lieux de son enfance pour mettre des mots sur des secrets, des souvenirs enfouis.
Ce roman est la photographie de l’intégration d’une famille, en France, de la façon la plus discrète et la plus républicaine possible.
J’ai été émue par ce texte plein de sensibilité, par ce père qui n’a trouvé que « le silence comme béquille pour avancer », par cette petite fille qui sommeille encore dans l’âme de l’auteure, devenue aujourd’hui une femme libre et lettrée.
J’ai aimé ces allers et retours entre passé et présent, entre l’Algérie, la France et L’Espagne, cette enfance vue avec le recul nécessaire pour comprendre et panser les douleurs passées.
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