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Loin de la langue littéraire, une nouvelle élite réécrit le monde en différents langages, informatiques ceux-là, qui ne supportent pas non plus le moindre écart de virgule, mais, contrairement à elle, impactent désormais si bien le quotidien du monde que rien ne semblerait pouvoir encore fonctionner sans eux. Interpellée par cette puissance nouvelle en complet contraste avec la déshérence littéraire moderne – bientôt seules les vieilles dames liront des livres, écrivait récemment Luc Chomarat –, l’auteur est partie à la rencontre de l’univers du code, dans une enquête en territoire inconnu qui, paradoxalement, va la ramener au roman.
Décidée, à cause de son nom et parce qu’il est réputé abordable, à apprendre à coder en langage Python, la narratrice quinquagénaire, alter ego de l’auteur, se cherche des professeurs dans le monde très jeune et masculin des geeks, dos voûtés et capuches rabattues sur le mystère de leurs claviers. Mais, malgré ses efforts pour cadrer son esprit dans la logique binaire de la condition et de la négation censée transcrire en numérique tous les champs possibles du réel, cette apprentie codeuse décalée ne fait que de piètres progrès dans la maîtrise du code. De façon inattendue, ses rendez-vous avec ces jeunes gens bien décidés à impacter le futur la renvoient en fait vers le passé et le souvenir d’une autre attraction contrariée, vécue au temps de sa jeunesse auprès d’un homme qui préférait les hommes.
C’est ainsi que, partie explorer de nouveaux territoires langagiers dénués d’émotion et de poésie, l’auteur frappée par la rigueur extrême de la grammaire du code en même temps que replongée dans ses réminiscences au contact de la jeunesse, voit son récit bifurquer vers l’intimité de l’introspection et de la libido. Possiblement déconcerté, voire un tantinet frustré, par ce changement de pied inattendu, opéré sans préméditation, qui le propulse soudain dans un registre très personnel et bien peu connecté au sujet initial, le lecteur aura pour consolation l’intelligence de réflexions enrichies par cette confrontation ouverte et curieuse à la codification numérique du monde et aux impacts possibles de l’intelligence artificielle sur le langage et l’écriture au sens large.
Entre le monde construit par « le langage informatique, sa précision, sa clarté univoque » et celui, pluriel, « de la littérature qui ne tranche pas », pourquoi ne faudrait-il voir qu’opposition et obligation de choisir ? Ce roman se fait la preuve que le second peut se nourrir du premier, que la poésie peut fleurir partout et que la littérature se doit de se nourrir de la multiplicité des angles et des points de vue.
Indéniablement intelligente et talentueuse, la plume de Nathalie Azoulai suffira-t-elle à convaincre de la complémentarité entre la complexité humaine et l’efficacité de la machine en matière de littérature et d’écriture ? Il faudra pour cela au lecteur beaucoup de souplesse pour l’accompagner sans broncher dans la construction d’un récit faisant si bien le grand écart entre deux sujets - l'un intime, l'autre général - d’intérêt quand même très inégal.
Adèle Prinker et Rachel Deville sont « soeurs de coeur » depuis l’âge de treize ans. Adèle est un « cerveau » (une scientifique …) Rachel est une « artiste » (écrivaine …)
La narratrice, c’est Rachel. Elle a, à présent, quarante-six ans. L’âge qu’Adèle a choisi pour se pendre. C’est elle que la police a prévenue en premier. Et Rachel va devoir l’annoncer à Luc (son mari) à Nicolas (son fils) mais surtout à son père, dont elle était la plus grande fierté …
À la fin du collège, Adèle et Rachel hésitent entre les options A et C (elles ne veulent pas avoir à se séparer !) Finalement, ce sera C … À quinze ans, alors que Rachel écrit depuis un bon nombre d’années déjà, Adèle se découvre une passion inattendue pour la natation. Et elle se prendra rapidement pour une sirène … De son côté, après le bac, Adèle revient à son premier amour et opte pour une filière Lettres. Elles s’éloigneront un temps l’une de l’autre. Pour mieux se retrouver, au fils des années … Au-delà de multiples petites poussées d’une jalousie réciproque, la profondeur de leur amitié ne sera jamais remise en question.
Un roman fluide, magnifiquement structuré – et parsemé de références très pertinentes – ainsi que de fines analyses sur la nature humaine. Une longue réflexion qui va trouver écho chez un grand nombre de lecteurs, dont je fus ! J’ai connu, au cours de mon adolescence, cette impression de rivalité, souvent encouragée par les professeurs, hélas … (Moi, pour qui les maths restaient un mystère complet … Mais qui – par contre – lisais comme je respirais) À savoir : qui des « scientifiques » ou des « littéraires » méritent le plus d’éloges ? Suscitent le plus d’intérêt ? Lequel est le plus « utile » sur cette planète ? …
Un très bel hommage – également – aux liens (souvent indéfectibles) d’une amitié, née en pleine jeunesse, quel que soit le chemin suivi et parcouru par chacun …
Sur la table basse, un magazine avec en couverture le tableau de Giotto « Le Désespoir » puis du plafond pend une corde ; Adèle s’est pendue, à 46 ans – information fournie dès la première page...
Deux jeune amies de longues dates, doivent à l’adolescence pendant la période de l’orientation, déterminer un choix. Rachel Deville choisie la filière des lettres et Adèle Prinker celle des maths-physique. Une famille littéraire chez les Deville, qui aimait ratiociner à longueur de temps sur les lectures, les néologismes, les étymologies...À l’opposé chez les Prinker, le règne de la rationalité, la logique, où l’approximation n’avait pas son mot à dire, mais plutôt comprendre, expliquer, démontrer. L’on comprend aisément que chacune des familles souhaitait avoir une fille qui pourrait se vanter d’avoir un degré d’excellence dans ces deux univers et devenir dès lors le parfait parangon d’une fille parfaite.
Pour quelle raison a-t-elle choisi cette fuite ? Et ce malgré la protection du cocon familial. Serait-ce l’ambition des femmes qui se heurte à l‘injonction classique : d’être la plus performante dans son activité ou regarder un enfant grandir – un choix cornélien ? Et pourtant existe une parfaite sororité avec Rachel, alors éventuellement, du stress de sa vocation et de sa condition de femme dans un monde machiste et sans doute d’un manque de reconnaissance professionnelle, du manichéisme abscons entre le littéraire et le mathématicien ? Bref, chacun y trouvera une raison qui le satisfasse ; voire peut-être un faisceau de raisons !
Un roman qui sonne juste, et avec de multiples références sentencieuses. Ainsi, à l’instar de la fin de Virginia Woolf, le sujet du suicide et de ses raisons, semblent le creuset de ce roman : « La Fille parfaite ». Un livre attirant, et donc interrogatif sur la vie, l’amitié et ses revers.
Après la mise en condition par la lecture de Bérénice de Racine, poursuivre avec la biographie singulière de Nathalie Azoulay sur le dramaturge du grand siècle (qui a vu se côtoyer Corneille, Molière, La Fontaine et Racine … sans compter quelques autres) est un vrai moment de plaisir de lecture.
Azoulay part de la séparation d’un couple contemporain (accessoirement aux noms de la tragédie) pour, tout à la fois, montrer la permanence des tensions sentimentales et du triangle amoureux, mais aussi délivrer l’enquête de (la) Bérénice (d’aujourd’hui) sur :
• La biographie d’un Racine nourri de (et à) Port-Royal des Champs ; construit de la rencontre avec ses maîtres jansénistes, mais aussi par ses choix transgressifs pour parvenir à une maitrise absolue de la langue et du chant des alexandrins. Son parcours initiatique passe notamment par : le latin, la structure de la phrase, la langue / conversation de salon, … Ses choix l’écarterons de Port-Royal d’autant qu’il est profondément attiré par les lumières du Roi Soleil : au point de devenir biographe de Louis XIV.
Après une vie de découvertes et de plaisirs de la vie, mais aussi d’amours profonds avec des actrices, il retrouvera une vie plus conventionnelle ; d’autant qu’il est désormais reconnu et apprécié. Mais l’âge aidant et les souvenirs pesant, il retrouvera ses liens anciens avec ses maitres de Port-Royal, au risque de subir la disgrâce de Louis XIV ;
• Les rapports avec les créateurs de son temps (Molière, Corneille, …) et l’univers de ce que l’on appelle aujourd’hui le « spectacle vivant » ;
• Les œuvres marquantes du dramaturge et particulièrement du triangle amoureux le plus épuré qui sera sa marque de fabrique avec la pièce « Bérénice » au sommet de cet art : Antiochus (roi de Comagène) aime Bérénice (Reine de Judée) qui aime Titus (empereur de Rome) et si Titus aime Bérénice il sacrifiera aux conditions posées par la citée pour hériter du titre d’empereur. Mais si les douleurs sentimentales chez Racine sont marquées, la puissance de vie reste la plus forte (cf fiche sur Bérénice).
• …
Un ouvrage de référence, intelligent et de haute tenue.
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