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Dès les premières pages, c’est le ciel qui prend toute la place au point d’être un personnage à part entière et d’occulter le narrateur :
« Le ciel me regardait. Je n’aimais pas quand il me regardait comme ça. J’avais l’impression qu’il allait me jouer un mauvais tour, en tout cas qu’il se fichait de moi. »
Il peut se montrer léger et aérien ou, au contraire, sombre et inquiétant, reflétant ainsi l’indécision de tous ces personnages.
Les éléments tissent l’histoire, soleil, pluie, neige, ils peuvent se montrer complices ou bien menaçants comme cet » œil d’or » du soleil
« Il dardait sur nous son regard flamboyant, à présent moqueur, un rien menaçant. »
Dans ces dix nouvelles, les personnages se croisent, se retrouvent où se découvrent. On plonge dans leur passé, on découvre leurs fêlures et leurs indécisions au fil des conversations et des pensées.
Les scènes, minimalistes, se déroulent dans des cafés, dans la rue ou un parc. Elles racontent des amours jamais terminées, des souvenirs malheureux et des solitudes béantes. Ces gens que l’on croise sur quelques pages nous émeuvent par leur fragilité, nous surprennent par leur culpabilité. Le passé resurgit, tel un diable sorti de sa boite, et, parfois, c’est douloureux.
Les protagonistes sont tous des hommes, ou bien un homme, jamais vraiment le même, mais qui est traversé par ses souvenirs et son passé. Les femmes, ce sont celles que l’on croise, que l’on retrouve, ou les absentes auxquelles on pense toujours.
Avec une économie de moyens, une justesse de ton, Michel Lambert déplie sous nos yeux la grande fresque de l’humanité, il brode à points sensibles ces esquisses de vie, ces instants fugaces, qui nous touchent par leur universalité et c’est beau.
Les nouvelles, c’est un genre à part que j’aime bien, un concentré d’histoires, de fragments de vie.
Dans ce recueil qui regroupe 12 nouvelles, on croise un grand nombre de personnages un peu perdus, certains carrément à la dérive. Ils reviennent sur leur passé, cherchant même à retrouver une amante d’autrefois.
Dans la dernière « Sosies de l’amour », qui a donné son titre au recueil, on fait la connaissance de Patrick qui s’occupe du casting pour embaucher des sosies d’artistes. L’auteur joue sur le mensonge de ces ressemblances. Nos vies, à quoi ressemblent-elles ?
Tous ces personnages que l’on croise sont très ordinaires, et leur vie est banale. Ce qui l’est moins, c’est cet instant fugace dans leur quotidien qui nous les rend soudain si proches.
L’auteur excelle à parler de tous petits rien pour en faire une histoire.
Les dernières pages sont consacrées à un interview de Michel Lambert qui nous en dit plus sur ses sources d’inspirations et sur sa démarche d’écrivain.
J’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture. Un grand merci aux éditions Weyrich et à masse critique de Babelio
Ça ne se fait pas, me direz-vous mais j’ai commencé la lecture de « Sosies de l’amour » par la fin. Oui, bien que connaissant un peu l’auteur, j’étais curieuse de découvrir sa vision de la nouvelle à travers son interview. Les techniques de l’écrivain, son compagnonnage avec des auteurs anciens ou contemporain nous en apprend un peu plus sur la genèse de son écriture.
Des nouvelles, il y en a douze, comme dans une boite d’œufs. Chacune est à lire avec attention, en pénétrant dans sa lumière comme on mire un œuf. Et justement, la lumière, elle se niche dans les ciels changeants que Michel Lambert décrit avec sa plume qui devient pinceau. Rien que pour le plaisir, en voici quelques extraits. Vous serez d’accord avec moi, ce sont des peintures.
« …le ciel poudroie encore au-dessus de la ville. Un peu d’or sombre s’attarde sur les immeubles de verre qui bordent l’avenue. » (Blondin et Cirage)
« …sous un ciel gris infiltré d’un soleil pâle, lumineux par endroit, contrastant avec des crevasses noires et des replis entre rouge et orange. » (Sous la neige)
« …maintenant le ciel était à nouveau d’un bleu uniforme, bien que pâle, et les rares nuages qui subsistaient faisaient penser à des emballages perdus. » (Longue nuit)
Et puis, sous ces ciels, évoluent des personnages, anonymes ordinaires, rencontres fugaces, pour un fragment de vie. C’est mélancolique, parfois pathétique, jamais cruel et toujours empli de tendresse. On ne sait pas grand-chose d’eux, mais assez cependant pour avoir l’impression de les avoir croisés en vrai et les trouver attachant.
Certains s’inventent une vie comme dans « Blondin et cirage », tandis que d’autres, qui ne se connaissaient pas l’instant d’avant, vont ensemble au cimetière. On rencontre aussi Paul qui a décidé de retrouver une ancienne amante.
Dans « L’hiver en hiver », une femme qui s’ennuie est prête à tout pour vivre l’aventure.
Dans ces histoires, beaucoup d’échec et de regrets. De la nostalgie aussi. Tout part d’un détail, une phrase, une rencontre fortuite, un « papa » entendu dans la foule et le lecteur entre dans une vie par la petite porte et imagine le reste.
Les nouvelles de Michel Lambert se distinguent par cette sourde mélancolie et ces petits désastres de nos vies et de tous ces rêves à la dérive. Cela pourrait paraitre d’une tristesse absolue. Ça ne l’est pas. A travers ces misères du quotidien il y a une petite lueur d’espoir, comme ces éclaircies qui nous surprennent dans un ciel gris et bas.
Michel Lambert nous montre une fois de plus qu’il est loin d’avoir épuisé le genre de la nouvelle qu’il explore avec talent
« Il faudra être vigilant » a averti le médecin. Alors, c’est avec la sensation de « bombes invisibles » les attendant « à chaque coin de rue, à chaque coin de pensée », ne sachant trop à quoi s’attendre sinon à n’avoir « plus droit à l’erreur », que le narrateur Thomas Noble emmène son épouse pour sa première autorisation de sortie depuis son hospitalisation en établissement psychiatrique. Plutôt que leur domicile bruxellois, où l’on devine que c’est là qu’eut lieu l’ultime crise, violente, probablement dépressive, qui fit exploser leur vie, l’homme a choisi de passer ces cinq jours de retrouvailles à Ostende, où doivent précisément se dérouler le Carnaval et le Bal du Rat Mort, une trêve symboliquement placée sous les auspices de la fraternité et de la bonté.
Mais, en fait d’exorciser leur malaise, le climat ambiant d’insouciance joyeuse de la ville balnéaire ne soulignera-t-il pas plus cruellement encore le tragique de leur situation ? Alors que l’un et l’autre s’évertuent tant bien que mal à se montrer naturels et enjoués dans leur rôle, l’angoisse les étreint et les paralyse, lui d’ailleurs plus encore qui devrait pourtant s’avérer le plus solide des deux. Il s’agit chez lui d’un sentiment diffus et d’autant plus pernicieux, mêlant à des bouffées de « frayeur subite et sans fondement » une sensation d’impuissance honteuse et coupable. Coupable des mauvaises nouvelles - la perte de son travail, la mort d’un ami, ses errances et trahisons amoureuses - que, dans sa fragilité à elle, il ne se sent pas de lui annoncer, mais que, dans sa maladresse à lui mentir, alors qu’à fleur de peau elle devine et pressent tout, il finit par lâcher un peu à tort et à travers. Coupable, peut-être, comme dans le cas de cet ami en réalité suicidé, de quelque responsabilité – que n’a-t-il dit, fait ou pas fait, manqué ou provoqué, qui ait pu contribuer au désespoir de deux de ses proches ? Coupable enfin de sa honte et de ses difficultés face à cette maladie, de sa peur alors que sa femme et sa vie lui échappent désormais, de son malaise en société quand il faut assumer le regard d’autrui.
En réalité, la maladie psychiatrique de son épouse a transformé la vie du narrateur en champ de mines. Tout est devenu imprévisiblement dangereux et explosif, et tandis que le monde poursuit sa course – « cette vie qui éclatait partout » –, lui se sent à ce point dépossédé qu’il pense à qui il était avant comme à un autre, « cet homme qui lui ressemblait ». Déstabilisé et incertain, voulant bien faire mais ne sachant s’y prendre, il en vient à paraître encore plus déséquilibré que sa moitié, pour sa part sagement résignée à son protocole médical et réussissant aussi dignement que bravement à faire face à toutes les embûches de ces cinq jours. Et finalement, c’est grâce à son calme à elle, alors qu’elle se montre souriante et aimante, pressée de parler à son fils envolé outre-Atlantique, rassurée de se sentir utile lorsqu’il lui arrive même de remonter le moral d’un couple d’amis, qu’en dépit des maladresses et des faux-fuyants, cette parenthèse de tous les doutes prend le virage de la tendresse. Ces deux-là s’aiment toujours, et si leur avenir reste pavé d’incertitudes et d’interrogations, au moins ce séjour les aura-t-il rassurés sur ce plan.
Avec un art consommé de la suggestion, Michel Lambert use de mille détails, comme l’état changeant du ciel du nord semblant refléter tout au long de la narration les émotions des personnages, l’ambiance carnavalesque évoquant jeux de masques et faux-semblants, le tableau de couverture mais aussi celui dont le narrateur ne parvient pas à décider s’il veut le garder ou le vendre, ce chapeau qui ne cesse de se perdre ou cette maison rose inaccessible depuis la plage, pour souligner sans les dire la souffrance des personnages, leurs fêlures et leurs ambiguïtés, leur sentiment de perte et d’impuissance, leurs doutes et leurs contradictions. Alors, plongé dans leur vie le seul temps de ce bref intermède, ne pouvant que conjecturer, et leur passé, et leur avenir, sur la base d’indices ouvrant toutes les questions, c’est un peu de leur égarement et de leur vacillement face à cette maladie aux contours impalpables dont le lecteur se sent à son tour envahi.
Un livre qui vous taraude longtemps, entre ambiguïtés de ses personnages, souffrance et désarroi face à la maladie mentale et, au final, persistance des sentiments chez ce couple naufragé. A l’image du tableau d’Edward Hopper figurant en couverture et ouvrant si largement le champ de ses interprétations possibles, de l’isolement, l’anxiété et la solitude, à l’introspection, la respiration et la sérénité, les pages de ce roman ne cesseront de vous suggérer mille lectures et perceptions différentes, aussi changeantes et nuancées que le ciel d’Ostende.
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