Mat Youkee

Jean-Paul Degache sur Quarante jours dans la jungle de Mat Youkee

Doté d’une magnifique couverture, le récit, l’enquête, le documentaire, signé Mat Youkee et bien traduit par Charles Bonnot, est difficile à qualifier précisément tant ce travail est complet, passionnant et instructif.
Au travers de l’histoire de ces quatre enfants perdus dans la forêt...
Voir plus

Doté d’une magnifique couverture, le récit, l’enquête, le documentaire, signé Mat Youkee et bien traduit par Charles Bonnot, est difficile à qualifier précisément tant ce travail est complet, passionnant et instructif.
Au travers de l’histoire de ces quatre enfants perdus dans la forêt amazonienne, de leur survie et de leur sauvetage, Mat Youkee, journaliste au Guardian, qui vit en Colombie depuis dix ans, ne se contente pas des Quarante jours dans la jungle mais permet surtout d’essayer de comprendre le sort des indigènes dans ce vaste pays d’Amérique du Sud.
C’est le 9 juin 2023 que Bogotá fête la nouvelle tant attendue et presque inespérée de la découverte de Lesly (13 ans), Soleiny (9 ans), Tien (4 ans) et Cristin (10 mois), au cœur de la forêt amazonienne. Trois semaines plus tôt, on avait retrouvé l’avion, un Cessna 206, planté verticalement dans le sol avec trois adultes à bord dont Magdalena, la mère des enfants, enfants qui avaient disparu.
Tout de suite, je suis emporté dans ce livre livrant une enquête exhaustive, passionnante, agrémentée de deux cartes indispensables et d’un croquis présentant la zone de recherches et les preuves de survie des enfants.
L’auteur s’attache d’abord à Magdalena Mucutuy (33 ans). Elle est mariée à Andrés Jacobombaire, père de Lesly et Soleiny, mais vit avec Manuel Ranoque, personnage complexe, qu’elle veut à tout prix retrouver à Bogotá. Il est le père de Tien et Cristin.
Les principaux protagonistes font partie du Peuple du Centre qui compte plusieurs tribus, comme les Uitoto, celle de Magdalena. Dans la région où elles vivent, les cours d’eau sont de véritables routes et l’auteur sait bien décrire la vie quotidienne des familles au cœur de cette forêt à la fois hostile et riche.
Seulement, il y a les guérillas, la mano izquierda, la main gauche, les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Le Peuple du Centre est pris entre deux feux : l’armée et les FARC. Un groupe dissident des FARC, l’EMC (Estado Mayor Central) sévit aussi le long du río Caquetá où vivent Magdalena et ses enfants. Puerto Sabalo, Chukiki, Araracuara sont les villages les plus souvent cités.
Mat Youkee rencontre beaucoup de témoins, se déplace, recueille de nombreux éléments, cite chaque personne rencontrée et la date de leur entretien. Petit à petit, il introduit des mots du vocabulaire local comme la monte qui désigne la jungle sauvage qui s’étend au-delà des villages.
C’est à Araracuara où de nombreux bagnards avaient déforesté la jungle que se trouve l’aéroport d’où a décollé le Cessna. L’avion est un moyen de transport très utilisé pour se déplacer sur de longues distances mais les pistes sont en très mauvais état et la météo fort capricieuse.
Si l’on tente de suivre les enfants perdus dans la jungle, c’est plutôt avec les sauveteurs que se passe l’essentiel du récit. Mat Youkee livre une analyse précise des possibilités qui leurs sont offertes, leurs sentiments et leurs rêves. Face à la rigueur et à l’organisation de l’armée, l’instinct et la connaissance de la forêt des indigènes prennent le dessus. Ils savent observer la nature, s’en font une alliée, utilisent ses ressources, lui attribuent une vie particulière et cela s’impose finalement.
Quarante jours dans la jungle m’a apporté quantité d’informations, de réflexions ainsi qu’une connaissance beaucoup plus approfondie de la Colombie, ce pays lointain dont on met plutôt en évidence les problèmes liés au trafic de drogue et aux luttes fratricides des guérillas. Tout cela, Mat Youkee ne l’évacue pas mais c’est l’héroïsme de Lesly, son savoir inculqué par sa mère qui lui a permis de sauver ses deux sœurs et son petit frère. Bel exemple que certains, comme d’habitude, ont tenté de pervertir ou d’exploiter. C’est pourquoi, Quarante jours dans la jungle est un livre infiniment précieux et nécessaire que Mat Youkee a su mener à bien.
Je remercie Babelio et les éditions Marchialy pour cette découverte, une plongée dans un monde lointain où se joue la vie d’un peuple malmené, menacé une fois de plus, par la soif du pouvoir et la quête insensée de l’argent.

Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2025/03/mat-youkee-quarante-jours-dans-la-jungle.html